Zabou Breitman – Interview
Vive, intense, déterminée, à l’occasion un peu brutale : elle est comme ça, Zabou Breitman ! Femme de tête et d’élans, notamment au détour d’une conversation. Engagée, dans ce qu’elle dit, dans ce qu’elle fait, dans ce qu’elle ressent. Entière. Avec No et moi, son quatrième long métrage en tant que réalisatrice (et coscénariste), quelque chose en elle, pourtant, a bougé. S’est modifié. Comme si, à l’écran et en interview, elle s’autorisait à un peu plus de souplesse, de lâcher prise.
Elle est la première à le reconnaître : le fait d’avoir joué au théâtre Des gens, spectacle puisé dans les documentaires de Raymond Depardon, « a changé pas mal de choses dans sa façon de travailler ». « Je lui dois beaucoup », insiste-t-elle volontiers. « Cela dit, c’est normal, on se construit en résonance… ». Son nouveau film, adapté du roman de Delphine de Vigan, tout entier dédié aux flottements, aux errances et aux manques d’une poignée d’humains… infiniment humains – une jeune femme Sdf, une adolescente surdouée, une mère dépressive, un (beau) gosse de riches livré à lui-même, etc – a donc la bonne idée d’abandonner son formalisme (sa joliesse) habituel pour une texture plus âpre, apparemment plus libre (et plus touchante), proche du documentaire.
Toujours vigilante, mais comme apaisée, en dépit de la rudesse des sujets qui traversent No et Moi, écoutons la en parler. Rapide, intense, souriante, passionnée, passionnante et… juste.
No et moi, après Je l’aimais, c’est encore l’adaptation d’un roman, récent, écrit par une femme… Comment est-il arrivé jusqu’à vous ?
En fait, ce sont les deux producteurs d’Epithète Films, Frédéric Brillion et Gilles Legrand, qui me l’ont envoyé, alors que Je l’aimais n’était même pas encore sorti en salle. Je ne connaissais pas ce livre, j’étais pas mal réticente à l’idée de faire une nouvelle adaptation, je ne me sentais pas prête… En même temps, comme je ne voulais pas être désagréable non plus (rires), je leur ai dit de me l’envoyer… En lisant la quatrième de couverture, j’ai été happée, je me suis dit que c’était écrit comme un conte moderne, cette jeune fille qui veut sauver l’autre… Et puis No, à la fin, qui fait un acte d’amour. J’ai pensé à ça : en allant sauver l’autre, on va vers un bon chemin…
Il y a le contexte, âpre, des Sdf mais votre film est tout autant un film d’initiation, d’apprentissage…
Oui, l’aspect Sdf, ce n’est pas le sujet principal, même s’il est tout le temps là ! Je pense, au fond, que c’est davantage un film sur le déficit. Toutes sortes de déficits. Disons qu’il y a plusieurs sujets, et ce qui les rassemble, c’est le fait que tous ces gens flottent. Entre l’errance des Sdf et l’adolescence du personnage de Lou, on peut, ainsi, tisser un parallèle, dans leur rapport au présent, au lieux, aux bruits aussi… C’est aussi pour ça que j’utilise la musique du groupe Portishead, par exemple, et puis le grincement du métro, la nuit, au-dessus de la gare d’Austerlitz… Entre l’enfance qu’on ne veut pas quitter et… l’enfance qu’on ne souhaite que quitter, on est tout le temps tiraillé quand on est ado !
Même si vous ne vous inscrivez pas dans une veine hyper réaliste, on sent, malgré tout, que toute la partie d’errance, avec et autour du personnage de No, a été documentée…
Oui, bien sûr, j’ai rencontré des filles dans la situation de No, j’ai parlé avec elles. J’ai écouté, aussi, leur façon très particulière de parler. Julie-Marie Parmentier est allée dans un foyer, l’Apaso, le seul centre d’urgence, à Paris, pour les jeunes femmes Sdf de 18 à 25 ans, qui a d’ailleurs fermé en juin, faute de crédits. Et puis j’ai donné le scénario à un monsieur qui travaille aux Affaires sociales à la Ville de Paris, un ancien éducateur, un monsieur formidable. Il a eu des réactions extrêmement intéressantes, a relevé des choses pas très justes… Tant qu’à filmer cette histoire, autant qu’elle sonne juste ! J’ai d’ailleurs tenu à ce que tous les figurants soient authentiques, de vrais habitués du bar, de vrais lycéens, et de vrais sans domicile fixe pour la scène à la Soupe populaire. Pour la plupart, ils étaient heureux que l’on parle de leurs conditions.
Le casting des comédiens était d’autant plus important, non ?
Oui, ainsi pour Julie-Marie dans le rôle de No (la jeune femme Sdf)… Je l’ai choisie au terme d’un long processus. Elle a fait la différence… par son talent ! Sa palette est tellement large, il y a quelque chose de tellement profond dans son jeu ! Au casting, elle est passée sur un monologue extrait d’Urgences, le film de Depardon. Il y a eu un tel contraste entre le moment où elle s’est présenté, toute frêle, toute timide, et celui où elle a joué ! Elle a eu d’emblée un dureté, un phrasé rude… J’ai eu un coup de cœur immédiat… Pendant le tournage, la petite Nina (qui interprète le personnage de Lou) était absolument fascinée par Julie-Marie. Et Antonin Chalon (le fils de Zabou, qui joue le rôle du jeune Lucas) était très impressionné également !
Justement, Nina Rodriguez, accomplit une performance remarquable… Quant à Antonin et Bernard Campan, ils dégagent également une belle humanité, souriante pour l’un, plus sérieuse pour l’autre. Vous êtes vous même actrice, la direction d’acteurs est un élément fondamental de votre travail ?
Oui, Nina a un visage de cinéma extraordinaire, on ne s’en lasse pas ! Elle est tout en même même temps, tous les possibles… Et puis, elle a des fulgurances de jeu… Bon, en fait, je suis très précise dans la direction d’acteurs et, en même temps, sur ce film-là, j’ai travaillé sur des espaces différents. A la fois des choses très écrites, très répétées, et puis d’autres plus lâches, avec des moments improvisés. Je crois que le travail inspiré de Depardon a amené plus de souplesse, de détente dans ma façon de faire. Cela étant, je pense que c’est la moindre des choses que de demander à un acteur d’être engagé ! Jouer, ça n’est pas suffisant ! Parce que jouer, c’est garder une distance, c’est comme quand les gens mentent mal… Donc quand on joue, on doit être engagé, surtout pour un sujet comme celui-là. Sinon, il y a usurpation, et c’est grave…
Propos recueillis par Ariane Allard
No et moi
De Zabou Breitman
Avec Julie-Parie Parmentier, Nina Rodriguez, Bernard Campan, Antonin Chalon et Zabou Breitman.
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Sortie le 17 novembre 2010
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