Cinquantenaire de la disparition de Boris Vian
« Boris Vian s’écrit à la trompette, rive gauche à Paris » : Alain Souchon (Rive gauche, 1999) chante mélancoliquement les affres d’une capitale artistique orpheline du « Prince de Saint-Germain des Près », entré au panthéon de la chanson et de la littérature françaises.
Véritable touche-à-tout, l’auteur de L’écume des jours développe plusieurs activités : tour à tour ingénieur, écrivain, traducteur, chanteur, compositeur d’opéras, trompettiste, critique, directeur artistique chez Philips et nombre d’autres travaux.
D’aucuns arguent trop vite cette fureur de vivre, cette démultiplication par la maladie décelée chez l’enfant dès l’âge de cinq-six ans. Les médecins diagnostiquent alors une cardiopathie mais restent incapables de la soigner. Pour autant, Boris Vian, grand amateur de Franz Kafka, ne tient-il pas à suivre les dires du Tchèque : « Les fleurs des rêves ne donnent pas toujours de fruits » ? Le joyeux trublion a voulu voir mûrir tous ses rêves en les concrétisant. Même s’il a toujours été éloigné de l’existentialisme, pensée chère à Jean-Paul Sartre, les deux hommes ont pourtant travaillé ensemble à plusieurs reprises. Boris Vian intervient dans Les Temps Modernes, la revue du couple Sartre-Beauvoir, avec « La chronique du Menteur ». L’écrivain va d’ailleurs jusqu’à faire vivre le philosophe dans L’écume des jours sous l’avatar burlesque de Jean-Sol Partre.
Visionnaire
Personnage solaire à l’esprit de bande, Boris Vian traverse la première moitié du XXe siècle en furie. Comme avec Jean-Paul Sartre, chaque rencontre entame un nouveau tournant dans la vie de l’artiste et enrichit son univers personnel. C’est un faiseur de mode, magnétisant les tendances afin de créer une époque. Directeur artistique chez Philips, il amène Miles Davis à réaliser la musique du film L’ascenseur pour l’échafaud de Louis Malle, en 1957. Le jazz fait évidemment partie intégrante de la vie de Boris Vian. En tant que trompettiste ou critique, mais aussi dans ses livres. Par exemple, dans L’écume des jours, le personnage de Chloé est inspiré par la partition du même nom du saxo-ténor Ben Webster.
En 1959, visionnaire, Boris Vian prend la défense de Serge Gainsbourg à ses débuts. Le chanteur, taxé de « voir la vie en noir », est pour ainsi dire parrainé en ces termes : « Va-t-on féliciter un aveugle d’être aveugle ? On le plaindra. Et va-t-on reprocher à Gainsbourg d’ouvrir les yeux ? Ce serait tout de même assez extraordinaire ! Oh je vois déjà un spécimen d’auditeur au cerveau enrobé de saindoux et au gros ventre plein d’optimisme protester que tout va bien et que cette jeunesse moderne a la haine de ce qui est beau. Ha ha ! dirai-je, compendieusement, à cet auditeur. Un gros ventre vous bouche la vue, ou des phrases toutes faites, ou un conformisme reposant. »
Boris Vian tient de sa fantaisie ce style à la fois léger et percutant. A l’image du nénuphar, symbole poétique de la mort dans L’écume des jours, cette tendance à la dérision et à la désacralisation prend le contre-pied de la bienséance des années 1940-1950. Ainsi, celui qui chante J’suis snob , agrémente la Marche Turque de Mozart de « quelques cha cha cha », dans Mozart avec nous, concluant ses entraînants arrangements musicaux par une maxime qui pourrait être sa signature : « Faut bien vi-i-ivre ».
J’irai cracher sur vos tombes
A l’été 1946, une rencontre, dans la file d’attente d’un cinéma des Champs-Élysées, entre l’éditeur Jean d’Halluin et le couple Vian, précipite un best-seller et un imbroglio judiciaire. Le directeur des éditions Le Scorpion est à la recherche d’un succès à promouvoir. Alors que la Série noire révèle peu à peu les thrillers américains au public français, Jean demande à Boris s’il ne connaît pas un auteur à traduire. Sur quoi l’écrivain imagine, sur un air de défi, de fabriquer un best-seller de toute pièce. En vacances à Saint-Jean-de-Monts, en Vendée, avec son épouse Michelle et leur fils Patrick, il écrit un livre en quinze jours, du 5 au 20 août.
Le récit est truffé d’américanismes. Le canular doit faire croire au public que l’auteur est issu de la mode outre-Atlantique. Boris Vian écrit sous le psudonyme de Vernon Sullivan et n’est officiellement que le traducteur de cet écrivain américain imaginaire. En novembre 1946, J’irai cracher sur vos tombes se révèle timidement au public, mais comme souvent, c’est la polémique qui porte l’ouvrage au plus haut des ventes.
Daniel Parker, président du Cartel d’action sociale et morale, dépose une plainte contre Vernon Sullivan en 1947 pour incitation à la débauche des adolescents. La presse découvre alors le subterfuge, Boris Vian et Vernon Sullivan ne font qu’un. L’auteur se voit très vite ennuyé par ce procès d’intention, et reconnaît l’affaire devant un juge d’instruction.
Une série de procès débute, entre amnisties et nouvelles plaintes. En 1953, la condamnation à quinze jours de prison tombe, puis est aussitôt amnistiée, mais le scandale est immense alimenté par deux nouvelles sorties littéraires sous le nom de Sullivan (Les morts ont tous la même peau, et On tuera tous les affreux). La parution de L’écume des jours, dans le même temps, en mars 1947, se chiffre dérisoirement à une centaine d’exemplaires.
Crise cardiaque
Cette péripétie consacre finalement le caractère de Boris Vian, forcé de duplicité pour étaler ses talents pluriels. Les mésaventures avec J’irai cracher sur vos tombes se poursuivent, puisque l’auteur marque son désaccord profond lors de l’adaptation de l’œuvre au cinéma. Malheureuse ironie du sort, Boris Vian succombe à une crise cardiaque qui le surprend dès les premiers instants de l’avant-première au cinéma Marbeuf, le 23 juin 1959.
Boris Vian, qui chantait le « Cinématographe » laisse le rideau tomber et déserte trop vite, à 39 ans, son Saint-Germain des Prés et la rive gauche.
Cyril Masurel
Lire aussi sur Artistik Rezo Boris Vian Juste le Temps de Vivre au Lucernaire.
A Paris et en régions, Boris Vian en concert, à la télé, à la radio ou dans les musées, toutes les manifestations sur : http://borisvian2009.blogspot.com/
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