Seul sur Mars : Robinson de l’espace et culture de l’égo
Seul sur Mars De Ridley Scott Avec Matt Damon, Jessica Chastain, Kristen Wiig, Chiwetel Ejiofor, Sean Bean, Jeff Daniels. Durée : 144 min Sortie le 21 octobre 2015 |
Thriller spatial pourvu d’une excellente réalisation, Seul sur Mars tient en haleine le spectateur tout au long d’une relecture du mythe de Robinson Crusoë révélatrice de travers sociaux très contemporains. Mars. Des astronautes américains mènent une mission scientifique sur la planète rouge. Mais alors que l’équipe est en pleine opération de prélèvements sur le sol martien, une tempête se lève. Le commandant Lewis (Jessica Chastain) décide à contrecœur l’abandon de la mission. Tandis que les membres de l’expédition s’apprêtent à regagner leur vaisseau pour hâter leur retour sur Terre, Mark Watney est heurté par un débris et emporté par une bourrasque. Dans l’impossibilité d’établir le contact radio avec lui, ne parvenant pas à le retrouver dans la tempête, les autres membres de l’équipage concluent à sa mort et embarquent pour leur voyage-retour sans lui. Pourtant, Watney n’est pas mort… En attendant la prochaine mission martienne, prévue quatre ans plus tard, il lui faut donc s’organiser pour survivre et établir le contact avec la NASA… Lorsqu’on évoque le thème de l’homme seul, devant s’organiser pour survivre en milieu hostile, on pense toujours bien évidemment en premier lieu à Robinson Crusoë. Plus que jamais ici, la référence s’avère significative, car dans Seul sur Mars, le même choix narratif est effectué que dans l’œuvre fameuse de Daniel Defoe. En effet, il y aurait pu avoir différentes façons d’aborder le thème de la solitude. L’angle psychologique, notamment, choisi par Robert Zemeckis dans sa propre relecture contemporaine de Robinson Crusoë, faisant de Tom Hanks un être Seul au Monde, qui s’invente un ami imaginaire, Wilson, pour se raccrocher à la vie. Mais ici, quoi que la NASA s’en inquiète, la question de l’état psychologique de Mark Watney n’est que très peu abordée. Lorsque Watney prend conscience de sa terrible situation, il ne panique pas le moins du monde. Très rationnellement, il soigne sa blessure en s’opérant puis entreprend la tenue d’un journal vidéo dans lequel il relate les événements, les calculs qu’il a tout-de-suite effectués pour évaluer ses chances de survie et le processus mis en œuvre pour l’organiser. Le scientifique que l’on devine dans les premières minutes du film tellement passionné par son métier qu’il aimerait braver la tempête pour ne pas interrompre son expérience se mue alors en homme de terrain extrêmement pragmatique. La découverte scientifique n’est plus l’objet du séjour sur la planète rouge, mais le simple moyen de la survie sur cette planète ; renversement de conception du personnage étrange… Et particulièrement intéressant. Car par un heureux concours de circonstances (la légendaire « magie du cinéma ») Mark Watney, contraint de trouver comment cultiver un sol stérile sur une planète hostile, est justement botaniste. À partir de là, grâce au stock de patates emmagasiné dans les réserves de son abri martien et de ses propres déjections, il parvient à cultiver une plantation de pommes de terre, en produisant de l’eau grâce aux propriétés de l’hydrogène. Cela implique qu’il inventorie chaque élément en sa possession ; rationalise et comptabilise tout. Or lorsque Daniel Defoe écrivit Robinson Crusoë, au XVIIIe siècle, il fit tenir à son héros exactement la même démarche. Naufragé sur son île, Robinson inventorie, cultive, élève et médite sur sa propre condition. Un parallèle peu anodin, lorsqu’on songe que Robinson Crusoë, roman contemporain de l’industrialisation de la société britannique, de l’apparition de l’individualisme et du réveil des mouvements puritains a parfois été analysé comme un manifeste de ces différentes idéologies liées à ce qu’on appellera bientôt le « capitalisme » et plaçant l’ego au cœur de l’organisation sociale. Il y a dans Seul sur Mars, cette même préoccupation de la conquête individuelle, cette même affirmation de la primauté de l’individu, dans les affirmations de Watney à sa caméra / journal, lorsqu’il s’autoproclame « meilleur botaniste de cette planète » ou postule que le fait de cultiver une terre revient à la « coloniser ». Il y a toujours cette constante évaluation économique dans la réflexion des pontes de la NASA, qui envisagent les solutions de sauvetage de leur astronaute perdu : combien de jours pour fabriquer un cargo de ravitaillement ? Quelle quantité emmener ? Faut-il risquer de sacrifier six vies pour le bénéfice d’une seule ? Tout est calculé, soupesé sous formes de statistiques et de listings d’inventaire. En ce sens, Seul sur Mars a beau se situer aux confins de l’espace, peut-être nous parle-t-il davantage de notre société prônant le culte de l’égo, sans cesse mis en scène dans les journaux intimes paradoxalement publics que sont devenus les réseaux sociaux et de cette obsession de l’évaluation des ressources de nos sociétés confrontées à l’hostilité d’une nature en proie aux catastrophes climatiques que d’une quelconque aventure spatiale. Aventure spatiale qui, par ailleurs, s’avère excessivement bien filmée et peut se targuer de tenir le spectateur en haleine au fil des rebondissements plus ou moins théâtraux qui menacent la rescousse du héros, incarné par un Matt Damon malicieux et convainquant. Impossible de ne pas compatir au sort de Watney lorsqu’il constate la destruction de son champs de patates, ni de ne pas retenir son souffle lors de la scène du sauvetage final, dont tout semble proclamer l’impossibilité. Distillant habilement humour, action et suspense, Ridley Scott réalise un très efficace thriller spatial, scotchant les spectateurs à leurs fauteuils avec une 3D bien exploitée à défaut de s’avérer réellement indispensable. Raphaëlle Chargois [embedyt] https://www.youtube.com/watch?v=XigKV8ll8Go[/embedyt] [Crédits Photo : ©2015 Twentieth Century Fox] |
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