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Stéphane Cazes – Ombline – interview

3 octobre 2012
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Ombline - drame avec Mélanie Thierry

Qu’est-ce qui vous a convaincu de choisir Mélanie Thierry pour le rôle d’Ombline ? Comment l’avez-vous préparée pour ce rôle ?

En fait, au début, je voulais une inconnue pour le rôle d’Ombline, et j’ai vu beaucoup de comédiennes. On ne connaît généralement pas les personnes détenues, et je trouvais ça fort de révéler une inconnue au grand public. J’en ai vu plusieurs, de très bonnes, mais quand la directrice de casting m’a proposé Mélanie Thierry, je lui ai demandé de passer un casting, comme tout le monde, et elle a été tellement incroyable que quand je l’ai vue jouer, au bout de dix secondes, j’ai su que ça ne pouvait être qu’elle. C’était une évidence.
Après on a fait un gros travail de préparation. Je voulais qu’elle incarne le personnage, que cela parte d’elle. J’ai donc essayé de l’aider à l’incarner en amont, et pour cela je lui ai donné énormément de documentation. On a notamment fait une sorte de stage, d’atelier-théâtre pendant deux semaines à la maison d’arrêt des femmes de Fleury-Mérogis, et ainsi, pendant deux semaines on faisait du théâtre avec ces femmes qui vivaient en prison. C’était très, très fort. Pour Mélanie, ça lui a permis d’une part de rentrer dans la prison, de ressentir ce que c’était que d’y vivre ; et de dépasser aussi son premier sentiment. Car souvent on a des sentiments qui arrivent, il y a des choses qu’on trouve incroyables… Il faut dépasser ces sentiments et ces émotions pour vraiment comprendre.

Et en même temps, l’émotion, elle a su la capter. Toutes les femmes qui montaient sur scène faisaient des choses très personnelles, disaient des choses bouleversantes. Parfois, le soir, quand on rentrait en voiture, Mélanie était en larmes. Elle a su s’imprégner de tout ça, garder ces émotions en elles, et les ressortir sur le tournage. C’était très impressionnant et très important.

Elle a ensuite appris à se battre. Elle a pris des cours de combat de rue. Elle a appris à prendre des coups aussi. Elle a pris 10 kilos pour le rôle. Elle s’est vraiment plongée dans le personnage…
Après, on a travaillé sur le personnage ensemble. J’en avais écrit toute une biographie. Tout ce qui se passe à l’intérieur des scènes, entre les scènes… Sur le tournage, elle était tellement dedans que je ne l’ai presque pas dirigée. J’ai souvent retenu la première ou la deuxième prise, et le résultat qu’on a sur l’écran, c’est ça. Elle m’a vraiment impressionnée !

Vous dites que vous avez écrit toute une biographie du personnage. Pourtant on en sait assez peu sur Ombline, sur son passé avant qu’elle n’arrive en prison. Pourquoi était-ce nécessaire ?

Pour nourrir les comédiens. J’ai écrit la biographie de tous les personnages, tout ce qui se passe entre les scènes, même si ce n’est pas dans le film. Pour que les comédiens puissent au mieux incarner leur rôle. Par exemple, pour comprendre le passé immédiat d’une scène. Si une comédienne arrive dans un décor, doit y jouer son personnage et qu’à la scène d’avant, le personnage vient de se faire fouiller à nu par les surveillantes, elle ne va pas être dans le même état que si elle était dans la cour de promenade en train de discuter avec ses amies. Donc c’est important de donner plein d’informations qui ne sont pas dans le film.

A propos du passé d’Ombline, de sa relation avec son père, par exemple, qui est très importante, qui se passe avant le début de l’histoire, mais qui est centrale dans le film. Il fallait la développer ! Donc j’ai dit à Mélanie comment ça s’était passé, pourquoi son père était en prison ; ce que je ne dis pas dans le film. Qu’est-ce que ça a eu comme impact sur elle, qui s’est occupé d’elle, puisque sa mère était décédée, son père en prison… Quelle avait été sa vie ? Elle a été dans un foyer d’accueil, c’est là où elle a rencontré Rita… Pour son rapport avec le personnage de Rita, c’est important de savoir que c’était une amie d’enfance, qu’elle connaissait depuis l’âge de cinq ans. Je lui ai donc donné ces informations, et elle a passé du temps avec cette comédienne pour essayer de recréer cette complicité qu’on retrouve avec les ami-e-s d’enfance. Pour un scénario de 90 pages, j’ai bien dû écrire 1’000 pages à côté ! Pour les techniciens aussi d’ailleurs.

