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Toscan – Isabelle Partiot-Pieri – Rencontre

1 décembre 2010
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Huit ans après sa disparition, Isabelle Partiot-Pieri s’est lancée dans la lourde tâche de réaliser un documentaire fascinant sur cet homme unique en son genre et tout aussi mystérieux. Rencontre avec sa réalisatrice.

Pourquoi avoir voulu faire un documentaire sur Daniel Toscan du Plantier ?

Afin de combler le vide qu’il a laissé depuis sa mort. L’idée était de transmettre une pensée. Une forme d’esprit d’un personnage atypique qui était unique en son genre. Il fallait garder une trace de lui.

Comment l’avez-vous rencontré ?

Vers la fin des années 70. Je préparais mon diplôme d’architecture dont le sujet était un bâtiment d’opéra sur le terrain de La Villette. J’ai mis deux ans à le préparer et c’est ce qui a ouvert mon chemin vers l’opéra par la suite. Comme Daniel Toscan du Plantier venait de produire Don Giovanni, je me suis dit que cela pouvait être intéressant de lui présenter mon projet qui alliait plateau de cinéma et d’opéra. Après ce premier rendez-vous, nous nous sommes retrouvés par hasard sur la production de Don Giovanni qu’il mettait en scène à l’Opéra de Monte-Carlo. Parallèlement à cela, j’ai continué à vouloir travailler sur le tournage d’un film opéra et j’ai accepté d’être stagiaire lors de l’enregistrement de Carmen qui deviendra le film réalisé par Francesco Rosi pour lequel je suis devenu par la suite son assistante.

Devant la multitude de fonctions qu’a occupées Daniel Toscan du Plantier, par quel biais avez-vous abordé ce documentaire ?

Toscan a vécu comme il a pensé. Il a intégré un certains nombres de valeurs humanistes dans sa jeunesse ainsi qu’au côté de Roberto Rosselinni. Le plus étonnant fut de constater que sur trente ans d’interviews, le discours était toujours le même concernant les choses fondamentales. Pour le reste, il s’adaptait en « transformant l’utopie en réalité ». Ma première volonté fut de lui laisser tout au long la parole. Je ne voulais pas faire d’interviews de personnes qui l’avaient connu. Personne ne parle mieux de lui que lui en fin de compte. J’ai donc commencé par dérusher des cassettes que j’avais en ma possession afin de faire un montage patrimonial. Plus tard, deux de ses collaboratrices d’Unifrance et de la Mairie de Paris ont ressenti le même désir de faire un documentaire sur lui.

Pourquoi avoir choisi de modifier la couleur des vidéos en un noir et blanc proche du gris ?

C’est très simple : si vous aviez visionné les extraits couleurs bout-à-bout, vous l’auriez tout de suite compris. En 7 secondes, on passe d’un costume bleu à un costume jaune… Je souhaitais donc que rien ne perturbe la ligne de champs, le discours et le déroulement de la pensée. J’ai donc choisi la discrétion et l’élégance. Comme il le disait, le froid vieillit mieux que le chaud ! Ce fut un parti-pris dès le départ.


Comment s’est passé le travail d’archives ?

Cela a pris beaucoup de temps. Nous sommes en premier lieu allé voir l’INA qui est tout de suite entré dans le projet. J’ai donc eu accès à la plateforme INA Media Pro qui est le service d’accès à distance des archives de l’INA. Pour vous donner un aperçu, j’y ai trouvé exactement 470 vidéos où figurait Daniel ! Des vidéos allant de 1 minute à 1h30. J’ai tout regardé. Il y avait un énorme travail d’archivage et de classification à accomplir. Puis, il s’est rajouté à cela les archives Gaumont/Pathé ainsi que d’autres émissions qu’il fallait dénicher à droite à gauche. Je ne pourrai qualifier la durée de ce travail mais rien que le dérushage des vidéos que j’avais dans ma cave à disposition m’a pris cinq mois en parallèle de mon travail de décorateur pour des productions d’opéras.

On voit souvent une vidéo de Daniel Toscan du Plantier au ralenti marcher dans sa maison de campagne. Pour quelles raisons ?

