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Rencontre avec Sophie Dulac, personnalité inédite du cinéma français

7 juin 2021
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© Dao Bacon

À l’occasion de la réouverture des salles de cinéma, Sophie Dulac évoque son parcours, nous confie ses ambitions, ses convictions, et ses incertitudes sur la pandémie et son impact sur l’industrie du cinéma. 

Pour commencer, pouvez-vous vous présenter, ainsi que votre métier/vos métiers ?

Je m’appelle Sophie Dulac, je suis propriétaire de cinq salles de cinéma art et essai à Paris et depuis 10 ans maintenant, je suis présidente et fondatrice de Champs-Élysées Film Festival. 

Qu’est-ce qui vous a poussée à vous investir dans chacun de ces domaines ? 

C’est une question très vaste. Si l’on m’avait dit plus jeune que j’allais faire du cinéma, j’aurais éclaté de rire. Je n’étais pas du tout destinée à ça. Au départ, je suis diplômée de psycho-graphologie et de caractérologie, on est donc très loin du monde du cinéma. Ce sont les opportunités qui se sont présentées à moi, que j’ai saisies sans forcément savoir de quoi il s’agissait et sans avoir conscience de ce qui m’attendait, mais j’étais guidée par l’amour du cinéma. J’ai toujours aimé le cinéma en tant que spectatrice, j’y allais souvent et j’y ai découvert tellement de films merveilleux, mais de là à travailler dans le secteur, il y avait un monde. Un jour, quelqu’un m’a demandé si ça m’intéresserait de produire un petit court métrage. Je me suis dit que ça pourrait être drôle mais j’ai tout de suite répondu que je n’y connaissais rien, qu’il fallait qu’ils s’occupent de tout et que je pouvais mettre un peu d’argent si besoin. C’est comme ça que j’ai produit un premier court métrage, Ministère de la peur de Fred Tourneur, qui était un très beau sujet sur Chris Lang. Puis on m’a informée qu’un jeune réalisateur cherchait un petit producteur, alors je me suis dit pourquoi pas ! Je continuais quand même à travailler dans mon secteur initial, jusqu’au jour où Jean Henochsberg m’a dit : “Tu sais, il y a des salles de cinéma à vendre. Est-ce que ça t’intéresse ?”. J’ai bien dû lui répondre non quatre fois mais comme il était têtu, au bout de la cinquième demande, je me suis laissée tenter. Même si je ne connaissais pas le métier, j’étais très bien entourée, par des personnes qui, elles, connaissaient le domaine. J’ai acheté ces salles sans savoir où elles étaient localisées, un coup de poker complet pour moi. Puis encore une fois, quelqu’un m’a dit : “Tu produis, tu as des salles de cinéma, ce serait peut-être bien de distribuer aussi.” Alors je me suis dit : “Pourquoi pas ! Distribuons ! Allons-y !”. Mon premier film n’a pas beaucoup fonctionné mais ça m’a appris ce que je ne devais pas faire en distribution, et c’est parti comme ça. Au début, très franchement, la volonté de travailler dans le milieu ne venait pas de moi mais j’ai su rentrer dans le jeu.

Y a-t-il des avantages à être présente dans autant de branches de l’industrie du cinéma ?

Oui, parce que les films que je produis, je les distribue et les diffuse à chaque fois. Puis quand on produit des films d’art et d’essai un peu pointus et qu’on a des salles de cinéma, on est au moins certain que ces films-là seront programmés dans une salle. Il y a tellement de films, 750 par an sur le marché français – ce qui représente un chiffre colossal – que pour trouver des salles qui prennent les films, ça devient de plus en plus compliqué. Moi au moins j’ai mes salles, je peux sortir les films que je produis et les garder un peu plus de temps à l’affiche si besoin, pour leur laisser une autre petite chance. 

Quelles compétences avez-vous dû acquérir pour posséder toutes ces casquettes ?

