Waste Land de Lucy Walker
Vik Muniz est l’un des artistes brésiliens les plus reconnus et les mieux vendus à l’étranger. Alors qu’il vit aujourd’hui à Brooklyn, New York, il a rejoint son Brésil natal il y a quelques années afin de mener à bien un nouveau projet artistique ambitieux et singulier : photographier les « catadores » de Jardim Gramacho, monumentale déchetterie de la banlieue de Rio de Janeiro et reconstituer ensuite les images avec des ordures.
À son arrivée, apparaît devant Vik Muniz un paysage chaotique. S’élèvent face à lui des montagnes de détritus survolées par des colonies de volatiles noirs, rodant, pillant et piaillant sourdement. On imagine aisément l’odeur putride qu’il en émane. C’est bien l’un des derniers lieux où quiconque souhaiterait se trouver. Mais après avoir surmonté une vague de dégoût, le photographe se fascine très vite pour l’organisation qui agite cette cité turpide. D’immenses bennes déversent des quantités d’ordures sur des hommes et des femmes qui semblent assez bien connaître toutes les aspérités de ces collines pour ne pas se trouver ensevelis sous ces flots immondes. Ces gens sont les « catadores ». Ils endurent jours et nuits l’invraisemblable labeur de ramasser les matériaux recyclables caracolant péniblement sur ces monticules. C’est à eux que souhaite s’intéresser Vik Munik.
Sous les regards intrigués des travailleurs de la décheterie, il en rencontre certains et échange avec eux dissipant ainsi leur étonnement. L’homme au gros appareil photo et son équipe réalisent des portraits et sont saisis par des personnalités hors du commun. Ces prises de vues donnent lieu à des situations burlesques et touchantes. Aidé de Tiaõ, jeune catadore et président de l’association ACAMJG (the Association of Recycling Pickers of Jardim Gramacho) pour l’amélioration de la condition des ramasseurs, l’artiste échafaude son projet autour d’une sélection de sept portraits. Les sept modèles, dont Tiaõ, interrompront leur quotidien à la décheterie pour participer à la réalisation de leurs propres portraits à partir de déchets. Ils passeront ensemble plusieurs mois dans un hangar à réunir sur une photographie projetée assez de détritus pour reproduire l’image de leur visage. Vik Muniz et son équipe encadrent cette entreprise et se nouent dès lors des liens forts entre eux et les catadores.
En filigrane, se dévoilent les histoires de chacun. Il y a d’abord Tiaõ et son combat acharné, qui a commencé à travailler à Jardim Gramacho quand il avait 11 ans, et Zumbi, qui lui avait 9 ans lorsqu’il est devenu catadore, aujourd’hui passionné par la lecture, il œuvre pour le développement d’une bibliothèque au sein de la décheterie. Suelem, 18 ans et fille-mère, est fière de son emploi qu’elle préfère à la prostitution. Contrairement à elle, Isis déteste ce qu’elle fait et rêve d’une vie meilleure loin de ces visions d’horreur. Irma est plus âgée, c’est une mère pour tous lorsque chaque jour elle nourrit les catadores avec ce qu’elle trouve pour cuisiner. Magna ne serait pas là si son mari n’avait pas perdu son travail, mais elle relativise. Pas autant que le vieux Valter, ce gourou plein de sagesse. C’est aussi l’occasion de revenir sur la vie de Vik Munik. Il a beau être devenu cet artiste de renommée internationale vivant à New-York, il est ici chez lui et d’autant plus touché par ces récits qu’il vient d’un milieu modeste où personne n’est à l’abri d’échapper à de telles destinées.
Travailler sur les œuvres de Vik Munik, c’est oublier la réalité pour ces catadores, vivre des moments intenses, retrouver confiance, et espérer. Mais il faudra que cela s’arrête et que la vie continue. Ça aura été un merveilleux souvenir, juste une illusion parfois. Mais le rêve se poursuit lorsque chacun découvre son portrait au Musée d’Art Moderne de Rio de Janeiro. Assailli par une nuée de journalistes, aucun n’avait déjà vécu cela un jour, ni même pu l’imaginer. Pour Tiaõ, sans doute le profil le plus marquant, l’histoire ne s’arrête pas là. Il accompagne Vik Munik à l’enchère de son portrait à la maison de vente Philips de Pury de Londres. L’œuvre part pour une somme folle. Sa fierté et ses larmes de bonheur bouleversent. Il rentre euphorique, empli d’une force que rien n’arrêtera. Un jour qui sait, il sera peut-être président du Brésil. En attendant ces catadores ont vécu une expérience unique. Peu importe la suite, ils sont fiers. Vik Munik leur a rendu leur dignité et leur doit de passionnantes leçons d’humilité.
Voilà ce qu’a filmé Lucy Walker trois années durant, avec autant de discrétion que de subtilité. Elle a capturé des instants d’une humanité rare et a montré grâce au travail de l’artiste brésilien la réalité dramatique de Jardim Gramacho et de ces êtres qui y vivent l’enfer avec un courage déconcertant. Waste Land est le témoignage poignant du pouvoir de l’art.
Hélène Martinez
A lire également sur Artistik Rezo :
– la critique de Waste Land de Lucie Bellan
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Waste Land a remporté le prix du public au Festival du film de Sundance 2010, ainsi que les prix Amnesty international, le prix du public Panorama au dernier Festival international du film de Berlin et le prix du public du 23e Festival international du film documentaire d’Amsterdam. Il a été présenté en clôture des Rencontres internationales du documentaire de Montréal le 20 novembre.
[Visuel : Tiaõ imitant la mort de Marat sous l’objectif de Vik Muniz]
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