Je souhaitais montrer un moment d’intimité, un autre décor que celui des plateaux de télévision où l’on pouvait le voir en costume cravate. J’ai donc trouvé cette vidéo réalisée dans sa maison de campagne en Gascogne. Il y a cette image d’un homme qui marche et qui suit son chemin. C’est l’un de ses rares moments d’intimité qui existe en vidéo qui plus est. On peut aussi voir dans le film quelques images qu’il a lui-même filmées. Pour cela, c’est sa dernière femme Melita qui m’a accordé le droit de les diffuser.

La musique est très présente dans votre documentaire : Mozart, Beethoven, Wagner, Schubert, Bach…

La musique classique était centrale dans sa vie. Comme il l’affirme, « Il n’existe pas de rapport à soi sans la musique ». Curieusement, il aimait des musiques assez austères, ce qui peut paraître surprenant au regard de l’aspect flamboyant qu’on lui connaît. On y entend par exemple les partitas de Bach et plusieurs musiques de chambre. Le passage de majeur en mineur propre à Schubert est assez caractéristique du personnage quelque part. La musique de Wagner fait quant à elle grandement écho à son enfance.

Vous évoquez son grand frère Philippe qui lui a été d’un grand soutient dans sa jeunesse.

Il était son ainé de quatre ans. Il a été nourri par ce frère philosophe qui vivait en opposition avec son père et son milieu social. Il était très révolté, presque anarchiste. Il a choisi l’affrontement tandis que Daniel a choisi la composition.

On entend Daniel Toscan du Plantier affirmer qu’un bourgeois ne pourra jamais être artiste. Or, il l’a été d’une certaine manière.

En effet, mais cela provient d’une rupture dans ce cas précis. A y regarder de plus près, sa façon de vivre s’éloignait assez du milieu bourgeois.

La presse ne fut pas tendre avec lui sur cet aspect là.

On a souvent montré le Daniel Toscan du Plantier mondain mais il s’agit d’une fausse image. Il savait très bien utiliser celle-ci mais il ne pouvait s’empêcher de placer un bon mot, ce qui pouvait éventuellement fâcher. Ce n’était pas une fin en soi mais un outil. Il aimait avant tout rassembler. Il aimait le côté festif de la vie en faisant les choses en grand comme lorsqu’il emmenait ses équipes de films avec Unifrance. Ceci n’était pas de la mondanité malgré son ton de voix qui était aussi sa façon de parler mais qui pouvait être mal interprété comme étant snob ou arrogante. Mais il est normal de recevoir certaines inimitiés, personne n’est un saint. Quand j’ai travaillé la toute première fois avec lui sur sa mise en scène de Don Giovanni à Monte-Carlo, j’ai vu un homme qui travaillait dur et qui était totalement investi dans ce qu’il faisait. Il y avait une gravité et une immersion totale dans le sujet qui le touchait particulièrement à cœur philosophiquement ; cet affrontement entre l’homme face à Dieu et la place qu’il tient dans la société.


Don Giovanni était donc l’opéra qui le représentait le plus ?

Très clairement. Il y a une quête de vérité, une sorte de courage dans sa détermination des choix qu’il entreprenait. Il était tout à fait en symbiose avec le personnage mais encore une fois pour le côté philosophique. Le reste est du détail.

Comment a-t-il conçu sa mise en scène ?

A part quelques soucis techniques lors de la première, tout s’est très bien passé. Disons que ce ne furent pas des répétitions classiques. Les chanteurs arrivaient, il les plaçait en rond sur la scène et leur parlait comme une lecture de théâtre. Il livra un vrai discours sur l’œuvre et il est dommage de ne pas avoir pu enregistrer ces images. Côté mise en scène, il voyait la mort de Don Giovanni comme une Assomption plutôt qu’une descente aux enfers. On peut d’ailleurs voir dans le film une photo de cette mise en scène prise lors de ce moment précis. J’y ai mis comme fond sonore la musique de La Passion selon Saint Jean de Bach pour créer un écho à ce propos.

L’air du catalogue du Don Giovanni de Joseph Losey produit par Daniel Toscan du Plantier est le seul extrait… et le seul en couleur.

La notion de catalogue était très importante dans la vie de Daniel. Que cela soit le catalogue de ses films ou de ses tableaux. Il voulait juste avant sa mort faire un coffret comprenant tous les films opéra réalisés.

Tout le long de sa vie, Daniel Toscan du Plantier a toujours été décrié par certaines voix.