La compétence s’acquiert sur le terrain. Je n’ai pas fait d’école de cinéma, je suis arrivée avec mes gros sabots en 2001, avec cinq salles de cinéma dont je ne connaissais même pas le fonctionnement. Pour être très clair, j’ai appris sur le tas. Je suis quelqu’un qui connaît la vie et les métiers, donc je ne me suis jamais laissé faire. En fait, ça s’apprend extrêmement vite. Tout ce qui est négociation de contrat, c’est la partie de mon collaborateur Michel Zama. Moi c’est les salles de cinéma, c’est mon domaine et je les connais par cœur, tout comme leur fonctionnement. On se répartit les tâches à travers un réel travail d’équipe. Le plus compliqué est de choisir les bons films, avec le meilleur potentiel pour plaire au public. Dans les salles, on a également un directeur et un assistant directeur. On a des gens qui sont là depuis longtemps, qui connaissent parfaitement le fonctionnement des salles et leur métier.

La culture, qui a été particulièrement absente ces derniers mois, a tenté de survivre à travers la mise en place de méthodes alternatives, et notamment la diffusion d’événements en ligne. Comment vous êtes-vous adapté à cette offre en ligne ? Qu’avez-vous mis en place ?

L’édition 2020 de Champs-Élysées Film Festival s’est entièrement déroulée en ligne. Je crois d’ailleurs qu’on a été les premiers à inaugurer ce système au mois de juin dernier. Ça a été extrêmement positif car on a proposé une édition gratuite, ce qui fait que la France entière a pu avoir accès aux films de la programmation, ainsi qu’aux masterclasses. C’était une très bonne chose. Ça a été beaucoup de travail et une bonne alternative à la situation mais pour moi, ça ne remplacera jamais le contact physique avec les gens. On a également mis en place, en partenariat avec MUBI, une box cinéma avec des propositions de films régulières et plein de cadeaux dedans. C’est un concept amusant qu’on a lancé au moment de Noël. On a aussi proposé pas mal de films sur les plateformes à nos spectateurs, qui ont pu continuer à avoir accès à des films de qualité.

Dans de nombreux entretiens, vous évoquez l’importance d’ouvrir les spectateurs à un cinéma indépendant, souvent oublié du jeune public et peu présent sur les plateformes de streaming. Quelle est la situation pour les films indépendants aujourd’hui et l’impact des trois confinements successifs sur ces derniers ?

Pour être honnête, je n’en sais rien pour le moment. Mais je pense qu’il y a une très grande demande de cinéma et une très grande demande de films de qualité. Reposez-moi la question à la fin du mois de juin, je vous dirai si effectivement, le cinéma indépendant a réussi à tirer son épingle du jeu parmi tous les films qui sont en attente. Certains qui ont été arrêtés brutalement après le premier confinement, je pense notamment à Garçon Chiffon, ADN ou encore Drunk, marchaient plutôt pas mal. Et pour ceux qui auraient dû sortir en 2020, on va bien voir. Moi, j’aurais dû en sortir sept par exemple. 

Suite à l’édition 2020 de Champs-Élysée Film Festival qui s’est tenue 100% en ligne et gratuitement, vous avez instauré des places à tarif réduit tous les mercredis. Quels autres moyens avez-vous utilisés pour donner envie au public de revenir à la culture ?

En France, on est dans un pays où l’on n’a pas besoin de demander au public de se rapprocher de la culture. Je pense qu’on est extrêmement chanceux à ce niveau-là. Pour ce qui est de notre offre à 5 euros, on l’avait proposée avant le deuxième confinement. Même si le cinéma reste accessible, notamment avec tous les abonnements et cartes proposés aujourd’hui, on a conscience que beaucoup de gens n’ont pas travaillé et ont perdu du pouvoir d’achat avec la pandémie. On s’est donc dit qu’on allait mettre en place notre propre mesure, en rendant le cinéma accessible à 5 euros pour tous, tous les mercredis, avec un petit café offert le matin. Après, lors de la dernière grosse crise économique, le cinéma a quand même fait 220 millions d’entrées. C’est resté l’espace culturel le plus vu et là où les gens se rendaient le plus. En réalité, je pense qu’on n’a pas tant d’efforts à faire pour que les spectateurs reviennent au cinéma. Cependant, il y a un véritable enjeu pour donner envie aux gens de venir dans nos salles. J’ai une salle qui s’appelle le Majestic Passy, la seule qui n’est pas d’art et d’essai sur les cinq que je possède, que nous avons entièrement végétalisée, avec une offre de confiserie différente des bonbons et popcorns traditionnels : graines de courge, noix… L’idée ici est que le public aille plus loin dans son raisonnement, et soit dans une vraie démarche éco-responsable en choisissant de venir dans ce cinéma-là précisément. Au Majestic Passy par exemple, on a la même programmation que UGC Maillot. Ça nous prend forcément du public et la salle a aussi beaucoup souffert de l’arrivée du Pathé Beaugrenelle et d’un public qui bouge. Il faut que les gens qui se rendent au Majestic Passy prennent conscience que c’est un magnifique cinéma, très lumineux, avec trois belles salles, et que c’était une vraie démarche éco-responsable de faire vivre un cinéma végétalisé. On essaie d’aller un peu plus loin que de juste dire aux gens : “Venez au cinéma”.

