À la rencontre d’Ensemble Chakâm : lauréates du Prix du Public et des étudiants ICART Sessions
Lundi 8 mars avait lieu la finale d’ICART Sessions, tremplin des artistes émergents qui vise à promouvoir la diversité musicale et culturelle. Un projet porté par les étudiants du MBA Ingénierie culturelle et Management de l’ICART, école de référence des métiers de la culture et du marché de l’art. Nous sommes allés à la rencontre de Ensemble Chakâm, gagnantes du Prix du Public et des étudiants.
Pour commencer, pouvez-vous nous raconter la place et l’influence qu’a eu la musique pour chacune d’entre vous ?
Sogol : La musique occupe une place primordiale dans ma vie. J’ai commencé l’apprentissage du solfège et du sétâr (le luth iranien) très jeune. J’étais la première dans ma famille à avoir pris cette voie, ce qui implique que c’est moi qui suis allée à la musique et non l’inverse. Après le Collège musical de Téhéran (le conservatoire), j’ai rejoint la France pour poursuivre des études de musicologie à l’université tout en développant ma carrière de concertiste.
Christine : La musique a toujours été une amie, je n’ai jamais douté d’elle. Au départ ce n’est pas moi qui l’ai choisie puisque je suis née dans une famille de musicien.ne.s, mais j’ai très vite réalisé que je ne pourrais jamais m’en passer.
Depuis toujours et bien souvent mon chant parle pour moi. J’ai ensuite trouvé dans le qanoun une infinité de possibilités (que je ne pourrais jamais avoir dans aucune langue) pour exprimer mes sentiments et mes pensées : les nuances et les couleurs sonores de cet instrument complètent parfois ma voix en lui donnant du mouvement ou de la stabilité. Le qanoun est comme une ancre vers laquelle ma voix peut toujours revenir et l’alliance entre les deux donne de espace à l’exaltation, au chagrin et à un grand spectre d’émotions pour s’exprimer.
Marie-Suzanne : En choisissant la viole je voulais fabriquer le son moi-même, je voyais l’archet comme un grand pinceau en prise avec de la matière à modeler, à polir ou à triturer. Jouer d’un instrument c’est se mettre à respirer différemment et être traversée par de la vibration, c’est aussi un support pour s’élaborer, un outil pour se gravir soi-même. Et par-dessus tout c’est un moyen d’être en lien et de créer du commun en rencontrant des personnes avec des trajectoires et des approches parfois très éloignées des tiennes. J’ai commencé par la musique baroque et j’ai suivi le fil de ces rencontres qui m’ont menées vers la musique expérimentale, la chanson française, la musique kurde, iranienne, la musique contemporaine, l’image, la danse… chacun de ces univers révèle une facette de moi et m’offre un espace où me réinventer.
Comment et pourquoi avoir choisi de vous y consacrer, que ce soit dans la pratique ou dans vos formations ?
Christine : Composer ou jouer vient d’une forte envie de partager des histoires sur notre passé et notre présent. C’est une expérience sacrée qui nous place en tant que musicien.ne, sur un même niveau d’énergie et de communication avec le public, afin de donner et de recevoir. Je suis convaincue que nous avons besoin de l’art, et plus particulièrement de la musique, pour lutter contre un mode de vie très sec, dévoreur d’âme et nihiliste, qui vient de toute l’obscurité que nous les humains nous nous sommes infligée les uns aux autres.
Quand je compose j’ai l’impression de recréer mon monde intérieur et de remodeler ma perception de moi-même. On dit que grandir dans la vie c’est se rapprocher lentement de la mort. Pour moi, lorsque vous traversez la vie avec la musique à vos côtés qui vous remplit, le sentiment d’écoulement inexorable du temps perd de sa pesanteur : les idées, l’âme, les expériences intimes et la conscience deviennent intemporelles.
Sogol : Je m’en souviens comme si c’était hier : j’avais 14 ans, je prenais des cours particuliers de Sétâr à l’époque et un soir, alors que je passais devant la télé du salon chez moi, je tombe sur un reportage sur le Collège musical de Téhéran. Je ne savais même pas qu’un tel endroit pouvait exister, surtout qu’en Iran les instruments ne sont jamais montrés à la télévision, ni d’ailleurs les musiciens qui en jouent. Ça a été un vrai choc pour moi, tout est devenu évident : moi aussi, je voulais apprendre et jouer dans ce Collège.
Après avoir terminé le Collège musical, j’ai décidé de partir d’Iran pour pouvoir continuer mes études dans un cadre universitaire, mais aussi pour élargir mon horizon. Se consacrer à la musique dans un pays étranger est un véritable challenge.
