Anne Teresa De Keersmaeker dédouble Mozart par la danse et le chant
Cosi Fan Tutte De Wolfgang Amadeus Mozart Mise en scène et chorégraphie Anne Teresa De Keersmaeker Avec Jacquelyn Wagner/ Ida Falk-Winland, Michele Losier/ Stephanie Lauricella, Frederic Antoun/Cyrille Dubois, Philippe Sly/Edwin Crossley-Mercer, Paulo Szot/Simone Del Savio, Ginger Costa-Jackson/Maria Celeng En alternance à 19h30 ou dilmanche 14h30 Tarifs : de 10 à 210 euros Réservation en ligne ou par tél. au 08 92 89 90 90 (0,35 E mn) Durée : 3h40 avec entracte Palais Garnier |
Jusqu’au 19 février 2017
De jeunes chanteurs doublés par des danseurs aguerris, dessinant sur un plateau nu une géométrie séduisante de corps et de coeurs, pour tenter la plus dangereuse des expériences amoureuses, celle du déni et de l’oubli ? C’est le pari de la chorégraphe flamande Anne Teresa De Keersmaeker qui brouille savamment les pistes de l’intrigue avec la complicité de Philippe Jordan à la direction d’orchestre. Un Mozart des Lumières qui brandit tous ses rayons avec de jeunes chanteurs célestes. Un terrain de jeuMusique céleste, arias divines qui rendent les jeunes filles si désirables, Mozart, à un an de sa mort précoce (1790) et un an après la Révolution Française, s’amuse à composer une histoire incroyable où les hommes et les femmes, par simple jeu mais grave défi, cherchent à éprouver leur mutuelle fidélité. Misogyne pour les uns, car la tentation pousse l’une des héroïnes à tromper son fiancé, féministe pour les autres, où les hommes, censés être partis à la guerre, réapparaissent sous un grossier déguisement pour surveiller leurs amoureuses et moquer leur comportements en parfaits machos, le livret de Da Ponte oscille constamment entre la fantaisie ludique et le dilemme philosophique. Sagesse et désir, raison et passion, vie et mort s’opposent en permanence dans ce passionnant opéra pétri d’une suave mélancolie et ou la musique exprime au plus haut point les tourments des jeunes amoureux. Corps en lutte Il n’y a rien de plus pur, de plus vide que cet immense plateau tout blanc baigné d’une lumière boréale, conçus par Jan Versweyveld. Cerné par des panneaux transparents de plexiglass, l’air et l’espace ne font qu’un, tandis que les personnages, chanteurs doublés par des danseurs, épousent en arc de cercle l’une des figures géométriques. Le coeur et l’esprit, Ida Falk-Winland (Fiordiligi) doublée par Cynthia Loemij et Stephanie Lauricella (Dorabella) doublée par Samantha van Wissen, se voient soudain abandonnées par Cyrille Dubois (Ferrando) et Guglielmo (Edwin Crossley-Mercer), et leurs doubles complices Julien Monty et Michaël Pomero. La mise en scène quasi statique, comme un conseil de guerre où les stratégies se mettent en place dans le plus grand secret, surprend dans un opéra dont les passions débridées animent souvent les personnages dans une confusion sentimentale effervescente entre Beaumarchais et Marivaux. Et qui se délitent Dans le second acte et ensuite, les corps vont se libérer, et les postures altières des deux héroïnes verront leur doublure dansante s’animer de heurts, se casser, ébaucher des ruptures, projeter ports de tête et jambes à l’horizontale. Le chant, voluptueux par les aigus puissants et la précison veloutée des harmoniques, ensorcelle l’oreille quand la danse se révolte, contrefait et protège. Cet incessant mouvement de va et vient entre le chant et la danse, qui peut agacer ou surprendre, est à certains moments extrêmement subtil tant il exprime les mouvement internes de la conscience des personnages. Quand il ne mime pas l’action, le danseur est tout entier l’interprète de la pensée fantasmée du personnage. Don Alfonso (Simone Del Savio), initiateur de ce poker menteur et grand conseiller de la Raison, accompagné par Bostjan Antoncic, court de l’un à l’autre, cape noire au vent, tolérance qu’il partage avec Despina (Maria Celeng) la servante au coeur libre, porte parole déluré de la révolte des femmes, avec sa complice Marie Goudot. Musique et sentiments Il y a dans ce spectacle une pureté abstraite, une perfection formelle, une sobriété et une radicalité esthétique qui sont la marque de la chorégraphe dans son élégant vocabulaire. Nous n’avons pas droit au chocolat mousseux que confectionne Despina avec une sensualité gourmande Despina, dans son costume new âge d’un blanc coquille d’oeuf (An D’Huys). Il faut l’imaginer comme une métaphore de la narration : le chocolat confectionné sera la liberté des femmes, à hauteur des mensonges et fariboles de leurs fiancés. Dans le deuxième acte, portés par des diagonales infinies et des arabesques aux douceurs de printemps, chanteurs et danseurs s’unissent comme des choeurs agissant, témoignant d’une même angoisse de vie, d’une même mélancolie jusqu’au dénouement final, qui n’a rien non plus d’un « happy hend » A la baguette Philippe Jordan est plus attentif que jamais, assurant merveilleusement l’équilibre de l’orchestre et les tempi contrastés de l’oeuvre. Un « Cosi » étonnant, doux et tendre à la fois, raffiné et glacé, mais porté par des voix formidablement présentes et généreuses. Hélène Kuttner [Crédits Photos : © Anne Van Aershot ] |
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