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Sibil Çekmen : “L’art me permet de me détacher de moi-même et de voyager à travers la création d’autres personnes”

Quentin Coutanceau 9 juin 2020
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© Sibil Çekmen, "La pellicule de ma vie"

Le partage, le cinéma, les sentiments. Sibil nous explique comment sa triple culture lui a permis d’explorer l’art et comment aujourd’hui elle souhaite transmettre sa passion à travers ses recherches.

Pourrais-tu te présenter ?

Je suis doctorante à l’Université Lumière Lyon 2 en cinéma. Arménienne de Turquie, j’ai grandi avec une double identité qui s’est enrichie de la culture française, puisque j’ai étudié dans un collège et un lycée francophones à Istanbul. Au lycée, le cinéma était déjà au centre de mon attention. Mais après de longues discussions, notamment avec ma famille, je me suis d’abord lancée dans des études de biologie à Paris. Un parcours que j’ai abandonné après le Deug, car je me suis rendu compte que travailler enfermée dans un laboratoire ne me correspondait pas. Je suis retournée en Turquie pour suivre des études de cinéma, à l’Université de Bilgi, qui proposait un enseignement aussi bien théorique que pratique. En parallèle, je travaillais comme reporter dans un hebdomadaire pour les pages culture et art. J’ai tout appris sur le terrain. Après mes études, une association qui faisait la promotion du dialogue entre les peuples turc et arménien à travers l’art et la culture m’a fait une offre de travail. Je suis donc devenue coordinatrice de projets. J’ai également été fixeuse pour des projets de documentaires, ce qui m’a permis de renouer mes liens avec le cinéma. J’ai consacré quelques années à l’écriture d’un long-métrage, mais quand le projet a été annulé par manque de subventions, j’ai décidé de reprendre les études et je me suis inscrite en Master à Lyon 2.

Quel est ton rapport à l’art ?

Mon père avait une grande collection de vinyles, et ma mère était professeure de littérature française. Dès mon plus jeune âge, la musique et la littérature faisaient partie de mon quotidien. À six ans, je fréquentais déjà les salles de cinéma avec mes parents. L’art représente pour moi une forme de repos. Il me permet de me détacher de moi-même et de voyager à travers la création d’autres personnes. Je me laisse aller à regarder, lire, écouter. Mais je le perçois aussi comme un outil qui m’aiderait à comprendre “l’autre”, puisque l’artiste n’est pas “moi”. Je trouve que le cinéma est l’art qui correspond le plus à ma façon de fonctionner. D’une part, je suis très attachée aux souvenirs, à la mémoire, aux images et aux sons qu’on recrée, qui défilent dans nos esprits comme sur une pellicule de film. D’autre part, raconter et inventer des histoires m’enchante.

© Sibil Çekmen

Qu’est-ce qui t’a orientée vers la recherche ?

La relation que j’établis avec les autres se base sur deux actions complémentaires : apprendre et partager. C’est sûrement pour ça que je me suis lancée dans la recherche. Actuellement, je rédige une thèse sur les documentaires produits en Turquie dans les années 2000. Je me focalise surtout sur les thématiques suivantes : les femmes, les LGBTQI+, la lutte ouvrière, l’écologie, la transformation urbaine, les mouvements sociaux, l’identité et les minorités. À première vue, c’est un travail très solitaire : recherche de sources, lectures, visionnages de documentaires, écriture d’analyses de film. Mais les cinéastes eux-mêmes sont mes sources primaires d’informations. Pour chaque film sur lequel je travaille, je prends contact avec le cinéaste pour lui poser des questions sur sa motivation, les modes de réalisation et de diffusion de son film. Mais le dialogue ne s’arrête pas là, je leur apporte également mon soutien sous différentes formes : organisation des projections de leurs films à Lyon, traduction des dialogues pour la création des sous-titres, visionnage des rough cut de leurs prochains films, discussion et partage d’informations sur les festivals français et européens etc.

Tu enseignes également ?

Oui, l’enseignement fait aussi partie de mon travail. Je donne un cours intitulé “Cinéma et Frontières”, que je considère un peu comme la suite du travail que j’avais initié en master, en étudiant la représentation des frontières dans le cinéma arménien post-soviétique. L’idée du cours est de proposer une lecture contemporaine de la question des frontières, à travers un corpus de films couvrant une vaste zone géographique de l’Europe au Moyen-Orient, de l’Amérique Latine jusqu’en Asie. Nous échangeons sur comment les cinéastes construisent des films qui reflètent leur vision du monde, sur des questions concernant les conflits frontaliers et la migration, mais aussi sur des sujets étroitement liés à ces derniers, comme la construction de l’identité ou le genre. Avec ce cours, je vise à stimuler le goût de la recherche et de la curiosité de mes étudiants pour qu’ils gardent un œil ouvert sur le monde qui les entoure.

Propos recueillis par Quentin Coutanceau

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