Barcella : “Ma sensibilité est un moteur, pas un frein”
Ce « Puzzle », c’est une forme d’autoportrait ?
Disons plutôt un carnet de route, ou un journal de bord. Petit à petit, pièce par pièce, je dessine quelque chose depuis plusieurs années. On a souvent du mal à me ranger dans une case précise. Un peu comme un tableau qu’il faut regarder avec un peu de recul, j’avais envie de me dire de comprendre le puzzle que j’essaye de construire depuis quelques années, et qui est d’abord une aventure basée sur les textes. L’écriture est ma première motivation. Puzzle aussi parce que cela fait résonner pour moi le ludique, quelque chose de fantaisiste mais aussi un défi. On ne les finit jamais vraiment, et j’aime l’idée du chemin. Je viens de passer du temps en montagne, et ce n’est pas tellement le sommet qui est important, c’est vraiment le chemin pour y aller.
Quelle tonalité avez-vous souhaité donner à ce troisième album ?
C’est un album plus solaire que les précédents, qui correspond bien à mon envie du moment. Je n’ai plus envie d’aborder la vie sous l’angle de la plainte. Je trouve plus délicat et plus ambitieux aujourd’hui de vivre d’émotions solaires que de se cantonner à dire que le monde ne tourne pas rond. C’est évident, mais si on axe nos mots là-dessus, on ne trouvera pas une nouvelle voie. J’aime beaucoup Bourvil, justement parce qu’il avait tout à fait conscience de la gravité et de la noirceur du monde, mais qu’il passé son temps à faire des chansons plutôt solaires. On lui connaît des chansons tristes, mais c’était un militant du bonheur, des émotions positives.
Qu’est-ce qui a changé ?
L’album s’est construit entre 2013 et 2015. A 33 ans, je suis passé par des bouleversements en tout genre, des désarrois… Avec cet album, est venue l’envie d’arriver sur des sujets existentiels, comme la quête. Que recherche-t-on, finalement, dans nos existences tourmentées ? J’évoque mes questions par rapport au temps, et ces questions évoluent. Le dernier album était marqué par la nostalgie. Comme avec « L’âge d’or », une chanson pleine de références à mon enfance dans les années 80. L’enfance reste pour moi une source d’inspiration inépuisable. Mais Cette fois, j’ai écrit L’ile au trésor, où je passe de l’autre côté – je parle des enfants que j’aurais. Cela correspond bien à ma nouvelle vie de trentenaire…
Dans « Soleil », vous vous décrivez malgré tout comme un « clown mélancolique»…
Bien sûr, j’ai une vague lancinante qui chez moi restera ancrée à vie… Il y a aussi, sur l’album, des chansons anciennes. Parfois il faut garder des chansons de côté, pour l’équilibre de l’album. On part avec une vingtaine de textes, et on cherche le beau relief. Celle-ci a quelques années, je l’avais écris dans une période un peu tourmentée. J’y parle de la cruauté du monde, mais les rythmes sont dansants. Et les chœurs des enfants de Montbéliard lui donnent de l’espoir. Je suis très heureux de les avoir fait venir sur le projet, parce que c’est une histoire de fidélité. J’avais monté à Montbéliard un projet, les « Barcellades » : des ateliers d’écriture avec des maisons de retraite, des gens du voyage, des prisons… Je me nourris de ce qui vient sur mon chemin. Je suis un peu une éponge émotionnelle. Je vibre avec la sensibilité des gens qui m’entourent.
L’humour, chez vous, est parfois assez noir…
Mais l’humour est la première soupape pour dédramatiser les choses graves de la vie ! Je pense à la chanson « Suicide », un sujet qui me touche. Il m’a été plus utile de mettre des mots là-dessus qu’un point final. « Salope », sur la mort, rencontre la sensibilité du public, et ça m’amuse d’entendre ce mot repris en chœur par des familles entières… Je déteste la vulgarité gratuite, mais je pense que les mots sont à choisir et à mettre dans le bon sens. Parler de la mort comme d’une saloperie, quelque chose qui ne devrait pas être, c’est nécessaire… Il y a quelque chose de médicinal dans l’écriture. C’est ce que j’ai envie de transmettre quand je fais des ateliers d’écriture. Si les gens arrivaient à parler, à pleurer, à évacuer les émotions, il y aurait moins de cancers. J’avais de gros problèmes de dos quand je n’arrivais pas à écrire. J’en ai encore, mais je n’ai pas tout écrit. Quand j’ai une grande question existentielle, je fais appel à Brassens ! Et je sais qu’il a traité tous les sujets. « Les Trompettes de la renommée » sont par exemple une chanson extraordinaire sur la vie qui change avec la notoriété…
Musicalement, vous aimez jongler entre différents styles…
J’ai envie d’explorer musicalement des univers très différents, à mi-chemin entre des influences urbaines, et la chanson du passé pour laquelle j’ai une vraie tendresse. Pour avoir grandi dans les années quatre-vingt, j’ai aussi été bercé par IAM, par exemple. Mais même sur des rythmiques assez urbaines, je m’interdis de rapper ou de scander dessus. Mais sur « Soleil , j’ai utilisé un rythme proche d’une batuccada ! Je viens aussi des écoles du cirque. J’ai assisté à beaucoup de spectacle montés par le CNAC – une forme de cirque assez contemporaine dont les créations m’ont nourries. Dans le cirque, il y a une façon de réinventer le temps et l’espace. Un même artiste va devoir à la fois travailler ses acrobaties, ses capacités oratoires, jouer d’un instrument, travailler avec les autres.
