Bérénice, création mondiale explosive à Garnier
Commande de l’Opéra de Paris, cette Bérénice composée par le Suisse Michael Jarrell s’inspire directement de Racine et en respecte les précieux alexandrins. En une heure et demi, c’est un précipité de passion et de violence incarné par un trio de chanteurs exceptionnels dans une mise en scène au cordeau.
Une héroïne intemporelle
Qui était cette femme passionnément amoureuse, et que l’empereur Titus, à la mort de son père, répudie ? Quel est-il, lui, trop épris d’honneur ou de droiture pour renvoyer cette reine juive qu’il aime depuis cinq ans ? Paulin, son fidèle serviteur, lui enjoint de la laisser partir, retourner chez elle, car le peuple romain veut une romaine et non une immigrée. Tandis qu’Antiochus, l’ami fidèle de Titus, aime la belle reine en secret et se meurt d’amour lui aussi. Trio infernal, secoué par les soubresauts de l’amour et de la politique, et dont l’avenir dénouera tristement chacun de ces destins solitaires. Michael Jarrell a choisi d’isoler le coeur de cette intrigue dont il extrait la sève brûlante, sur une partition très exigeante, colorée et riche, aux accents tumultueux et déchirants. Les sentiment des personnages y sont exposés crûment, cruellement, face public, et leurs contradictions aussi.
Des interprètes de premier ordre
La scénographie de Christian Schmidt souligne la particularité de chacun des univers dans un même palais. Sur la gauche, l’appartement de Bérénice, dont la Canadienne Barbara Hannigan donne une interprétation magnifique et déchirante, en robe de soie rouge sexy, chevelure auburn léonine. Au centre, l’entrée officielle, siège du politique, où Antiochus, incarné par Ivan Ludlow, torturé, bouleversant, se crucifie de désespoir. Enfin à droite, l’appartement de Titus auquel Bo Skovhus, carrure de géant nordique, prête une puissance et une fragilité tout à fait saisissantes. Les projections vidéos subtiles et évocatrices de rocafilm impriment au voile de tulle et sur les murs du palais des scènes de foule mouvante, bruissante, que la création sur ordinateur de Jarrell personnalise à merveille.
Une composition puissante
A la baguette, le chef Philippe Jordan se saisit de la partition en entraînant l’orchestre de manière vaillante, précise. Les cuivres rugissent, les cordes déchirent l’espace en hurlements hystériques, les percussions vont tressaillir une houle lancinante, les orages, les éclairs, la pluie acide ne cessent de modeler l’espace et les esprits au fil d’une tension inéluctable, électrique. Et bien qu’il faille souvent s’aider des surtitres pour comprendre totalement les vers de Racine, le spectacle parvient à une totale harmonie entre musiciens et chanteurs grâce à une mise en scène physique, quasi sportive de Claus Guth, qui plaque les interprètes sur le sol, les faisant ramper à l’horizontale ou basculer en diagonale, dans un déséquilibre constant et justifié par la pièce. Une vraie, belle et totale réussite !
Hélène Kuttner
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