De Mille / Cullberg à l’Opéra Garnier
Deux ballets bien différents réunis dans une même soirée. Reprise du ballet Fall River Legend de la chorégraphe américaine Agnès de Mille, qui met en scène le récit d’un meurtre sordide : une jeune fille tue son père et sa belle-mère à coups de hache ; et entrée au répertoire de l’adaptation de la célèbre pièce Mademoiselle Julie de Strindberg par la Suédoise Birgit Cullberg.
Beaucoup d’émotion dès l’entrée de Laetitia Pujol dans le rôle de l’accusée. La gracile danseuse étoile incarne la jeune parricide avec pudeur et intensité. Dans sa robe verte fluide au col fermé, frêle et délicate, presque désincarnée, elle semble déjà l’ombre d’elle-même face au gibet, quelques minutes après le verdict des jurés.
Véritable théâtre dansé puisqu’on y parle un peu et qu’on raconte beaucoup par le corps, le ballet dénonce l’oppression des petits drames de la vie quotidienne qui tournent en tragédie meurtrière. Les mains se tordent, le corps rigide ou contorsionné, les yeux sont exorbités. Tout révèle le mal être et l’étouffement de la jeune femme qui aspire à se libérer de l’emprise mortifère de son nouveau foyer après le décès de sa mère aimée.
La chorégraphie se déploie dans un décor très coloré du peintre de la société américaine, Edward Hopper. La marâtre et le père se balancent dans leur chaise à bascule le soir aux dernières lueurs estivales tandis que les jeunes filles avec allégresse accordent dans un quadrille populaire une dernière danse.
Comme dans un flash back cinématographique, l’accusée revit les étapes de cette mise à mort organisée. Laetitia Pujol, sans pathos, propulse le spectateur dans l’inconscient et le refoulé jusqu’à l’expulsion complète de toute la détresse accumulée. Un voyage très
douloureux pour une étoile aérienne.
En revanche, le ballet de Cullberg semble un peu dépassé. Il oppose, comme la pièce du même nom, les classes sociales et leur rapport à la domination : face aux pointes des nobles, les chaussures plates des valets évoluent dans une sorte de mascarade grossière.
L’altière Aurélie Dupont, en Mademoiselle Julie, superbe de grâce et de distinction, est aux prises avec Jean, un parfait rustre, effronté, grossier, bruyant séducteur fanfaron, incarné merveilleusement par Nicolas Le Riche. Le corps contrit,les épaules basses, les bras en rond symbolisent cette première soumission aux ordres de la jeune châtelaine aux allures de chatte courroucée. Les rôles seront vite renversés.
On note un très joli moment de détresse de la danseuse étoile qui émeut la salle après la scène du “viol” jusqu’au tableau final. Vrai pantin désarticulé, la danseuse semble obéir aux ancêtres qui la jugent sur un petit air de petite boîte à musique tandis que les figures inquiétantes des tableaux s’animent et ordonnent le sacrifice final.
Quoique la pièce de Strindberg nous semble plus poignante, le couple a été très salué par la salle qui n’oublie pas que Nicolas Le Riche fera très prochainement ses adieux.
Marie Torrès
[Visuel : Anne Deniau / Opera de Paris]
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