Somewhere – Sofia Coppola
La société de spectacle, ses fièvres lentes, ses délitements postmodernes, son vide abyssal : voilà un petit moment, déjà, que Sofia Coppola tourne autour de cette esthétique du désenchantement. Les flottements sensibles de son cinéma captent bien, de fait, les impasses, flatteuses mais vaines, du présent. Confer les scintillements intermittents, insomniaques, drôles et mélancoliques à la fois, de Lost in translation. Impressionniste, impressionnante, la dame…
Sauf qu’avec Somewhere, la cinéaste veut s’attaquer, cette fois, à l’essence même de cette société : la star. A Hollywood, qu’elle connaît bien. Au cœur d’une des légendes de ce monde dédié à la célébrité : l’hôtel Château Marmont. Un peu de trop de symboles, peut-être, pour le portrait attentif, minutieux, de son Johnny Marco (formidable Stephen Dorff) ? Fine, Sofia trouve vite le moyen de déjouer cette lourdeur potentielle. Elle place son retour au bercail – après ses détours au Japon et en France – sous la houlette, tout « simplement », d’un certain cinéma européen « arty » (Godard, Ackerman, etc). Mais réactualisé (la musique de Sébastien Tellier ou de Phoenix). C’est plus chic, en effet.
Epure et sophistication
Attention, que l’on ne se méprenne pas : Sofia Coppola a un vrai regard. C’est juste que pour le coup, à l’opposé du maniérisme saturé de couleurs de son dernier ouvrage – Marie-Antoinette – la réalisatrice américaine change de style en optant pour l’épure. Histoire de bien « habiller » sa chronique existentielle. En fait, l’habile trentenaire propose une forme particulière de minimalisme, car à grand renfort de plans séquences, d’étirements et de répétitions, il apparait plutôt sophistiqué. Très travaillé, en tout cas… On ne se refait pas !
Ainsi la scène d’ouverture, où l’on voit une Ferrari multiplier les tours de piste sur un circuit, avant que ne s’en extraie l’acteur principal : elle est assez emblématique. Bien vue : elle dit explicitement la vacuité, l’ennui du personnage. De sa vie luxueuse, enviable, et pourtant déboussolée : Johnny tourne bel et bien en rond. Agaçante : le plan est limite interminable, donc plus poseur que pertinent. L’ensemble du film oscille d’ailleurs en permanence. Happant des moments de grâce, pas forcément spectaculaires (Johnny regardant sa fille évoluer sur la glace de la patinoire, dans une chorégraphie rêveuse, ou l’un des employés de l’hôtel s’accompagnant à la guitare pour leur chanter une ballade). Mais balayant au passage, aussi, pas mal de clichés (les filles, les fêtes, les flashs, l’alcool, les journalistes, etc., comme un catalogue).
En dépit de ses errances un rien prononcées, disons redondantes sur le fond et la forme – mais comment faire pour ne pas être ennuyeux tout en stigmatisant l’ennui ? – Somewhere parvient pourtant à ne pas ternir toute l’estime que l’on porte à la délicate Sofia. Ceci grâce au personnage lumineux de Cleo, la fille pré-adolescente de Johnny (joliment interprétée par Elle Fanning). C’est bien à travers elle, exquise esquisse, ébauche de femme, que l’on retrouve (tout à fait) la fameuse patte Sofia Coppola. Frêle, blondissime mais indéniable source de vie, c’est elle, en tout cas qui parvient à ranimer son père post-adolescent, défait et défaillant. Car c’est elle, au fond, qui incarne le mieux ce vers quoi veut tendre ce film intermédiaire. A savoir la possibilité d’une bascule, d’un ailleurs (« somewhere », quelque part), d’un futur.
Ariane Allard
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Somewhere
Avec Stephen Dorff et Elle Fanning
Sortie le 5 janvier 2011
A lire sur Artistik Rezo :
– les films à voir en 2011
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