Toma Clarac : “Il faut arriver à partager avec le lecteur ce qu’on a ressenti”
Toma Clarac est journaliste culturel au sein de l’édition française du célèbre mensuel américain, Vanity Fair. Il nous parle ici de son parcours, de son travail et de sa vision de la presse et de la culture.
Toma, tu as été journaliste cinéma pour le magazine GQ et tu es aujourd’hui responsable du service culture pour Vanity Fair. Comment en es-tu arrivé là ?
J’ai commencé par des études de lettres modernes et j’ai fait un mémoire de maîtrise en cinéma, sur le réalisateur américain Nicholas Ray. Par la suite, j’ai enchaîné sur un master 2 à l’ESAV (Ecole Supérieure d’AudioVisuel), à Toulouse, que je n’ai pas tout à fait terminé. Plus tard, j’ai repris mes études à Paris pour un master 2 de journalisme culturel, à la Sorbonne. Dans le cadre de cette formation, j’ai pu faire un stage au sein de GQ. Le stage s’étant bien déroulé, j’ai pu rester au journal et je suis assez vite passé en plein temps puis salarié. J’écrivais surtout pour le site mais également pour le magazine, le cinéma étant le domaine qui m’attire le plus. GQ et Vanity Fair appartiennent au même groupe de presse et partagent les mêmes locaux. On m’a ainsi proposé de rejoindre Vanity Fair en tant que chef du service culture.
Lors de la rédaction de tes articles, quel élément de l’artiste ou de l’œuvre essaies-tu de mettre en valeur ?
Vanity Fair n’est pas un magazine purement culturel, il traite aussi de la mode, de la politique, des questions de pouvoir au sens large. Quand on parle de films, il faut faire des choix. On va avant tout choisir des films qu’on veut défendre, c’est un travail de prescription culturelle. Néanmoins, il s’agit à chaque fois de voir comment mettre le film ou le livre défendu en lien avec le monde dans lequel on vit. Il faut arriver à dire quelque chose, à saisir ce qui se dit, ce qui se joue dans le film, sachant que ça résonne forcément différemment avec chacun puisqu’il y a une expérience personnelle de la vision d’un film, de la lecture d’un livre, de l’écoute d’un disque. Il faut arriver à partager avec le lecteur ce qu’on a ressenti. On peut faire une interview questions-réponses assez classique, cela dépend des invités qu’on va interroger. Il faut aussi varier les formats pour s’adapter à la diversité. On peut également réaliser des portraits où l’on va mettre en avant la personne. À chaque fois, cela se détermine en fonction du film, de l’auteur, du réalisateur, etc.
Quelle place les médias occupent-ils dans ta vie ?
Depuis mon jeune âge, j’ai lu beaucoup de presse culturelle. Je pense que les journaux qui m’ont vraiment marqué sont Les Inrockuptibles, ainsi que les Cahiers du cinéma. Ce sont deux journaux qui m’ont aidé à construire mon rapport à la culture, à ma cinéphilie également, et j’oubliais Libération. Ce qui a changé aujourd’hui, depuis que c’est mon métier, c’est que je lis peut-être la presse différemment. Je continue régulièrement de lire Libération, pareil pour les Cahiers du cinéma, Les Inrockuptibles un peu moins, ça dépend des moments. Maintenant je lis la presse avec un regard de professionnel, je lis pour m’informer de ce qui est fait, aussi parce que cela fait partie de mon travail de savoir comment sont traitées les choses ailleurs, d’être au courant. Ce n’est plus uniquement un désir de lecture, c’est également un devoir, ce qui fait que des fois c’est moins un plaisir bizarrement. Pour élargir un peu, je n’ai pas la télévision et j’écoute assez peu la radio. J’essaie tout de même de me tenir au courant de ce qu’il s’y dit grâce à Internet. La question des nouveaux médias est très présente dans mon travail, c’est quelque chose dont on doit tenir compte. Pendant le confinement, on a été très actif sur Instagram notamment. C’était important de montrer que l’on était toujours là et qu’on faisait beaucoup de choses même si l’on vit en quarantaine.