Parce qu’il y a effectivement beaucoup de choses que vous n’expliquez pas aux spectateurs… Est-ce que vous pensez que ça rend le film d’autant plus fort qu’ils n’ont pas tous les éléments en main pour comprendre, par exemple, pourquoi son père est depuis plus de dix ans en prison… ?

J’ai pensé que ça n’était pas forcément nécessaire de le dire. On s’imagine que ça doit être quelque chose de grave pour aboutir à une peine aussi longue, que ça peut être un meurtre ou un braquage de banque, même si quand on voit la tête du père, on se dit qu’il ne peut pas être un braqueur…

Et puis, quelque part, pour moi, ce n’est pas le sujet. Il a fait quelque chose de grave et est en train de payer pour. C’est triste, c’est malheureux, mais on ne peut pas revenir en arrière, alors maintenant il faut regarder vers l’avant. Je ne parle pas des personnes victimes de ces faits-là, dans le film, mais il faut les aider à se reconstruire. Or, la reconstruction ne passe pas par la vengeance…

Je n’en parle pas dans le film parce que ça ne dure qu’une heure et demie, que je ne peux pas tout dire, et que j’ai pris le parti d’être toujours à côté d’Ombline. Ca aussi, c’était important pour moi pour que ça reste une fiction, et pas un documentaire. C’est-à-dire qu’un documentaire se restreint au regard d’une personne extérieure sur l’intérieur de la prison. Et par exemple, pour faire un documentaire sur les femmes qui vivent en prison avec leurs bébés – il y en a quelques-uns – les réalisateurs peuvent venir dans la nurserie dans la journée, quand les portes sont ouvertes, six à huit heures par jour ; mais la nuit, quand elles sont en cellule, les caméras ne sont jamais là. Pareil si la femme va au mitard ; la caméra n’y sera jamais non plus. On ne peut pas tout montrer avec une caméra documentaire, ou alors, il faudrait qu’une personne détenue fasse un documentaire sur sa vie pour qu’on puisse avoir un point de vue de l’intérieur de la prison. Et ça on ne pourra jamais l’obtenir. 

Il n’y a qu’avec la fiction qu’on peut montrer ça, et c’est pour ça que je voulais faire une fiction.

Vous dites avoir commencé à écrire à propos de l’incarcération des femmes et de leurs bébés, et puis vous être recentré sur Ombline, parce que vous trouviez ça « pompeux ». Pourquoi ça ne marchait pas auparavant ?

En fait, j’ai voulu traiter le sujet. C’est-à-dire essayer de mettre le doigt sur tout ce qui ne fonctionne pas, à mon sens, dans l’univers de la prison actuellement. Et pour ça, j’avais besoin de mettre sur place une intrigue.

Il fallait donc que je mette dans l’intrigue la surpopulation, le manque de travailleurs sociaux, le fait qu’il n’y ait pas de médecin la nuit, l’impact que ça a si un bébé tombe malade en pleine nuit ou sur une femme qui a des contractions… J’ai essayé de montrer plein de points. Le fait que les personnes qui travaillent ne sont pas payées, qu’il n’y pas de Code du Travail, qu’elles ne cotisent pas. Enfin, elles sont payées un tiers du SMIC, pardon. Je voulais montrer tout ça.

Le problème de fond, à mon sens, c’est que les deux missions de la prison qui sont : le fait de punir, et le fait de réinsérer, sont en opposition. Et ça, je l’ai remarqué en pratique, à tous les niveaux. C’est que pour réinsérer une personne, il faudrait l’aider à trouver un travail, un logement, à avoir des liens familiaux solides. Et souvent, une personne qui va en prison perd son travail, perd son logement, et ses liens familiaux sont considérablement dégradés. Ca casse les gens. Et psychologiquement, pour réussir à s’en sortir, pour se réinsérer, il faut se reconstruire aussi. Et se reconstruire, quand on est fouillé à nu tous les jours c’est extrêmement difficile. Il y a un problème de fond qui demeure, quelles que soient les améliorations des conditions de vie. 

