Terraferma – film de Emanuele Crialese
Sur un petit caillou perdu en pleine Méditerranée, à mi-chemin entre la Sicile et les côtes africaines, les trois membres d’une famille — Filippo, Guiletta, sa mère, et Ernesto, le grand-père –, essaient tant bien que mal de se sortir du marasme de l’activité séculaire de pêche de leur île, en louant leur maison l’été aux touristes. Un jour de sortie en mer, le vieil homme et son petit-fils secourent des naufragés africains et bravent l’interdiction des autorités locales en recueillant chez eux, une femme enceinte et son fils.
Emanuele Crialese aime cette île et il le montre dans toute la première partie du film, véritable méditation esthétique, éclairée par la photographie de Fabio Canchetti, digne des plus grandes heures du réalisme italien. Toute une virtuosité visuelle est mise en oeuvre pour dépeindre la nature dominée par une mer couleur azur, des chemins de terre rougis et poussiéreux, des falaises escarpées et des ruelles réchauffées par un soleil de plomb. Un paysage qui finalement s’avère être un Eden de façade, abritant désormais en son sein, toute la misère du monde, venue s’échouer sur ses plages, dans l’espoir d’une vie meilleure et de liberté.
Dans un souci d’authenticité, plusieurs acteurs ont été recrutés sur place et Timnit T., la jeune femme qui joue le personnage de la migrante recueillie par la famille, a vécu elle-même en 2009 une traversée dramatique avec d’autres compagnons d’infortune. Au coeur du récit, Donatella Finocchiaro, figure de femme forte, avide de liberté, n’est pas sans rappeler Valéria Golino dans Respiro, ou Anna Magnani dans La Rose Tatouée.
Outre dans le choix de la distribution, le réalisateur de Respiro et Golden Door excelle dans la peinture d’un paradis perdu. Par la mer, le monde vient modifier l’ordre naturel des choses dans l’île : les bateaux déversent les flots de touristes venus troubler la quiétude des lieux et les radeaux de fortune jettent les migrants – morts ou vivants – sur les plages de l’île.
Deux univers vont alors s’affronter dans la deuxième partie de l’histoire : d’un côté, celui des anciens, pour qui secourir les immigrés appartient à l’éthique séculaire de solidarité des pêcheurs. De l’autre, la jeune génération, dont le mot d’ordre serait « Cachez cette misère que je ne saurais voir », tient à protéger le tourisme, devenu un gagne-pain, en dénonçant aux autorités si besoin, les clandestins qui échouent de plus en plus nombreux.
Les dilemmes moraux qui agitent les habitants de l’île sont évoqués avec justesse et on perçoit clairement vers qui le réalisateur dirige son empathie. Emmanuele Crialese choisit de croire en l’humain et à la somme des menus gestes de solidarité des héros ordinaires et anonymes.
Cependant, l’absence de manichéisme n’empêche pas parfois un certain angélisme. De même que le rejet d’un ton moralisateur n’épargne pas le recours à des images symboliques à la limite des stéréotypes (Crialese insiste par exemple sur le contraste entre les bateaux de plaisance bondés de touristes bronzés et les embarcations de fortune des migrants africains). Et sur le plan de la forme, on peut déplorer les ralentis esthétisants et inutiles, qui n’ajoutent rien de plus à l’intensité dramatique. Enfin, le raccourci scénaristique rendant l’immigrée capable de parler italien dès qu’elle est remise sur pied finit de plomber l’équilibre de la dernière partie du film.
Quasiment plus aucun endroit au monde n’est épargné par les conséquences de la mondialisation économique et des conflits régionaux. Même les îlots paradisiaques qui se croyaient préservés de tout. Terraferma évoque la nécessaire adaptation à cette nouvelle donne, et la remise en question des hiérarchies de valeurs, corollaire désormais inévitable.
Roxane Ghislaine Pierre
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Festival de Cinéma Européen des Arcs 2011 (du 10 au 17 décembre)
- Nominations : Flèche de Cristal, Prix du Jury, Prix du Public, Prix du Jury Jeune, Prix Cineuropa
Festival International du Film d’Arras 2011 (du 4 au 13 novembre)
- Nominations : Avant-premières
Festival du Film Italien de Villerupt 2011 (du 28 octobre au 13 novembre)
- Nominations : Amilcar du Jury, Amilcar des Exploitants
Cinémed – Festival Méditerranéen de Montpellier 2011 (du 21 au 29 octobre)
- Nominations : Antigone d’or, Mention spéciale, Prix de la critique, Prix du public, Prix du soutien technique, Prix jeune public
Film Festival – Festival International du Film de Londres 2011 (du 12 au 27 octobre)
- Nomination : Cinema Europa
Festival International du Film de Toronto 2011 (du 8 au 18 septembre)
- Nomination : Prix de la Critique Internationale – Présentations spéciales
Mostra de Venise 2011 (du 31 août au 10 septembre)
- 1 prix : Grand Prix Spécial du Jury
- Nominations : Lion d’Or, Prix FIPRESCI
Terraferma
D’Emanuele Crialese
Avec Filippo Pucillo (Filippo), Donatella Finocchiaro (Giulietta), Mimmo Cuticchio (Ernesto), Giuseppe Fiorello (Nino), Timnit T. (Sara), Martina Codecasa (Maura), Filippo Scarafia (Marco) et Pierpaolo Spollon (Stefano)
Durée : 88 min.
Sortie le 14 mars 2012
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