J’ai décidé d’organiser mon propre concert solo en 2013 au centre Mandapa à Paris, expérience qui m’a par la suite ouvert de nouvelles opportunités en m’ayant fait connaître auprès d’autres artistes plus en vue en France. J’ai gagné en confiance, ce qui m’a permis de continuer à jouer et de proposer des collaborations : c’est dans ce cadre qu’est né en 2014 la première version de Chakâm, en duo. J’ai alors rencontré Mathieu Clavel, musicien et acteur culturel qui a véritablement œuvré pour que Chakâm se fasse connaître sur plusieurs scènes, comme en Australie, en Italie et en Suisse. C’est dans ce dernier pays que, parallèlement à ma carrière de concertiste, j’ai pu intégrer les Ateliers d’ethnomusicologie de Genève pour y donner des cours de târ et de sétâr.
S’agissant du choix de me consacrer à la musique, je pense que cela s’est fait tout naturellement, presque instinctivement. Peut-être que la musique m‘offre la possibilité d’un monde un peu en marge de la réalité, un monde qu’on modèle comme on l’entend : mais les rencontres que j’ai faites et la découverte d’un pays différent m’ont amené je crois à ne jamais séparer l’imaginaire et la réalité et, au contraire, à tout faire pour qu’ils se nourrissent l’un l’autre.
Marie-Suzanne : Choisir la musique c’est être en questionnement permanent, tes points de forces ne sont jamais au même endroit et tu dois négocier avec ta vulnérabilité. Jouer c’est ma façon d’être dans le monde. Dans le contexte actuel on ressent ce besoin d’être ensemble et de faire corps. Le moment du concert ou du spectacle permet ça : il crée un territoire à l’intérieur duquel on est parmi les autres tout en étant dans sa propre intériorité, territoire dans lequel on peut être mis en mouvement et où se déploient des imaginaires.
Cet ensemble représente une belle mixité, que souhaitez-vous transmettre à travers votre musique ? Qu’est-ce qui vous inspire, comment mélangez-vous les influences lors de vos compositions ?
Sogol : Nous nous sommes aperçues que cette mixité comme vous dites, pouvait surprendre un public qui serait venu par exemple écouter plutôt du qanoun et qui découvrirait par la même occasion des compositions marquées par la musique iranienne ou bien la sonorité d’une viole de gambe.
Le point de départ d’une pièce que j’écris est certes profondément personnel, mais dès lors que je la fait entendre au groupe et qu’on la travaille à trois, le morceau se détache de moi et devient un objet commun. Pour moi ce travail d’ajustement à trois agit comme un révélateur photographique: il rend perceptible des images, des émotions qui étaient là mais pas encore visibles. Nous sommes chacune irriguées par les musiques que l’on a étudiées ou côtoyées : la musique classique iranienne, la musique traditionnelle palestinienne, le jazz, la musique baroque et classique européenne, la musique contemporaine… Christine et Marie-Suzanne vont distiller leurs influences (par un accent décalé, une formule rythmique, un accord inattendu, un mode de jeu, un phrasé …) et c’est du tissage de tout ça que va surgir notre musique. Puis dès lors que nos morceaux sont entendus, ils appartiennent autant à nous qu’à celles et ceux qui vont résonner avec.
Votre formation au sein de l’ensemble est assez récente, comment imaginez-vous la suite ? Quelle place prend-il par rapport à vos autres projets ?
Sogol : Pour moi Chakâm a évidemment une place très importante. Depuis ses débuts le projet a évolué et aujourd’hui il s’appuie sur nos propres compositions qui de fait racontent des choses très intimes : la nostalgie de terres quittées trop tôt, le déracinement, l’idéalisation d’un ailleurs qui s’efface au fil du temps, le renouveau, la vitalité…
Christine : Chakâm est aussi un projet marquant pour moi. C’est rare de trouver des personnes avec lesquelles vous serez certaine que vos sentiments les plus profonds seront dans un refuge sûr et pourront être traduits avec délicatesse et précision ! Les arrangements que l’on fait à trois donnent une nouvelle personnalité, une nouvelle dimension à mes compositions. Marie-Suzanne: Je sens que l’interaction avec Christine et Sogol est un catalyseur qui fait bouger beaucoup de choses, que ce soit en les écoutant jongler entre les langues, discuter du cheminement d’une mélodie ou en les regardant préparer du riz au safran… !
Le prix du Public et des Étudiants est un prix est une belle récompense, cela signifie que votre musique parle au public. Que ressentez-vous et qu’attendez-vous de ce tremplin ?
Marie-Suzanne : Nous avons été très touchées que notre musique ait trouvée autant d’écho auprès des étudiant.e.s d’Icart et du public.
C’est un très beau cadeau que ce prix : en plus du coup de pouce financier, cette reconnaissance nous donne de la force pour continuer. Jouer en finale était l’occasion d’être entendues et identifiées par les membres du jury, et sa diffusion dans l’émission “Ocora Couleurs du monde” sur France Musique est une belle fenêtre de visibilité.
Avez-vous d’ores et déjà des projets pour la suite de l’ensemble CHAKÂM ?
Sogol : Oui, le futur clip vidéo et l’album sont en préparation !
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