Ami Yerewolo : “La musique m’a permis de me battre pour ce que je veux, d’être forte et déterminée”
Rencontre avec Ami Yerewolo, la première rappeuse à s’être lancée au Mali, en tournée en France cette année. Pour donner la force à d’autres femmes de concrétiser leurs projets dans la musique, elle a créé son propre festival, “Le Mali a des rappeuses”, en 2017.
Que signifie ton nom d’artiste, “Yerewolo” ?
“Yerewolo” est un mot qui vient du Mali et qui désigne quelqu’un de digne, de fier, qui sait d’où il vient et où il va. Ce sont les vraies valeurs de chez nous. Partout où je serai dans le monde, je penserai à ma dignité, mes origines, et ça me permettra de faire les choix qui vont avec.
Peux-tu décrire ton style musical en quelques mots ?
Mon troisième album ressemble à du rap afro-house. Il n’est pas 100% rap, il y a des mélanges, de la sonorité africaine. J’aime rapper mais on est dans une époque où les gens aiment danser et n’aiment pas quand c’est trop sérieux, donc il y a aussi un petit côté fou dans mes musiques.
Comment as-tu commencé dans la musique ? Quel a été ton parcours et les obstacles rencontrés en chemin ?
J’ai commencé à rapper pour la première fois en 2006, mais ça n’a pas duré car à l’époque je devais préparer mon bac. Je m’y suis finalement remise en 2009 et je n’ai plus arrêté depuis. Je fais du hip-hop, c’est un style qui n’est pas de chez nous et qui est très mal vu au Mali, encore plus quand c’est pratiqué par des femmes… J’ai donc traversé pas mal d’obstacles car il existe encore certains codes pour les femmes au Mali. De plus, il n’y avait aucune référence féminine pour me montrer que les femmes pouvaient aussi arriver à un certain niveau. Non seulement je me lançais dans l’inconnu, mais en plus ce n’était pas accepté par la société. Même dans le milieu, on rencontre beaucoup de machos… Mon objectif a toujours été le même depuis le départ : je me disais que si cette culture existait, nous pouvions l’adapter chez nous et essayer de faire de belles choses avec. Je n’ai jamais pris de cours de rap. Je me suis dit que je possédais ce talent naturellement et qu’il fallait que je me batte pour que le monde entier puisse écouter ce que j’avais à dire et peut-être l’accepter. L’obstacle fait partie du projet et c’est d’ailleurs ce qui me motive au quotidien, ce qui me donne les mots et les textes aussi.
Peux-tu nous dévoiler la signification des titres Y bamba et Je gère ?
“Y bamba” c’est la persévérance. Dans Je gère, je parle des gens qui aiment trop se mêler de la vie des autres, leur dire ce qu’ils doivent faire de leur vie, les guider… Avec ce titre, j’avais envie de dire : “Laissez-moi, je sais gérer ma vie, prendre mes décisions. Quand ça ne va pas, vous n’êtes pas là.”
Pour quelles raisons as-tu créé ton Festival “Le Mali a des rappeuses” ?
J’ai créé ce festival en 2017 car j’étais la première rappeuse au Mali et ça a été difficile d’en arriver là. J’ai dû faire beaucoup de sacrifices alors que les hommes eux, ne sont pas obligés d’en faire autant pour être acceptés dans ce milieu. Je me suis demandé ce que je pouvais faire pour que les filles qui viendraient après moi puissent faire du rap, ou autre chose, aient des repères, soient guidées et ne se retrouvent pas à l’écart. C’est la raison principale pour laquelle j’ai créé ce tremplin. À la base c’était juste un moyen de rencontrer les rappeuses, échanger avec elles sur leurs expériences, puis au fur et à mesure s’est posée la question de monter un festival. J’ai créé un espace pour que toutes les rappeuses ou jeunes femmes intéressées par la culture puissent s’exprimer, partager des choses, avec des scènes 100% féminines, afin de mettre en valeur ce qu’elles étaient en train de faire. Nous préparons actuellement la cinquième édition du festival, prévue pour 2022. Généralement, le festival se déroule à Bamako mais l’objectif est de se déplacer dans différentes régions du Mali.
Peux-tu nous en dire plus sur ton rapport à la musique ? Qu’est-ce que le rap t’apporte ?
Très tôt, la musique m’a éduquée. J’ai compris que je voulais évoluer là-dedans et je me suis alors demandé comment organiser ma vie autour de ça : je me suis lancée, fixé des objectifs. Aller dans la musique m’a permis de me battre pour ce que je voulais, d’être forte et déterminée.
Grâce à la musique, j’ai créé un personnage différent de ma personne. Quand je rappe sur scène je me lâche, je dis les choses, alors que dans la vie de tous les jours je suis quelqu’un de plus réservé, qui aime être dans son coin. Je pense que ces deux personnes sont en moi : l’artiste rebelle Ami Yerewolo qui, à travers toutes les frustrations qu’elle a vécues dans sa vie, a créé un personnage pour essayer de se battre. Puis de l’autre côté, il y a cette femme qui a été éduquée dans une société où la femme doit se comporter d’une certaine manière, celle qui essaie de tenir dans ce cadre.
Quelles sont tes sources d’inspiration ?
Le Mali est une grande source d’inspiration. J’y suis née, j’y ai grandi et c’est la musique qui m’a fait sortir de chez moi. Tout ce que j’ai appris vient de là-bas. Après quand on voyage, on prend certaines choses qui ne sont pas forcément de chez nous mais qui nous inspirent et nous influencent. Donc je dirais que mon parcours et la vie m’ont aussi inspirée. J’aime également beaucoup les musiques traditionnelles et du monde.
Tu te montres proche de ton public, en réalisant par exemple des concerts dans des centres sociaux et culturels. Qu’est-ce que cela t’apporte ?
Dans chaque centre, j’apprends car il y a toujours quelque chose de différent : le public, l’accueil. Le plus important c’est le contact humain, qui est toujours agréable. On se sent tout de suite acceptée. Partout où je vais, même si je parle en bambara, les gens sont avec moi, dansent avec moi, et c’est que du bonheur.
Peux-tu nous dévoiler certains de tes projets à venir ?
On a fini notre tournée le 15 novembre dernier. Je retourne donc au Mali avant de revenir en France en décembre pour d’autres dates. En ce moment, j’essaie de suivre des formations pour pérenniser le festival “Le Mali a des rappeuses”, en créant un centre culturel en parallèle du festival, pour que le projet puisse continuer, qu’il y ait un travail effectué sur toute l’année. C’est le gros projet sur lequel je me concentre, parallèlement à mon travail d’artiste.
Propos recueillis par Esther Bara
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