Snowpiercer, Le Transperceneige – film fantastique de Bong Joon Ho
Un train file à travers les glaciers et transperce des murailles neigeuses, roulant sans fin suivant le circuit circulaire créé par son deus in machina, autour d’une planète où le cycle des saisons n’existe plus. C’est le postulat alléchant sur lequel s’appuie le scénario du Transperceneige, adaptation à la sauce Bong Joon-Ho d’une BD française ; œuvre signée Jean-Marc Rochette, Benjamin Legrand et Jacques Lob. Postulat alléchant mais a priori également casse-gueule, puisqu’on se situe encore une fois non seulement dans le registre de l’adaptation, mais aussi dans la science-fiction post-apocalyptique, genre certes prolifique ces derniers temps mais souvent peu inspiré.
Malgré les pièges dressés sur sa route par les exigences du blockbuster hollywoodien et des figures imposées qui balisent toute tentative de s’aventurer dans le genre SF de manière un tant soit peu originale, Bong Joon-Ho propose un film bougrement intelligent, où il parvient à imposer sa patte, noirceur et absurdité incluses. Car ici, pas de manichéisme et encore moins d’idéalisation de la figure héroïque au profit d’un scénario initiatique qui doit forcément voir le Bien triompher. Les personnages sont tous ambigus et l’on reste scotché à l’écran par le rythme trépidant du récit. Dans cet espace clos qu’est le train, microcosme technologique où plane l’ombre révérée d’un démiurge tyrannique, chaque wagon est un nouvel univers où s’épanouit une mise en scène résolument inventive, et qui, chose devenue assez rare pour être soulignée, sert le propos plutôt que l’ego de son réalisateur.
Par de nombreux aspects, le synopsis de base fait songer au premier Matrix : un groupe d’humains se révolte contre le système instauré par une mécanique oppressive, érigée au rang de divinité. Plus le groupe d’humains pénètre dans les arcanes de ladite mécanique, et plus il s’aperçoit que les raisons de son oppression proviennent davantage de sa propre condition métaphysique que de la machine en elle-même. Mais ici, le discours, doublé d’une problématique politico-sociale – celle de la lutte des classes, le train étant un système économiquement hiérarchisé – est diablement plus retors, plus polémique, plus intelligent que dans le film des frères Wachowski, qui puisait d’ailleurs allègrement à la source d’œuvres de science-fiction plus modestes. En un mot, Snowpiercer, le Transperceneige, est véritablement subversif, quand Matrix n’était qu’un honnête divertissement proposant quelques pistes de réflexion philosophique peu ou mal exploitées. Avec les rebelles, le spectateur progresse dans le train, allant de surprise en surprise tant au niveau narratif que de celui de la réalisation, qui ne faiblit pas ; et ce même quand le réalisateur nous propose deux ou trois séquences complètement improbables.
Ce qui fait la qualité et l’intelligence de ce Snowpiercer, c’est encore que Bong Joon-Ho ne lésine pas sur la caractérisation des personnages, et particulièrement de deux personnages féminins a priori secondaires pourtant non dépourvus d’épaisseur. Le premier, c’est celui de la fanatique et veule Mason, porté par une Tilda Swinton plus illuminée que jamais – ce qui n’est pas peu dire. Le second, c’est celui de la jeune actrice coréenne Ah-Sung Ko, alias Yona, fille du maître des portes, shootée comme lui au Kronol, sorte de Cassandre de cet univers mécanique, qui prendra de plus en plus d’ampleur au fil du récit. Et que dire sans trop en dévoiler de Wilford, le sévère démiurge de ce microcosme totalitaire, si ce n’est qu’il compose un mystère qui sous-tend tout le récit pour mieux déjouer les présupposés et semer le doute ?
Il en résulte en tous cas un objet filmique fascinant, ambitieux et modeste à la fois, impressionnant de maîtrise technique sans vouloir trop en faire dans la démonstration, original et bien ficelé. Incontestablement, un film à ne pas manquer.
Raphaëlle Chargois
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Snowpiercer, Le Transperceneige
De Bong-Joon Ho
Avec Chris Evans, Tilda Swinton, Jamie Bell, Kang-Ho Song, Octavia Spencer, Ah-Sung Ko et John Hurt
Durée : 125 min.
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