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Brass : “Oscar, Brass, c’est la même chose… Brass, c’est moi”

Céleste Gentilhomme 7 décembre 2021
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© Augustin Décarsin

Sur cette référence à Gustave Flaubert, “Madame Bovary, c’est moi”, nous avons rencontré Brass, talentueux rappeur de 24 ans. Une musique entre phrases poignantes, amitiés, voyages, mélancolie et littérature.

Quel a été ton cheminement jusqu’à ton premier single, Dimanche ?

Peu de gens le savent mais Dimanche a fait partie de mon premier projet solo sorti sur Haute Culture à l’époque, une plateforme pour les artistes indépendants. Ce son n’a pas du tout été calculé à l’avance, j’avais juste une grande envie de chanter en studio et de changer de technique. Puis il a assez bien fonctionné, notamment grâce aux partages et repartages de grands youtubeurs en 2016. Ce petit buzz marque le début pour moi : un espoir de carrière, mon adolescence, le lycée. Dimanche, c’est avant tout un projet fait entre amis. Le clip est 100% fait de façon artisanale, il a été tourné chez moi avec tous mes amis.
En 2016, j’ai fait ma terminale à Paris, ce qui m’a permis de découvrir la vie parisienne. J’ai fait de nouvelles rencontres dans le milieu du rap mais à cette époque, mon travail avait bien plus une connotation de “à l’arrache”. J’allais rapper sur les quais avec mes potes parce qu’on aimait ça, on rappait par pure passion. Aller en studio était un grand événement pour lequel on se cotisait. On était habités par une innocence pure. Puis après le bac, ma passion pour la littérature m’a fait faire une prépa littéraire. Le rap est alors devenu un exercice de ma passion pour la littérature.

Comment te qualifierais-tu, ainsi que ta musique ?

Je pense qu’on peut qualifier ce que je fais comme quelque chose de musical, fin, travaillé, recherché… Et puis je suis bien obligé d’admettre le côté mélancolique ! C’est aussi une musique très sincère et introspective.
Je n’hésite pas à dire tout ce que je suis dans ma musique. En réalité, Brass, Oscar, c’est la même chose… Brass, c’est moi. C’est Gustave Flaubert qui a dit “Madame Bovary, c’est moi”, tant le personnage qu’il a couché dans ses écrits faisait écho à lui-même. Mes textes sont le portrait de ce que je suis moi, Oscar. Dans la vie, je suis comme ce que j’écris dans mes sons. Même si j’ai sorti des projets sous mon nom de scène et même si les gens connaissent “Brass”, le résultat est le même que si je n’avais pas créé de “personnage”, vu la sincérité que je mets dans mes musiques. Le travail de “Brass” est totalement en accord avec la personne d’Oscar.

Quelle place occupe la musique dans ta vie ?

Honnêtement, c’est toute ma vie. Il n’y a pas une seconde où je n’y pense pas. Du coup, j’essaie de prendre mes distances parfois. Je vois trop d’artistes poussés par l’envie de succès qui s’éloignent de ce pour quoi ils ont débuté la musique. J’essaie de me protéger de ça et de garder la passion, même s’il y a évidemment des choses que je découvre et que je dois faire sans en avoir l’envie. Garder la passion au quotidien, écrire et écouter de la musique pour faire avancer la mienne chaque jour, voilà mes objectifs. Je ne veux pas me coucher le soir en me disant que je n’ai pas fait avancer ma musique aujourd’hui.

© Mathias Godron

Quelles sont tes inspirations et modèles ?

Depuis petit, j’ai toujours baigné dans un univers musical. J’ai fait du violoncelle pendant 7 ans au conservatoire. J’écoutais la musique de mes parents : d’abord avec le rock que mon père aime comme les Rolling Stones, Pink Floyd, Nirvana ou encore les Bee Gees. Mais aussi beaucoup de chansons françaises, avec énormément de variété et notamment Charles Trenet dont je suis toujours un grand fan aujourd’hui, ou encore Jacques Brel, Brassens, Ferré… Je n’étais pas vraiment fan de rap à l’époque. Puis mes goûts musicaux ont évolué et j’ai découvert le rap parisien, avec L’Entourage notamment.

