Shalimar Preuss – interview
Comment se sent-on à quelques jours de la sortie de son premier long métrage ?
Shalimar Preuss : Le film est fini depuis un an. C’est donc un peu comme un écho à une actualité déjà ancienne. C’est bien aussi d’entendre en parler par d’autres, la presse, les festivaliers. Ca fait partie du jeu. Mais c’est quand même une histoire qui se termine.
Vous êtes franco-canadienne, vous avez étudié aux Etats-Unis. Pourtant votre film est franco-français…
(Rires) Oui. Je ne sais pas. Oui par la langue, la production…
Et la manière de filmer aussi, non ?
Oui. Peut-être.
La question qui découle de cette remarque : vos influences dans le cinéma français ? Parce qu’on ne peut pas s’empêcher de penser à pas mal de monde en voyant votre film…
Ah bon ? Voyons si on a les mêmes alors… Moi mes influences sont chez Rivette, « L’amour fou », Cavalier à l’époque du « Plein de super »
Moi, j’ai beaucoup pensé à Sandrine Veysset et Pascale Ferran…
Alors Pascale Ferran, honte à moi, je ne connais pas. C’est sur mes listes. En revanche, Sandrine Veysset, oui. « Y’aura-t-il de la neige à Noël ? » m’avait beaucoup marqué.
Votre court métrage L’Escale est construit de la même manière que ce film. Le plan final qui justifie tout ce qui précède…
Oui, c’est vrai mais je me souviens que ça m’avait gêné, ce final car je n’aime pas justifier les choses au cinéma.
Ma Belle gosse n’est d’ailleurs pas du tout construit comme ça même si on s’attend à un drame final, tout au moins au début. Puis on comprend assez vite que votre manière de distiller les informations et de dénouer les nœuds dramatiques ne peut aboutir à un tel final.
Oui tout à fait. En fait pour en revenir à L’Escale (1), ce qui m’intéressait c’était de montrer, de questionner le spectateur en lui disant « Mais comment personne n’a pu voir, sentir ce qui allait se passer dans ce café où une mère est seule avec ses enfants ? ».
L’isolement est le point commun de vos deux courts métrages et de Ma belle gosse. Mais vous le filmez de manière originale puisque le personnage de Maden s’isole tout en restant dans le groupe…
C’est vrai que l’isolement m’intéresse. D’autant que la relation épistolaire, c’est à la fois de l’isolement -pour lire, écrire- et la création d’un lien avec l’Autre. Mais contrairement à mes deux courts métrages, dans Ma belle gosse, il y a de l’espoir à la fin, c’est optimiste. Il n’y a aucun rejet des enfants par rapport à Maden. Leur relation est saine. Ils se prennent en charge et tout se passe bien.
Votre film est très réaliste, voire naturaliste. Vous aimez la plage, la mer, visiblement puisque les deux courts Rendez-vous à Stella-Plage et L’Escale se passent également en bord de mer.
Oui, peut-être que lorsque j’aurai réussi à filmer la mer comme je le veux, je changerai de décor. C’est un milieu complexe, la mer, et je poursuis donc encore cette exploration. Et puis la mer peut permettre de créer de l’intimité dans un décor plus large. Ca me plaît bien, cette notion-là.
Les regards, les silences sont importants dans votre film…
Oui, c’est comme des vides pleins… Je trouve qu’on a une capacité d’attention très réduite de nos jours et je voulais faire un peu le vide pour me concentrer sur l’essentiel. Mais le spectateur doit y mettre du sien.
C’est un film qui peut dérouter. Vous en avez conscience ? Comment le spectateur va accepter d’être privé de certaines répons ?
