Lady Gaga à gogo – Galerie Chappe
Dialogue croisé avec Alexandre Gilbert, galeriste et Alexandra Boucherifi, commissaire d’expo, sur cette exposition regroupant des costumes originaux de Lady Gaga, des œuvres d’Orlan et d’Aurèle, et d’autres jeunes artistes inspirés par ce fameux monstre de célébrité.
Une exposition sur Pete Doherty en 2008, une sur Michel Gondry avec « L’épine dans le cœur » et Wes Anderson avec « Fantastic Mister fox », et enfin une sur lady Gaga… jusqu’où ne s’arrêtera pas la galerie Chappe ?
AG : J’aime bien cette question. Je me demandais récemment si je devais faire la première exposition de Beyonce en France, mais Alexandra pense qu’elle est moins intéressante que Lady Gaga, même si Beyoncé est plus jolie ! Lady Gaga est bien plus intelligente, elle mène sa carrière d’une main de fer. Donc jusqu’où ira la galerie Chappe ? Je vais continuer à faire des lancements de films, c’est un domaine où j’ai encore des choses à apporter. Je suis très tenté par les films de Woody Allen, de Scorcese, les séries de HBO ; on peut faire des passerelles intéressantes avec le monde de l’art.
Comment celui-ci accueille-t-il votre démarche ? Ne vous trouve-t-il pas insuffisamment élitiste ?
AG : Le cinéma et l’art constituent un couple incestueux sans remords, alors que la musique et l’art ne se rencontrent jamais. Les créateurs de musiques ne se retrouvent jamais dans les foires, en tout cas c’est rarissime. L’exposition de Patti Smith à la Fondation cartier a été une déception, pour ce qui est de la cote de l’artiste. Celle de Ron Wood, dans les années 1980, attendu comme un événement formidable, la première expo d’un des Rolling Stones, en France, n’a pas du tout marché : il y avait dix personnes au vernissage. Les expositions de photos de concert restent dans une niche extrêmement marginale. Le mariage musique/art n’est pas consommé. Ce qui m’intéresse, notamment dans une exposition comme celle-ci, c’est de prouver que des artistes musicaux peuvent détenir une cote importante dans le monde de l’art.
Parlez-moi de votre travail sur l’exposition « Lady Gaga à gogo ».
AB : Pour ce qui est de la partie mode, les créateurs représentés, qu’ils soient venus des États-Unis ou de Grande-Bretagne, se sont rendus compte qu’on avait vraiment pris soin de leurs modèles, et qu’on les avait agencés intelligemment par rapport aux œuvres artistiques. Nous n’avons pas la prétention de faire passer les jeunes artistes exposés pour de très grands artistes côtés. L’intérêt était de faire cohabiter plusieurs portraits, de différentes techniques, à la façon des portraits de familles dans les vieilles demeures. Une famille où il n’y aurait que Lady Gaga. Gaga est extrêmement cultivée et elle a une solide connaissance du monde de l’art. Sa robe en viande (que nous n’avons pas car elle est conservée à -22 °) est une référence à une œuvre de Jana Sterbak. Gaga l’a portée car elle est ultra féministe. Elle a la même démarche que Leigh Bowery : chacune des ses sorties est une performance artistique, elle se maquille pendant des heures, elle étudie chacune de ses tenues. Elle est la fille spirituelle de Warhol, ayant créée sa propre factory, « Haus of Gaga ».
Donc quand elle déclare avoir comme ambition suprême une exposition qui lui soit consacrée au Louvre, vous la rejoignez ?
AB : Je pensais qu’elle voulait exposer ses propres œuvres, comme en juillet à Londres où elle a exposé un urinoir, la version horizontale de la fontaine de Duchamp. Mais non, elle veut s’exposer elle-même !
AG : Oui, elle parle d’un walking art : son argument est que le Louvre est le musée le plus visité du monde. Mais ce qui est intéressant avec la galerie Chappe, c’est qu’il y a plus de passage à Montmartre qu’au Louvre ! 10 millions de touristes par an ! Montmartre lui-même est un lieu extrêmement référence dans le cinéma, que les réalisateurs recherchent et incorporent à leurs films.
AB : J’ai tout de suite pensé à Alexandre et à la galerie Chappe pour la première exposition en France de Lady Gaga ici, par rapport à la programmation habituelle de la galerie. Alexandre arrive à combiner plusieurs champs culturels. Lady Gaga fait elle aussi beaucoup d’allusions au cinéma, comme à « Métropolis » de Fritz Lang dans le clip « Alejandro », qu’elle s’est battue pour produire.
Le fait que Lady Gaga ait annulé ses deux dates pénalise-t-il l’exposition ?
AG : Il n’y a aucun rapport entre les programmations de concert, la machine marketing, et cette exposition. L’avantage de notre indépendance, c’est la totale liberté des artistes, et leur exploitation d’images libres de droit. Nous voulions faire un événement où Lady Gaga disparaît. On pourrait croire que les références des artistes à Hello Kitty, à Lichtenstein, au street art, représentent n’importe quelle jeune fille de 25 ans, qui veut devenir une starlette. Même les robes exposées font plus référence aux créateurs qu’à l’artiste elle-même. D’ailleurs les créateurs ne l’ont jamais rencontrée. C’est-à-dire que nous formons une sorte de société secrète autour d’un personnage qui n’existe presque pas. Une société secrète qui s’est retrouvée le soir du vernissage, à danser sur le zinc du « Progrès », et sur des tubes de Lady Gaga !
AB : L’annulation du concert n’a aucune incidence puisque le propos de “Lady Gaga à gogo” n’est pas une prestation scénique mais une performance, un propos artistique. J’ai choisi avec rigueur les pièces exposées et l’exposition est plébiscitée par les medias partout en Europe, les fans et les couturiers, créateurs et artistes exposés. D’ailleurs, la plupart d’entre eux se sont déplacés de New York, Los Angeles et Londres pour assister au vernissage. Le public, quant à lui, est enchanté de voir les pièces de mode de près et la galerie de portraits sur la jeune diva. Ils sont certainement un peu moins déçus d’être “montés à Paris” pour les concerts. Tous les retours que j’ai sont constructifs et “lovely”. Et pour finir, je pense que Lady Gaga manie très bien les références à l’art, ce qui justifie amplement une exposition à son effigie en dépit de son jeune âge. Je suis très heureuse de l’avoir imaginée et de la réaliser. Le plaisir étant partagé, que demander de plus ?
Propos recueillis par Mathilde de Beaune
Lire aussi sur Artistik Rezo :
– Lady Gaga à la Reflex Gallery
– Lady Gaga en France
Lady Gaga à gogo
Du 22 au 30 octobre 2010, de 14h à 20h
Galerie Chappe
4, rue André Barsacq
75018 Paris
[En haut : Vue de l’exposition. De gauche à droite : Gwenaël Billaud, Steven Passaro, Sich. En bas : Lauren Machen, créatrice de la couronne noire vue sur Lady Gaga dans le clip « Bad Romance »]
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