Justement, avec la place grandissante des réseaux sociaux aujourd’hui, quelle place reste-t-il pour la presse papier ?
C’est une bonne question. En fait, c’est en arrivant à Vanity Fair que je me suis retrouvé à travailler exclusivement sur le papier, même si de nouveau cela change un peu et je refais pas mal de web également. C’est une question qui se posait déjà au moment où j’ai commencé à travailler dans la presse il y a dix ans, et là avec le confinement, cela va accélérer les choses. On se dirige vers de moins en moins de presse papier, de plus en plus de web mais je ne pense pas que la presse papier disparaitra. C’est très différent en fonction des médias, certains ont déjà réussi leur passage au numérique, ce sont des sites qui marchent extrêmement bien. Je pense qu’il est quand même plus simple pour la presse quotidienne de faire cela que pour la presse magazine, les mensuels. D’une part, les kiosques ferment et les gens ne vont pas forcément se déplacer jusqu’au suivant… Les points de vente se réduisent et à un moment donné, on ne peut pas lutter contre ça. Il y a aussi la question des abonnements qui est très importante, c’est-à-dire qu’il faut faire en sorte que les gens s’abonnent, comme ça on s’assure une distribution qui n’est pas dépendante des kiosques. Pour cela il faut donc arriver à faire des bons magazines. L’autre problème est la publicité, qui nous finance largement, mais c’est une question encore balbutiante sur le web. C’est donc un chantier considérable et nous ne savons pas encore comment tout cela va se dénouer. On sait aussi que la seule manière de faire en sorte que ça fonctionne, c’est de continuer à faire des papiers, d’être actif et de produire des choses de qualité.
Tu as évoqué que la presse avait dû se renouveler avec le confinement. En effet, beaucoup d’évènements culturels ont été annulés ou reportés, comme le Festival d’Avignon et le Festival de Cannes. Vanity Fair a mis en place le “Journal de la Quarantaine”, peux-tu nous en parler ?
Avec Vanity Fair, à Cannes, l’an dernier, nous avions sorti un quotidien sur dix numéros durant les presque deux semaines du festival. Ces numéros paraissaient en version imprimée mais étaient uniquement distribués sur les lieux du festival. C’est une manière de montrer que l’on est présent sur des évènements culturels incontournables. Le cinéma est très important pour Vanity Fair, qui à la base est extrêmement influent à Hollywood, pour le titre américain. On essaie donc en France également d’être un magazine présent sur les questions du cinéma et Cannes étant le plus grand festival de cinéma au monde, il faut y être. L’annulation du festival est évidemment douloureuse pour le cinéphile que je suis, et plus largement pour le journal, parce que c’est un événement où nous étions de plus en plus ancrés. Le “Journal de la Quarantaine” c’est aussi cette idée de montrer que oui on est confiné, oui les gens vont moins sortir pour aller dans les kiosques mais nous on va continuer à travailler, nous ne sommes pas en pause. Ce projet est parti de l’idée d’envoyer un message et de tous les jours produire des articles, de ne pas couper le lien avec les lecteurs et également de montrer que le papier n’est pas mort. Que même si ce quotidien n’est disponible qu’en ligne, il est tout de même maquetté comme un journal, c’est-à-dire qu’en théorie, il est prêt à être imprimé. L’idée était donc de proposer un objet journal en digital, en essayant de traiter cette période bizarre. Des magazines se sont un peu arrêtés de paraître durant ces dernières semaines, nous nous avons déjà un magazine qui sortira mercredi, le numéro de mai que l’on a fait durant le confinement. Il est donc un peu lié à cette période, il a une couverture spéciale et reprend quelques sujets du quotidien en plus d’enquêtes et d’histoires inédites. Désormais, on travaille sur les prochains numéros. Comme le confinement aura un impact sur la presse, comme sur plein d’autres secteurs, et que le quotidien a bien fonctionné, on réfléchit à poursuivre l’expérience sur un autre rythme. C’est une manière d’être réactif, de prendre en compte les changements qui s’opèrent tout en poursuivant le travail sur le magazine, qui demeure le socle de Vanity Fair.
Propos recueillis par Jean-Félix ROUSSEAUX
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