The Last Tree de Shola Amoo : une expérience sociale
The Last Tree, c’est avant tout un portrait. Fémi, enfant d’origine nigériane, vit dans une famille d’accueil bourgeoise au sein de laquelle il semble heureux. Il est entouré d’amis (le clan des loups), et possède une relation privilégiée avec celle qu’il considère comme sa mère adoptive, Denise. Pourtant issu d’une famille recomposée, il ne semble pas en pâtir. Sa vie est douce et sans encombre. Lorsque sa mère biologique vient parfois le voir, il reste stoïque face à celle qui ne l’a pas élevée, mais semble effrayé par le fait qu’un jour, il puisse quitter son cocon artificiel au profit de sa famille biologique qu’il ne connaît pas.
Lorsque ce jour arrive enfin et qu’il quitte le Lincolnshire pour un HLM à Londres, Fémi est trahi, à nouveau déraciné. Tout l’intérêt du film repose donc sur ce simple concept. Comment se reconstruire quand on a été abandonné et trahi par sa famille biologique, puis d’accueil ?
The Last Tree porte ainsi bien son nom. Fémi cherche tout au long du film à reprendre racine. Son environnement n’ayant pas été stable, il ne peut l’être lui-même. Il se cherche. Sa quête initiatique se rapproche à bien des égards de celle d’un héros mythologique, comme Ulysse par exemple. Il aura des adjuvants et des opposants à sa quête : devenir celui qu’il doit être. Mais là où le film est capable de nous surprendre, c’est dans sa mise en pratique de ce que nos professeurs de français appellent “schéma actantiel”. Après une ellipse de quelques années, Fémi a semble-t-il mal tourné. Il est devenu un caïd dans son lycée et se mêle désormais aux dealers. Dans cette descente aux enfers il devra ainsi faire le tri dans son entourage et trancher : qui est adjuvant et qui est opposant. En effet, la quête du héros mythologique est bien souvent manichéenne et prévisible. Or ici, Fémi ne sait pas de qui s’entourer et est incapable d’agir pour son propre bien.
Bien au-delà de la simple quête initiatique, le réalisateur cherche à dépeindre un cadre social. Comment un enfant si paisible et épanoui finit-il dans cette situation ?
C’est le seul véritable écueil du film. La période charnière dans son éducation est passée sous silence. On passe d’un enfant déraciné mais profondément attachant, à un jeune homme que l’on ne connaît pas et qui semble bien loin du garçon souriant. Si bien qu’on ne se sent pas proche de Fémi. Le changement d’acteur inhérent au changement d’âge rompt totalement l’identification du spectateur, le passage est un peu trop brutal. On se trouve face à un tout nouveau personnage et son comportement n’aide pas à l’apprécier. Il devient un produit de son environnement et de ses nombreuses déceptions, inexpressif et profondément froid.
Pourtant, si l’on considère cela comme un point faible, il semble entrer en résonance avec la rupture entre Fémi et sa famille adoptive. Shola Amoo sert son propos au risque de laisser son public sur le carreau. En effet, l’idée semble complètement assumée ; Fémi, de surcroît, est à l’image de la réalisation, froid et austère dès l’instant où il quitte l’enfance. Les plans sont fixes et la colorimétrie est très peu travaillée. Seules les phases où Fémi est déboussolé semblent un peu plus travaillées. La caméra se porte alors à l’épaule et les secousses s’harmonisent avec le manque de stabilité du protagoniste ; cette recherche d’identité se retranscrit donc à l’écran. Le film oscille entre le chaud et le froid jusqu’au point d’orgue, véritable bijou visuel que l’on ne vous dévoilera pas ici.
Qu’est-ce qu’on peut finalement penser de ce film ? Entre deux feux, The Last Tree cumule deux styles bien différents et qui, indépendamment, fonctionnent parfaitement. Néanmoins, la synthèse des deux rend parfois le propos confus pour le spectateur. Il faudra un certain temps d’adaptation et un spectateur attentif et aguerri pour pleinement apprécie cette œuvre. Ultimement, le film reste un excellent portrait d’une jeunesse déracinée parmi tant d’autres, comme l’arbre qui cache la forêt…
Victor Ribeiro
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