De la même manière, les personnes détenues ne gèrent pas leur emploi du temps. Donc il y en a plein qui passent leurs journées à regarder la télé. Elles ne font que ça pendant un an, deux ans, et après elles prennent cette habitude de vie. Donc en sortant, quand il faut qu’elles se bougent pour trouver un boulot, elles ont tellement l’habitude de rien faire que c’est encore plus dur ! A mon sens, c’est contre-productif, et c’est un des facteurs qui explique qu’il y ait autant de récidives – il y a environ 70 % de récidive pour les petits et moyens délits dans les cinq ans suivant la sortie de la prison, et ça, à mon avis, c’est en partie à cause de ça. 
Je voulais en parler dans le film, et j’ai fait une première intrigue qui mettait le doigt sur tout ça. Maintenant, il fallait aussi que ça reste du cinéma, de l’émotion, des personnages… Que l’intrigue ne parte pas du sujet pour aller vers le personnage, mais que ce soit l’inverse ; qu’elle parte du personnage pour aller vers le sujet. Parce que la prison, c’est juste le contexte du film. C’est pour ça que j’ai réécrit l’intrigue en partant d’Ombline, en me mettant dans sa peau, un peu comme un comédien. J’ai essayé de ressentir ses émotions, et d’avancer dans l’histoire tout en collant à la première intrigue que j’avais faite, en essayant de dire ce que je voulais dire et en sachant que je n’ai pas pu dire tout ce que je voulais parce que je n’avais qu’une heure et demie. Il y a plein de choses que j’aurais aimé ajouter, plein de scènes que j’ai dû couper – notamment dans la bibliothèque de la prison, des choses comme ça – mais tant pis.

Si vous avez étudié la sociologie, et en plus, comme vous vous intéressez à la problématique de la prison, je suppose que vous avez lu Surveiller et Punir, de Michel Foucault. Il y a quelque chose que vous dites dans le dossier de presse qui m’a vraiment fait penser à ce qu’il dit dans ce livre. C’est quand vous parlez d’une surveillante qui était très sympa, en dehors du contexte pénitentiaire, durant les repas, et qui était vraiment très stricte dans la punition, parce que pour elle la sanction, c’était quelque chose de très symbolique, lié à un système et détaché des personnes en elles-mêmes. Et c’est assez caractéristique de ce dont Michel Foucault parle dans ce livre, à savoir que la prison est un moyen de répression symbolique exercé sur la liberté de l’individu parce que la valeur sociale fondamentale s’est déplacée du châtiment du corps à celui de l’esprit et de la liberté ; et qu’il y a du coup un décalage entre la pensée répressive symbolique et la mission de réinsertion qui est censée être celle de la prison… C’est tout à fait ce que vous semblez penser ?

Oui, et ça me fait plaisir de parler de ça. Ce que j’ai voulu montrer, notamment avec le personnage de la surveillante, c’est aussi lié au fait de porter un uniforme. Dès qu’elle rencontrait une nouvelle arrivante, elle lui parlait du règlement intérieur, j’avais l’impression que c’était une manière de dire : « Voilà, tu es au courant de ce que tu as le droit de faire, donc si jamais tu enfreins les règles, c’est de ta faute, ça ne me regarde pas, je ne veux pas savoir pourquoi, ce n’est pas mon problème. Et je te sanctionnerai. » En plus, la nature de la sanction, ce n’est pas elle qui en décide, c’est le règlement intérieur. C’est une manière de se dédouaner de sa responsabilité, un peu comme dans l’esprit militaire ; il s’agit d’exécuter les ordres sans écouter sa conscience, ni se demander si c’est bien ou si ce n’est pas bien. Ce sont les ordres, on me demande de le faire et j’applique. C’est une manière de procéder qui peut aboutir à des abus de pouvoir mais qui est très humaine. C’est profondément humain de faire ça, parce que c’est très dur, le métier de surveillante. J’ai trouvé ça intéressant.