Comment naissent vos chansons ?
La mélodie vient ; après seulement, je pose le texte. Je dois intérioriser les choses, les comprendre avant d’écrire. Ma mère est prof de lettres, j’ai été bercé par une amoureuse des mots. J’écris par rapport à ce que je découvre, de moi et des autres. Dans « Fragile », je transpose ma fragilité personnelle dans les yeux d’une femme. Cette fragilité, je la considère comme une force. Le jour où j’ai compris que ma sensibilité était un moteur, et pas un frein, tout est devenu possible !
Vous êtes un grand lecteur ?
J’ai plus une culture de l’image qu’une culture du livre. Pour une raison très personnelle : mon métier m’a beaucoup abîmé les yeux et je lis très lentement. Par contre, la photo me passionne. Comme celles de Nan Goldin – qui a une vision assez terrible du monde. Ou Diane Arbus, par exemple quand elle a travaillé sur le côté solaire des trisomiques. On les voit rire, dans des situations cocasses, ce sont des photos pleines d’espoir. Au cinéma, j’aime les vrais scénarios, ceux qui me surprennent. J’aime la capacité, chez les artistes, à m’emmener vers ce à quoi je ne m’attendais pas. Ce qui me plait, c’est ce qu’on n’arrive pas à faire entrer dans une case.
Pourquoi ce duo avec Emilie Loizeau ?
C’est une amie, et une artiste dont j’aime le parcours et la plume. Elle a son empreinte vocale, sa musicalité, sa manière de conter, aussi… Je suis flatté qu’elle ait accepté ! Elle est arrivée avec une voix un peu plus basse, qu’on lui connaît moins, pour donner quelque chose d’assez érotique, une force, une douceur.
Vous avez aussi fait venir Leeroy pour une chanson très ludique…
J’étais un afficionado du Saïan Soupa Crew. Ils étaient arrivés un peu comme des ovnis pour réinventer une manière de jouer avec les mots dans le rap français. Tous les projets un peu à part me parlent. Il est venu me voir par curiosité à la Cigale, parce qu’on avait travaillé avec le même réalisateur, et nous avons eu l’idée de ce duo. Il s’est construit de manière très ludique. J’aime ce morceau, on se marre dedans et ce sont de vrais fous rires de studio, qui donnent une empreinte très sincère. Ce n’est pas évident, en studio, de convoquer une émotion d’il y a quelques années, mais là tout s’est fait très vite.
Cette dimension joyeuse, ludique, elle est très présente quand vous êtes sur scène…
Il faut bien penser qu’on a une vie de routier. Au cours des derniers jours, je suis allé à Montpellier, Rennes, Vesoul, Niort… Pour un concert de deux heures, on fait quinze heures de camion… Il est hors de question que je passe à côté de mon émotion ! Sinon ça n’aurait aucun sens. L’adrénaline, chez moi, produit cet émerveillement qui fait que je me transforme un peu. Hier, je suis monté au balcon à Vesoul, alors que j’ai des problèmes de dos, avec une force que je ne me connaissais pas… On recrée l’espace. Souvent, c’est un peu figé, un concert.
Comment instaurez-vous ce jeu ?
Etant amoureux des cultures circassiennes, j’ai par exemple créé des perchoirs, des tabourets avec lequel je finis parmi les gens. Je considère que c’est une aventure réciproque, entre curiosité et générosité des gens qui viennent nous voir, et notre envie de partager les chansons. Je n’aime pas l’idée d’une star, cette étoile morte. J’ai écrit des chansons pour aller vers les autres, effacer une timidité ou une pudeur naturelle. J’aime finir au milieu du public, sentir la chaleur de ces âmes autour de la mienne. Ca me réconforte, ça donne un sens à cette aventure. Beaucoup d’artistes que j’aime ont un trajet dans le temps, avec une dimension humaine forte, parce qu’ils ont trouvé leur public. Je pense aux Ogres de Barback, à Aldebert, à Debout sur le zinc. Pour moi, tout doit ramener au spectacle vivant…
Actuellement en tournée. Le 5 novembre au Trianon (Paris), le 14 novembre à Metz, le 12 décembre à Arras, etc..
http://www.barcella.fr
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