Antoine Manesse : « Le plus important dans un album, c’est l’histoire que l‘on raconte. »
Antoine Manesse est le directeur artistique de Dloaw & Co, un label de musique spécialisé dans l’abstract hip hop, le trip-hop et le downtempo. Rencontre avec un professionnel passionné, pour qui émotion et relationnel sont les maîtres-mots.
Parle-moi de l’histoire de Dloaw & Co. Comment passe-t-on du statut de chaîne YouTube à celui de label de musique instrumentale ?
C’est parti d’une chaîne YouTube. J’ai commencé à faire du digging, c’est-à-dire à chercher de nouveaux artistes et à les partager sur YouTube. C’était en 2010, avant le phénomène de chaînes musicales. Je partageais des sons et des couvertures d’albums, à l’ancienne, entre potes. J’uploadais des artistes, que je contactais pour obtenir leur autorisation, par respect. De fil en aiguille, j’ai créé des connexions avec ces artistes. Des artistes émergents, qui ne le sont plus forcément aujourd’hui, comme Fakear, Hugo Kant, Mononome, etc.
On a ensuite fait deux compilations [The Secret Garden, 2012 et Secret Garden 2, 2013]. Puis, on a commencé à sortir des artistes individuellement, sans vraiment être structuré. Parce que c’était des potes, on faisait sans contrat, comme de l’auto-prod, en indé. Aujourd’hui, on a cadré un peu plus le truc. On vient de passer d’une association à une S.A.R.L. C’est un label de production, mais on est aussi impliqué dans le management d’artistes, les tournées, l’édition, les partenariats.
Dloaw & Co, c’est aussi la production des soirées Noble Silence…
J’ai commencé à faire ça avec le groupe Il:lo [un duo français de downtempo]. C’est un groupe de musique à la base, qui souhaitait s’autoproduire en soirée et trouvait donc intelligent d’utiliser le label. C’est parti d’une discussion à trois. Après, j’ai continué et on s’amuse !
Où l’activité est-elle basée ?
Je suis bruxellois. J’ai vécu en Grèce. Maintenant, je suis à Paris, mais ça reste international finalement. On discute avec des artistes de partout. Même l’équipe est éclatée : la partie admin est à Angers, la com et la prod sont à Paris depuis peu, notre graphiste à Riga. On est une dizaine, avec les bénévoles.
Le label Dloaw & Co concentre son activité autour de l’abstract hip hop, de la trip hop et du downtempo : comment s’est-il positionné ainsi ?
J’aime tout, sauf ce qui fait du bruit pour rien : j’écoute du reggae dub au rock, en passant par la soul / funk / disco et de la world musique. J’aime beaucoup le rock psyché des années 1960-1970 et les groupes soul / funk /disco de la scène underground. Pour la chaîne, je me suis focalisé sur un style de musique : l’instrumental hip-hop et le trip-hop. Des musiques intéressantes qui fusionnent, pleines d’émotion. Je retrouve dans le trip-hop, le beat hip hop et le downtempo les différents styles que j’ai écoutés dans mon enfance et adolescence.
Le label, c’était la suite logique de la chaîne. La ligne éditoriale a donné une direction au label, ce qui a permis d’avoir un réseau. C’est plus facile d’avancer en tant que label dans un style que tu maîtrises déjà, plutôt que de créer un label où tu ne connais personne. Après, tout s’est fait naturellement. Quand j’ai crée ces chaînes, je n’avais pas de but, en dehors de partager de la musique.
Quelle est la place des musiques ambient sur le marché ?
C’est un secteur qui reste assez large. Tu peux y inclure Fakear, par exemple. Et ça marche extrêmement bien. Le concernant, il joue en live et remplit des salles énormes, comme tu peux avoir du lo-fi que tu écoutes chez toi, que tu ne pourras jamais jouer en live parce que c’est trop atmosphérique. En fait, il y a un panel assez hybride. On ne sait pas encore bien définir ce genre. On dit que c’est de l’électro, du trip-hop, du beat hip-hop. Ça dépend.
Il y a des artistes qui arrivent à l’exploiter en live, ce qui donne une autre dimension. Ainsi, pour Boogie Belgique, il y a beaucoup d’instruments et une chanteuse, ce qui prend de suite sur scène. Leur version studio et leur version live sont différentes. Ils font des arrangements pour le live. Puis, un album est souvent porté par une tournée.
Le catalogue du label regroupe des artistes des quatre coins du monde. Comment la signature et la production d’un artiste s’organisent-elles ?
Ça se fait au feeling, tout naturellement. Je ne contacte pas un mec en disant “lui, je vais le signer absolument !”. C’est avant tout une aventure humaine, une rencontre. L’artiste doit se sentir bien et moi aussi. Je dois aimer leur musique, et eux accepter mes avis.
On travaille beaucoup à distance. L’artiste envoie une démo, je demande à faire une direction artistique. C’est ce que j‘ai fait avec Mounika [pour l’album How Are You?]. C’est un vrai travail de directeur d’artiste, car tu l’accompagnes de A à Z : couverture, choix du graphiste, de l’ingé son, du vidéaste… et surtout la sélection des pistes et l’histoire que l‘on raconte dans l’album.
S’il n’y a pas d’histoire, pour moi ce n’est pas un bon album. Après, c’est subjectif ! Ça dépend de l’artiste, de ce qu’il attend et de comment il veut avancer. Le but est d’accompagner chacun dans son projet, de l’aider à trouver des partenaires, des bookers, un manager, puis de l’accompagner sur la stratégie de com et la sortie. Le label donne accès à des outils.
Vous travaillez en ce moment sur plusieurs projets. Peux-tu m’en dire plus ?
Pour l’instant, on est sur Roger Molls, un très bon album qui s’appelle Melography. C’est une musique avec beaucoup d’éléments. Il a collaboré avec douze musiciens, dont un quatuor. L’idée est de prendre des samples de styles variés, d’époques différentes et de les rejouer à sa sauce. On a sorti le premier single, en featuring avec le rappeur montréalais Slick Jack, le 7 décembre.
Ensuite, il y a Boogie Belgique, un groupe belge qui fait de l’instrumental. C’est à la base un beatmaker, qui s’est fait une équipe de musiciens. Leur truc, c’est la mélancolie, avec un peu de swing hop. Leur premier single, Chicago, est sorti en mai dernier. Le deuxième single, Memory, le 30 novembre.
Et puis Zackarose, Boztown, Mani Deïz, Neroche, etc.
Comment Dloaw & Co s’est-il fait une place sur le marché des musiques électroniques et instrumentales ?
Naturellement, grâce aux sélections sur les chaînes. C’est en tout cas ce qui ressort des réactions des gens croisés en soirée, du soutien des artistes, etc. En fait, la chaîne est identifiée pour ce style-là. Or, une chaîne, c’est un peu comme un média : c’est triangulaire. Si les artistes et la ligne éditoriale plaisent, les gens vont régulièrement aller la voir. Le fait de mettre en avant des artistes fait qu’eux aussi mettent en avant la chaîne.
Et, de mon côté, je suis toujours excité d’upload, une piste que j’aime beaucoup. C’est donnant-donnant. Les gens sont abonnés pour la musique. La bonne audience crée un noyau dur de gens qui viennent aux soirées organisées dans les grandes villes. La chaîne a un peu donné confiance au public.
Propos recueillis par Laura Gervois
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