Rubber – film de Quentin Dupieux
Pour son deuxième long-métrage, Quentin Dupieux a souhaité faire table rase : s’émanciper du système de production étouffant auquel son statut d’agitateur hype (Mr Oizo) et quelques objets conceptuels passionnants (Non-Film) l’avaient « condamné ». Retrouver, par le biais d’un tournage éclair et d’une technologie plus légère (la fameuse caméra numérique 5D), une plus grande liberté d’action et de mouvement. Sauf qu’à bien y regarder, c’est justement ce paradoxe entre ses aspirations expérimentales et le cadre de production mainstream (Eric et Ramzy, le scope, le décorum U.S) qui donnait à Steak sa belle étrangeté. Une forme de remise à zéro du teen movie, genre bousculé dans ses clichés les plus fédérateurs par quelques accès de bizarreries dont Quentin Dupieux semblait être le seul à détenir le secret.
En cherchant à échapper à cette drôle d’équation (expérimental vs studios) pour son deuxième long-métrage, il en a perdu en route tout le mystère fragile – la bizarrerie à nue, en somme. Reste une idée, assez indigente au final, d’un pneu tueur (littéralement) qui sème la panique dans le désert californien. Le concept posé, Quentin Dupieux pioche quelques références dans un lexique ultra-codé (saillies gores façon Scanners de Cronenberg, clins d’œil à Buñuel et Tobe Hooper), le tout habillé d’un commentaire sur le genre (des spectateurs assistent au film en train de se construire). Pour produire quoi ? Un discours poussiéreux sur la société du spectacle, où le consommateur est anthropophage et le réalisateur un démiurge pervers. Et un film-arnaque qui s’évertue dans chaque plan à justifier son entreprise de surréalisme toc – no reason martèle un des héros.
Le contraste est saisissant surtout entre la forme moderne revendiquée – quelque part entre le clip, l’installation, le numérique –, et le propos ultra daté du film, qui voudrait organiser avec ses propres moyens la mise à mort du cinéma (voir l’arrivée finale et menaçante des pneus à Hollywood). Un horizon assez cynique, et qui distingue ce Rubber des fleurons du road movie expérimental façon Electra Glide in Blue ou Daft Punk’s Electroma.
Pour ne laisser alors que l’objet d’une petite rébellion étouffée : Rubber en guerre contre le Système sur le tapis rouge de Cannes.
Romain Blondeau
Rubber
Un film de Quentin Dupieux
Avec Stephen Spinella, Roxane Mesquida et Jack Plotnick
Sortie le 10 novembre 2010
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