Disons qu’il faut accepter de ne pas être pris en charge. C’est facile et confortable, la prise en charge mais ce n’est pas ce que je cherche quand je tourne. On préfère le coup de foudre à l’investissement de soi dans une relation amoureuse. Moi, j’ai fait un film qui me plaît. J’espère que le spectateur va suivre… Je ne dis pas que je ne suis pas allée vers les gens avec ce film mais le mode de réception est différent, plus sensoriel, moins mathématique. Je pense que les gens n’ont pas forcément autant confiance en leurs émotions qu’ils le pourraient, ce qui rend leur réceptivité plus difficile par rapport à un tel film…
Vous faites allusion dans le dossier de presse à un film de Sokourov « Mère et fils ». Pourquoi ce film en particulier ?
Y’a toujours quelque chose, quand on voit un film qui va nous marquer, qui le lie à notre vécu. Et quand j’ai vu Mère et fils, ça a été un choc. Emotionnel et esthétique à parts égales. Et ce que fait Sokourov m’interpelle. J’ai toujours été amoureuse de la peinture et c’est vrai qu’avec ce film de Sokourov, on est en plein dedans.
Est-ce que ça explique le fait que vous faites vous-même vos cadrages ?
Oui probablement. Je préfère cadrer moi-même d’une part parce que j’adore ça mais en plus ce serait difficile de dire ce que je veux à un cadreur. C’est instinctif, physique. Je peux oser ce que des cadreurs ne feraient pas. Ou alors il faut trouver le cadreur idéal comme Jacques Loiseleux chez Pialat.
Jocelyn Lagarigue qui joue le père est assez incroyable, très juste…
Oui j’avais fait un casting assez long pour trouver le bon comédien. Et le hasard m’a fait croiser le théâtre du Soleil auquel il a participé. Il a accepté des choses assez incroyables, lui et les autres d’ailleurs. Je leur avais demandé de vivre dans cette maison en permanence puisque c’est le décor essentiel. Jocelyn est arrivé avec son propre fils. Tout le monde était mobilisé, on laissait une grande place à l’improvisation si bien que ceux qui n’étaient pas vraiment dans la scène l’étaient quand même, en arrière plan, dans le jardin… Les enfants, je leur ai interdit de lire le scénario. Je leur avais expliqué l’histoire mais rien de plus. Juste un briefing scène par scène avec des indications de mots, de ton très précises. Donc il y avait malgré tout des choses très écrites. L’improvisation se situait plutôt au niveau de la longueur des plans et des scènes. Je laissais tourner la caméra. C’est très proche du documentaire. Après, y’a aussi à gérer la lumière selon le moment du jour.
Le travail sur le son est énorme, autant sur les deux courts que sur Ma Belle gosse. Comment vous avez travaillé cette partie-là ?
La personne avec laquelle je travaille cette partie-là me connaît bien. On a déjà beaucoup travaillé ensemble. Le son est une matière en soi et c’est très écrit en amont. Ce qui d’ordinaire se fait au mixage, je le fais au moment du tournage. Et quand on arrive au mixage, notre matériau n’est que du son direct, beaucoup retravaillé, rebrodé pour créer des pics émotionnels. C’est un travail très minutieux et quand c’est pas possible à remonter au niveau du son, on laisse tomber. Là aussi, on se rapproche du documentaire, genre dans lequel on ne planifie pas le son.
C’est une forme d’artisanat en fait ?
Oui dans le sens où l’attention de celui qui fait est toujours en jeu. C’est là la différence avec l’industrie. Dans ce qui est fabriqué industriellement, on pourrait à la rigueur ne pas être là… Il suffit d’appuyer sur un bouton et de tourner la tête.
Vos projets ?
Je suis en phase d’écriture. Ca va m’embrouiller si j’en parle…
Propos recueillis par Franck Bortelle
(1) L’Escale filme une mère dans un bar en bord de plage face à ces deux enfants dont elle n’arrive pas à calmer les bruyantes chamailleries. Les deux ou trois clients du bar sont totalement indifférents. La mère finit par prendre la fuite en laissant les deux enfants dans le bar.
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