Ce rap a, selon moi, permis de rendre le rap abordable à des personnes qui n’étaient pas concernées de base, comme des petits gars de banlieue parisienne. Je n’arrivais pas à m’identifier aux grands noms du rap français de l’époque comme Booba ou La Fouine. Il n’y avait dans ces musiques aucun écho sur ce que je vivais. Toute cette nouvelle vague de rappeurs parisiens a rendu le rap bien plus accessible. Puis en m’intéressant un peu plus à ce genre musical, j’ai découvert tout le rap qui s’est fait avant, comme celui des années 80/90. Ça m’a donné des clés de compréhension pour appréhender le rap plus “de connaisseur”. Aujourd’hui, j’ai élargi mon spectre d’écoute musicale avec beaucoup de soul comme par exemple l’artiste Daniel Caesar ou encore tous les Tiny Desk Concerts, mais aussi un peu de RnB, ainsi que les grands noms du jazz. Sans pour autant en oublier le rap évidemment !

La littérature a aussi énormément influencé et fait évoluer ma musique, ainsi que la personne que je suis aujourd’hui. Le recueil de poèmes Les Illuminations d’Arthur Rimbaud m’a beaucoup marqué. Du fait de la rythmique, en analysant ce recueil, j’associais Rimbaud à un rappeur. Il n’y avait pas de limite entre littérature et rap/musique dans ma tête ! Le roman Madame Bovary de Gustave Flaubert m’a clairement mis une claque. C’est la première fois que je m’identifiais autant à un personnage féminin. Tout le désespoir d’une personne avec des rêves de grandeur mais bloquée dans son rang, bloquée par son statut… C’est une situation qui m’était très familière ! L’autre œuvre littéraire qui m’a grandement influencé c’est le roman de Jack Kerouac, Sur la route. C’était un écrivain sans grande reconnaissance qui a écrit toute son œuvre sur un seul grand morceau de parchemin, retraçant tous ses périples à l’époque des grands road trips sur la route 66 aux Etats-Unis. Cette œuvre m’a donné envie de partir moi aussi. L’été de mes 18 ans, après mon bac, je suis parti seul sur un coup de tête faire un road trip de quelques semaines en Italie. C’est là-bas que j’ai écrit tous les textes de mon EP Hier, juste en couchant sur le papier ce que j’avais sur le cœur, avant même d’en faire des musiques. C’était très libérateur. Il y a d’ailleurs un son de mon EP qui s’appelle Sur la route, en référence au roman de Kerouac.

Peux-tu nous donner ton top 3 des morceaux de rap ?  

Si je devais citer des morceaux de rap qui ont changé ma vie ce serait d’abord Egérie de Nekfeu ; pas pour le morceau en tant que tel, parce que j’aurais pu dire Humanoïde ou d’autres, mais plus pour la transition. Il a passé une partie de sa carrière sur des battles, des freestyles, des featurings, des projets de groupe et autres. Puis avec le titre Egérie, il sort le premier extrait de son album solo. Je m’en rappellerai toujours. J’étais avec un ami sur ma terrasse et à la première écoute, on n’a vraiment pas aimé. Ça changeait beaucoup de ce qu’il faisait à l’époque, on n’avait pas l’habitude de le découvrir sous cet angle ! Puis aujourd’hui, c’est devenu l’un de mes sons préférés. J’aime beaucoup ce cheminement de pensée et changement d’opinion sur une musique, ça veut dire qu’elle est intéressante à analyser.

Ensuite ce serait Ma définition, de Booba. J’admire particulièrement cet artiste car je n’ai jamais vu un tel lyriciste qui conserve sa réalité. À l’inverse de Nekfeu, qui va avoir une musique très belle et organisée, Booba conserve quelque chose de brut. Il y a des images, c’est simple, efficace, et ça te parle directement !

