“Répulsion” : inquiétant, psychologique, oppressant
Après Le Couteau dans l’eau, son premier long-métrage très remarqué nommé à l’Oscar du meilleur film étranger, Roman Polanski réalise Répulsion en 1965. Pierre angulaire de sa filmographie, il explore les fissures de l’esprit, les névroses et psychoses des sexes opposés à travers le personnage principal.
Carole Ledoux est une jeune femme belge, séduisante, peu farouche, méfiante, qui travaille dans un institut de beauté. Elle partage son appartement avec sa sœur Helen à Londres. Cultivant un total dégoût du contact charnel et terrifiée par les hommes, son équilibre psychologique va se voir contrarié lorsque Helen entame une liaison tumultueuse avec un homme marié.
“Ces salauds, ils te promettent la lune et… je pourrai me couper la gorge”, cette phrase d’une vérité et d’une violence accrue sera le déclencheur d’ une véritable descente aux enfers dans la spirale meurtrière : la présence de Michael l’amant de sa sœur est mal vécu, c’est un intrus, un parasite.
Une vision cauchemardesque d’un personnage double
Répulsion émerge dans la circonférence inquiétante de l’œil de Carole. Le contraste de la lumière et de l’obscurité introduit une atmosphère tendue et dérangeante, elle est accompagnée par le rythme saccadé d’un tambour, et n’en est que plus intense.
Polanski observe Deneuve minutieusement, de façon intrusive, voire obsessionnelle par l’utilisation de gros plans. Le spectateur pénétre dans la décomposition psychique de la jeune femme à travers ses yeux : sa souffrance, sa solitude, sa peur, son inquiétude.
Un monde de fantasme où l’homme et l’amour sont ennemis
Objet des regards et des désirs masculins, la jeune femme est d’emblée détachée de leur monde et de leurs préoccupations charnelles, jusqu’à ce qu’un événement vienne rompre cette certitude.
Paradoxalement, Carole séduit les hommes, elle veut plaire, être désirée, mais tombe rapidement sous l’emprise de visions, d’hallucinations visuelles, auditives ou cinétiques. Ainsi, le personnage est face à ses inhibitions sexuelles et ne peut y échapper.
Plus que le mépris, le dégoût
La répulsion se traduit plus fortement à travers la représentation d’un corps mort qu’on s’apprête à manger : un lapin cru écorché dans une assiette. Une vision qui évoque à la fois un embryon et une charogne.
Le symbole même du lapin est lié à la vulnérabilité, à la fertilité, au désir et à la procréation. Le réalisateur provoque, met mal à l’aise, écœure le spectateur à la vue d’une chair nue, morte, froide et humide, éliminant ainsi toute la pureté de l’animal.
L’une des préoccupations essentielles de Roman Polanski était d’évoquer la puissance des odeurs dans le réalisme de la mise en scène. Quant aux organes génitaux et à la décomposition, ils évoquent tous deux les fascinations morbides de Carole.
Un drame psychologique : la descente aux enfers d’une femme vers la folie
Le cloisonnement mental dans lequel le personnage est plongé est profond. Ses tourments sont visibles par son extrême méfiance et par le regard répulsif qu’elle porte sur l’amour. Catherine Deneuve est sublime et égarée, aux antipodes de ses compositions habituelles, et rarement l’érotisme aura-t-il été si froid, si désincarné.
Sa dégradation psychologique commence lorsque sa sœur part en Italie, et qu’elle se retrouve seule dans l’appartement. Des sensations inavouées, des sentiments enfouis, refont surfaces, en écho à Psychose d’Alfred Hitchcock, le film s’attache à la représentation réaliste d’une panique mentale.
Le spectateur se laissera envahir par le doute : l’idée d’un abus incestueux subi dans l’enfance de la jeune fille expliquerait son comportement instable envers les hommes. La fracture dans le mur, par son invraisemblance ou son surréalisme, met en évidence la perte de repères rationnels et souligne la démence de Carole, nous piégeant à notre tour dans les méandres de la folie.
Roman Polanski réalise un drame psychologique réussi, qui se centre sur la schizophrénie et la répulsion envers la sexualité entraînant au meurtre. Les scènes d’hallucinations sont d’une grande précision, et s’attachent à la description sèche et nue d’une trajectoire psychotique. Le sentiment claustrophobe est perceptible, amenant peu à peu le spectateur dans les limbes de l’horreur et de la destruction.
Isabelle Capalbo
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