Béatrice et Bénédict – Opéra Comique
Ce spectacle très baroque, dirigé par Emmanuel Krivine et mis en scène par Dan Jemmet, joue avec les règles du théâtre pour la plus grande joie du public.
Véritable mise en abîme du théâtre dans le théâtre et même de l’opéra dans l’opéra, puisque le personnage Somarone ressemble fort à Hector Berlioz tourné en dérision. Ce dernier, à la fin de sa vie – c’est son dernier opéra, composé à 57 ans – pose un regard critique sur lui-même, voire désabusé ; lui, le chef d’orchestre bruyant et fougueux, n’hésite pas avec ironie à le rendre ridicule. Il fait dire à son personnage que son choeur et ses musiciens doivent être prêts à « entendre un chef-d’oeuvre ». Mot que le compositeur Spontini aurait prononcé à ses musiciens et qui aurait fait le tour de l’Europe.
Dan Jemmet fait même intervenir son chanteur dans la salle et élargit ainsi le plateau, transgressant les lois scéniques. Il leur demande de le regarder droit dans les yeux. Or à l’époque, Hector Berlioz est un des premiers compositeurs à réclamer que ses musiciens lui fassent face afin de mieux les diriger.
Le metteur en scène a ajouté un narrateur qui tire les ficelles de la représentation. Les chanteurs lyriques, devenus marionnettes de bois ou superbes poupées de cire s’animent sous sa baguette et à son signal sonore.
Pour remédier aux lacunes du livret rédigé hâtivement par Hector Berlioz qui s’intéressait davantage à la musique, le conteur avec humour relie les scènes en citant le texte de la pièce de Shakespeare. Les visages des chanteurs comme élargis, avec des aplats sur les joues font penser à la commedia dell’arte. Ils font des pirouettes, se déplacent en sautillant, écho de toute l’allégresse à jouer la comédie. Il y a comme un rituel propre à ce genre théâtral vu dans les spectacles de Mario Gonzales. On est en jeu ou pas. Lorsque les chanteurs pendent comme des pantins, la tête en bas, le regard absent et qu’ils s’animent.
La magie du théâtre s’opère. Le spectateur aime à croire qu’ils étaient réellement inanimés et que subitement sous la baguette magique du conteur, ils prennent vie.
Dan Jemmet a disposé un petit théâtre qui s’élève et descend au gré du conteur. Et même un petit théâtre ambulant qui rappelle la scène de Guignol dans lequel Bénédict et Béatrice se tiennent un étrange et irrésistible discours amoureux. Ce fort parti pris fonctionne à merveille et donne un caractère baroque à l’opéra comique. Les costumes cocasses aux couleurs franches – Hero, la jolie poupée de cire, porte sous sa robe des bas rouges – rappellent la douce Rome. Les guerriers ôtent tout en chantant leurs armures en plastiques.
Berlioz a voulu s’amuser en écrivant cet opéra. Les chants sont gais et il n’a retenu de la pièce de Shakespeare que les personnages secondaires, pendants grotesques de Claudio et Hero, très importants dans Beaucoup de bruit pour rien. Christine Rice incarne une vraie brutale, une mégère drôle et sensible, enragée et divine, puissante et vulnérable. La mezzo-soprano chante merveilleusement et enchante par sa gestuelle. Avec force et passion, elle clame son amour tout neuf qui naît en elle et jette à terre, dans son élan, l’être aimé, la véritable marionnette représentant Bénédict. Symboliquement, cela promet… Tout comme le décor l’indique littéralement, Béatrice a baissé les armes. La métaphore se décline d’ailleurs dans ce décor : de superbes statues gigantesques ornent le fond de la scène. Dans le premier acte, elles portent leurs casques, les mains immenses s’avancent ; dans l’acte deux, ces mêmes mains armées d’une épée ou d’un poignard descendent.
Tous les chanteurs ravissent et chantent magnifiquement. Benedict – le ténor Allan Clayton –, extrêmement sympathique, joue la comédie avec talent. Hero est délicieuse de douceur et de tendresse. La soprano Ailish Tynan pétille de joie à l’idée de se marier. Elle irradie. Saluons son superbe duo avec Ursule, la contralto, Élodie Méchain à la fin du premier acte mais aussi le superbe basse Jérôme Varnier en Don Pedro.
Enfin, la chambre philharmonique qui a magnifiquement interprétée cette oeuvre très peu jouée, dirigée par Emmanuel Krivine, donne cette tonalité baroque avec ses instruments anciens résonnant autrement et transportant dans une autre époque.
Marie Torrès
Béatrice et Bénédict
Opéra-comique en deux actes d’Hector Berlioz
Livret d’Hector Berlioz d’après Beaucoup de bruit pour rien de William Shakespeare
Adaptation du livret de Dan Jemmett et Bob Goody
Créé à Baden-Baden le 9 août 1862
Six représentations du 24 février au 6 mars 2010
Direction musicale Emmanuel Krivine
Mise en scène Dan Jemmett
Décors Dick Bird
Costumes Sylvie Martin-Hyszka
Lumières Arnaud Jung
Chorégraphe Cécile Bon
Assistante à la mise en scène Meriam Korichi
Assistant musical Neil Beardmore
Direction du chœur Joël Suhubiette
Béatrice Christine Rice
Bénédict Allan Clayton
Héro Ailish Tynan
Ursule Elodie Méchain
Claudio Edwin Crossley-Mercer
Don Pedro Jérôme Varnier
Somarone Michel Trempont
Leonato Giovani Calò
Alberto (narrateur) Bob Goody
Le messager David Lefort
La Chambre Philharmonique
Production Opéra Comique
Coproduction Grand Théâtre de la Ville de Luxembourg
Coproducteur associé Palazzetto Bru Zane – Centre de musique romantique française
Location : 0825 01 01 23 (0,15€ /mn) et www.opera-comique.com
Salle Favart
M° Richelieu Drouot
[Crédits visuels : © Pierre Grosbois]
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