Et enfin, je dirais Indomptable de Georgio. Il y a ce même aspect “brut” que chez Booba. Il donne toute sa rage dans sa musique, il va droit au cœur. C’est rare que j’ai ce ressenti sur une musique ! Même si aujourd’hui je ne suis plus vraiment sa carrière, je sais que Georgio reste un artiste qui peut toujours me surprendre.

© Augustin Décarsin

Quelle place occupent les collaborations dans ton travail, et notamment celle avec Malter sur votre EP ?

Avec Malter, on se connaissait depuis la maternelle sans jamais avoir été très proches.  Après la sortie de mon single Dimanche, on a repris contact car on faisait tous les deux de la musique. Malter m’a envoyé quelques prods et a fait exprès de laisser sa voix sur l’une d’entre elles. Là, je me suis pris une grosse claque : j’ai adoré ce qu’il faisait. Nos styles s’accordaient parfaitement. La musique nous a rapprochés et aujourd’hui c’est un ami très proche. On voyage ensemble, on travaille ensemble, on s’influence mutuellement sur les styles de musiques que l’on écoute et puis on a sorti un projet ensemble ! Je travaille principalement avec un cercle d’amis proches comme Lexo et Malter. Puis tout autour de ce petit cercle gravitent d’autres gens qui créent d’autres cercles et c’est comme ça qu’on crée une cohésion de groupe. On se donne tous de la force mutuellement, en plaçant la passion au centre de notre travail.

Quelle place occupe le digital dans ton travail ?

D’un point de vue purement musical, j’aime que mes sons soient très acoustiques, notamment la guitare, le piano, la basse… et le reste est d’inspiration acoustique ! Je trouve que ça met bien plus en valeur le texte et sa sensibilité.
Si on prend le digital du point de vue des réseaux sociaux, j’ai conscience que c’est quelque chose de quasiment obligatoire aujourd’hui. D’autant plus quand il s’agit de faire sa propre promo et de partager ses projets ou ceux de ses amis. Cependant, je me mets des limites. Les réseaux sociaux ont des aspects assez néfastes, c’est un univers très superficiel. Il pousse à la comparaison et à la frustration, et tu te rends compte que si tu ne crées pas de contenu, les gens ne te portent pas le même intérêt. Ça n’a pas toujours été évident pour moi d’accepter cela. Ce qui me rassurait, c’était les statistiques sur les plateformes type Spotify, Deezer… qui elles, ne bougeaient pas ! Ça me rassure de me dire que les gens me suivent réellement pour le travail que je fais, pour mes musiques. Les réseaux sociaux, ça vient au second plan.

Te définis-tu comme un rappeur ? Et comment conçois-tu le milieu du rap ?

Oui, je me conçois comme un rappeur. Sinon, l’appellation commune c’est artiste. Malgré le fait que je m’exporte et exporte mon style, ce qui me fait le plus vibrer reste l’exercice du rap. C’est ça qui m’a plongé dans la musique, c’est ma passion, ce qui m’anime et c’est la culture que j’entretiens. Après, ayant côtoyé pendant un temps d’autres rappeurs, le milieu du rap n’est pas mon univers favori. Aujourd’hui, je fais peu de rencontres qui me marquent réellement parce qu’il y a souvent un appât du gain qui dénature un peu l’amour pur de la musique. Je prends donc mes distances avec ces gens-là et leurs conseils. Je préfère être entouré de réels passionnés, comme mes amis et moi, et garder la passion comme motivation principale.

© Mathias Godron

Quels sont tes projets à venir ?

Depuis deux ans de quasi-silence, je travaille énormément. J’ai beaucoup de projets en tête ! J’ai déjà un projet solo qui sortira au printemps 2022. Après, je travaille aussi beaucoup avec Malter donc peut-être un nouveau projet commun. Et à la sortie du confinement 2020, qui a été une période extrêmement productive pour moi, j’ai lancé l’initiative d’un projet énorme et très ambitieux, qui mérite d’être travaillé plus longuement. Alors peut-être qu’entre plein de collabs et d’autres petits projets, mon premier album arrivera…

Propos recueillis par Céleste Gentilhomme

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