Il y a une expérience de psychologie qui a été faite dans les années 1970 à Stanford là-dessus : les psychologues ont pris 20 personnes et leur ont demandé de participer à une expérience de psychologie durant deux semaines sans que ceux-ci sachent ce que c’était. Les personnes sont arrivées et on a dit à douze d’entre elles : « Vous êtes des détenus » et aux huit autres : « Vous êtes des surveillants. La seule règle, c’est que vous devez faire appliquer le règlement de la prison. Nous allons analyser vos comportements, mais vous, vous faites comme si on n’était pas là ». Et ce qu’il s’est passé, c’est qu’ils ont dû arrêter l’expérience avant la fin de l’étude. Ils ont dû tout arrêter parce que ça dégénérait.

Parce que pour les gens qui étaient détenus, le fait d’être incarcéré était révoltant ; ça rend fou ! J’ai toujours cette image en tête : si on met un chat dans un placard pendant deux jours, lorsqu’on ouvre la porte ; quelle que soit la personne qui va ouvrir la porte, il va sauter et la personne qui ouvre le placard va forcément se faire griffer !

C’est presque animal ; quand on est enfermé, on a envie de bouger et de provoquer la personne qui nous tient enfermé ! On a tendance à abuser pour essayer de retrouver un peu de liberté, sauf que la personne qui tient le rôle de surveillante et qui, elle, doit faire respecter le règlement, elle va être obligée de sanctionner quand le détenu pousse un peu. Sauf qu’au moment où elle sanctionne, le détenu trouve ça injuste, la haine s’installe, et puis après, cela devient une histoire de personne à personne… Il y a une haine qui démarre et qui grandit petit à petit. Du coup, le détenu va faire un truc encore plus grave, le surveillant va sanctionner encore plus durement et puis ça ne s’arrête jamais !

Ca favorise la haine et le rapport de force. C’est vraiment une institution qui favorise le rapport de force. Mais c’est théorique. C’est-à-dire qu’il y a aussi des surveillantes qui arrivent à ne pas entrer dans ce jeu, mais ce sont des résistantes.

Quel est votre objectif avec ce film ? Qu’est-ce que vous aimeriez que les spectateurs ressentent ?

Mon premier objectif est qu’ils passent un bon moment, qu’ils ressentent des émotions fortes et qu’ils aient l’impression de se sentir vivants dans le film. C’est avant tout du cinéma, et j’ai essayé de faire un film « cinématographique » en travaillant tous les arts, que ce soit la musique, l’image, le son, la déco. J’espère que c’est un beau moment de cinéma !

Deuxième objectif : J’espère que ceux qui ne connaissent pas du tout le sujet apprendront des choses, parce que tout est basé sur des faits réels, même si j’ai pris des petites libertés par moment sur des détails. Mais ce qui est raconté, c’est basé sur des faits qui sont vrais, sur des parcours de vie. Donc j’espère que les spectateurs vont apprendre des choses.

Et troisième objectif : J’espère que les spectateurs se poseront des questions sur le sujet du film. En gros, c’est tout mon parcours durant ces années-là : j’ai ressenti beaucoup d’émotions, j’ai appris plein de choses et je me suis posé plein de questions ! J’ai essayé de faire partager tout ce que j’ai vécu pendant ces dix ans de préparation aux spectateurs. 
Ce sont vraiment mes trois objectifs. Après, il y en a peut-être d’autres : Si ça pouvait contribuer à faire changer la législation sur les mères et leurs bébés en prison, je serais super content, c’est clair ! Mais bon pour ça, il faut que le film marche…

Propos recueillis par Raphaëlle Chargois


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Festival International du Film Francophone de Namur 2012 (du 28 septembre au 5 octobre)

  • Compétition Émile Cantillon

Paris Cinéma 2012 (du 29 juin au 10 juillet)

  • Avant-premières

Ombline 

De Stéphane Cazes

Avec Mélanie Thierry (Ombline), Nathalie Becue (Tatiana, la surveillante), Corinne Masiero (Sonia et Catherine Salée (Isabelle)

Durée : 95 min.

Sortie le 12 septembre 2012

A découvrir sur Artistik Rezo :
– les films à voir en 2012

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