Il l’a toujours été en effet. Pour les films opéras, les gens de cinéma n’en voyaient pas du tout l’utilité et il trouvait cela bizarre, à l’exception de certains metteurs en scène. Tous ont d’ailleurs eu l’envie d’y revenir, même ceux qui y étaient complètement retissant. De l’autre côté, les gens d’opéra n’aimaient pas du tout l’idée de faire un film opéra. Ce fut donc quelque part un mariage forcé qui a amené malgré tout beaucoup de gens à l’opéra ! Au-delà de l’art lyrique, il était décrié car il avait souvent réponse à tout ou riait des choses graves tout en étant virulent, ce qui pouvait agacer. C’était quelqu’un de convaincu à qui l’on doit aujourd’hui plus de 200 films auxquels il a participé.


Justement, pourquoi a-t-il été licencié de La Gaumont ?

Au bout d’un certain temps, ses projets coûtaient trop cher à la firme. Son gros tort a donc été de trop convaincre (rires). On tombait trop dans l’excessivité à la fin. L’histoire montre que cela ne fut pas inutile car ses films restent des œuvres majeurs du catalogue.

Vous abordez aussi le meurtre de sa femme de façon discrète en inversant le sens de l’image où on le voit rentrer dans un cimetière alors qu’il en sortait.

J’ai eu rapidement cette idée. On le voit continuellement avancer sauf à ce moment où il retourne en arrière. C’est un moment forcément où il se replie sur lui-même.

En revanche, vous n’abordez pas sa mort.

C’est exact. On m’en a fait le reproche car certaines personnes pensent qu’il est encore vivant. J’ai procédé inconsciemment quelque part en pensant qu’il y a quelque chose qui fait qu’il est toujours là.

Le film commence et se termine sur un plan situé en haut du balcon d’un immeuble parisien.

Est-ce que vous me permettez de ne pas dire ce que c’est ? (Rires)


L’opéra n’a jamais était aussi présent dans les salles de cinéma qu’aujourd’hui, faisant ainsi de Toscan du Plantier un avant-gardiste dans ce domaine.

Il y a un regain sans précédant pour l’opéra même si les captations ne sont pas véritablement du cinéma. L’opéra de New York a lancé la donne. Je pense cependant qu’il y a trop de gros plans et pas assez de plan large. Je regrette aussi que l’on ne fasse plus de films opéras. Concernant les retransmissions : tant que la qualité prévaut, cela sera toujours une bonne initiative. Démocratisons l’opéra sans vulgarisation. C’est un art moins intellectuel que l’on ne le prétend.

Avez-vous rencontré des détracteurs à propos de votre désir de faire un documentaire sur Daniel Toscan du Plantier ?

Il y a eu des doutes, oui. Heureusement, la société de production Bonne Pioche était totalement vierge sur le sujet de par leur jeunesse et le genre de films qu’ils avaient déjà produits. Ce fut un atout considérable car il n’y avait personne qui faisait du forcing pour me pousser à aller dans un sens. Ils ont rapidement vu dès le premier montage où je voulais aller. Je ne voulais pas montrer uniquement le Toscan producteur mais peindre le portrait d’un homme différent de celui que l’on connaissait. En faisant ce film, je souhaite montrer au public que les propos tenus par Daniel sont toujours autant universels.

La première du film a eu lieu à Cannes, terre du milieu cinématographique. Quelles réactions avez-vous reçues ?

Avant cette projection, Véronique Cayla, directrice du CNC, a vu le film et l’a beaucoup apprécié. Elle a organisé une première projection à la Cinémathèque française destinée aux gens de la profession dont plusieurs producteurs et l’accueil fut très chaleureux. Il fut le même à Cannes. Mais j’attends maintenant la réaction du public !

Le titre américain est Toscan, the french touch, appellation assez évocatrice.

Avec Unifrance, Daniel a fait le tour du monde et a permis au cinéma français de s’exporter. Durant le sous-titrage du film en anglais, le traducteur a vu en lui un homme profondément français. L’idée est venue de là. Il a toujours soutenu la culture française à travers le monde. Toscan n’était pas un homme du XXème siècle mais purement du XVIIIème siècle.

Propos recueillis par Edouard Brane le 10 novembre 2010

www.cinedouard.com


Lire la critique du film sur Artistik Rezo.

 


Toscan

Réalisé par Isabelle Partiot-Pieri
Avec Daniel Toscan du Plantier.
Durée : 01h27min


[embedyt] https://www.youtube.com/watch?v=clPJgKCCiU8[/embedyt]


Sortie le 1er décembre 2010

 

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