Si nous suivons le programme annoncé de la réglementation des jauges des salles de cinéma, tout devrait s’améliorer pour arriver à une capacité totale le 30 juin prochain. Êtes-vous confiante sur cette réouverture progressive ?

Oui, franchement. D’abord, il y a de plus en plus de gens vaccinés donc je pense qu’on devrait tenir la route. J’espère simplement qu’à la fin de l’été, les gens n’auront pas fait n’importe quoi et qu’on nous dise en rentrant qu’il y a un nouveau variant, encore plus dangereux que les autres. Et donc que les hôpitaux soient à nouveau saturés. Ça c’est un paramètre qu’on ne peut pas maîtriser. Mais avec le vaccin, je pense qu’on devrait repartir sur de nouvelles bases, plus saines, et qui nous éviteraient le reconfinement. Le seul point noir pour moi, c’est l’idée d’un éventuel pass sanitaire. Déjà parce que ce n’est pas du tout dans mon ADN de trier le public, et deuxièmement, il y a plein de gens qui n’ont pas forcément envie de se faire vacciner, qui ont encore le droit de décider de ce qu’ils font et de ce qu’ils ne font pas. Et si effectivement ça bloque l’entrée de tous les centres culturels ou autres, ce serait une catastrophe absolue. C’est totalement discriminatoire. Pour moi, c’est la seule chose qui risquerait encore d’être compliquée. Pour l’instant, j’ai entendu que c’était uniquement demandé pour les grands évènements mais malheureusement, ça peut peut-être aussi arriver à terme dans les salles de cinéma, les théâtres, les musées… On en reparlera le jour venu mais c’est une petite inquiétude pour moi.

Vous êtes de retour en septembre prochain pour les 10 ans de Champs-Élysées Film Festival. Quelles sont vos ambitions pour cette nouvelle édition ?

Je souhaite beaucoup de choses pour cette édition anniversaire ! On a décalé le festival cette année, à cause de la pandémie et du fait qu’on n’était pas certain de pouvoir le faire en présentiel. Il se tiendra donc du 14 au 21 septembre. On va proposer une édition de qualité mais on va quand même réduire la voilure. On n’est pas certain que les américains par exemple, puissent encore bouger ou aient envie de bouger. On a donc beaucoup axé sur la programmation, qui est une très belle programmation. On va avoir un ou deux invités indépendants et pas de très gros invités américains. Parce que là aussi c’est un coût et que pour l’instant, je ne suis pas encore certaine qu’on puisse vraiment maintenir l’édition en présentiel. Moi ce que j’attends, c’est que le public revienne évidemment. Qu’il soit là, sur les Champs-Elysées, comme il l’est depuis maintenant 10 ans. Il y a entre 25 et 30 000 personnes qui viennent sur le festival, c’est un très beau pari gagné pour moi. J’ai aussi envie que les gens reprennent goût à la vie, aux sorties, aux festivals. Je ne vous cache pas que pour un dixième anniversaire, j’aurais préféré quelque chose de beaucoup plus ouvert. Mais on va garder le cap de la qualité et de l’exigence. Et on va vraiment se focaliser sur la programmation de longs métrages américains et courts métrages français. On a également toujours notre terrasse, où il y aura des DJ sets le soir. On va essayer de faire quelque chose de vraiment sympathique !

Propos recueillis par Eva Mackowiak

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