Rencontre avec Francis Ford Coppola – Twixt
L’homme est affable, facile d’accès, et vraiment (mais vraiment) intéressant. En totale immersion, on peut boire ses paroles, non en fan invétérée, mais juste en curieuse passionnée.
Francis Ford Coppola nous parlera donc de son nouveau film Twixt, film dit de « vampires », mais bien moins que le fut son Dracula bien sûr. Car Twixt (jeu de mots avec « betwixt » : l’entre-deux) est d’abord un film personnel, intime, et donc furieusement dérangeant. Le choix du film de genre constitue une façon de faire un film peu coûteux, où le réalisateur a les mains assez libres pour faire du bon travail, c’est-à-dire s’ouvrir le cœur. À l’âge de 60 ans, un réalisateur commence à challenger ses propres succès, sa propre carrière. Il est donc plus facile et gratifiant de se consacrer à des projets personnels, d’autant qu’il reste toujours difficile, même avec sa carrure et son talent, de monter des projets coûteux.
Coppola évoque la genèse du film, un rêve qu’il eut en Turquie, où il rencontrait une étrange jeune fille aux dents pointues dotées d’un appareil. Réveillé par un muezzin, il eut dans sa deuxième phase de sommeil, la visite onirique d’Edgar Allan Poe, et de fait, l’auteur du célèbre poème « Nevermore » hante le film. L’aspect créatif dans le film (le processus d’accouchement de l’œuvre, douloureux, tâtonnant, l’inspiration sporadique, les rencontres déterminantes) constitue à lui seul une interrogation métaphysique passionnante, notamment lors d’un dialogue rêvé entre l’auteur Poe et l’auteur Baltimore (Val Kilmer).
Coppola ne lit jamais d’œuvre traitant du sujet qu’il est en train de filmer, mais il se rappelle qu’autrefois, il avait décidé de lire toutes les histoires d’Edgar Allan Poe. Il fut autant marqué par La Chute de la Maison Usher, que par l’histoire tragique de l’écrivain, entièrement marquée par le thème de la perte : unique fils adoptif d’une riche famille, il épousa sa propre cousine, dont il était très amoureux, avant de la voir mourir lentement, à l’âge de 24 ans.
La question cruciale du casting révèle un Coppola attentif à ses acteurs : il défend ainsi largement Val Kilmer, excellent mais sous-employé, qui connut une ascension fulgurante à l’âge de 20 ans, puis un déclin perpétuel (tout comme le réalisateur ressent sa carrière). Il évoque également les difficultés de rassembler une distribution de qualité, en temps et en heure. Le fait d’avoir tourné le film en sept semaines, dans son domaine viticole, lui a épargné bien des problèmes. Techniquement parlant, il fait également l’éloge de son chef opérateur, Mihai Malaimare Jr., un jeune homme roumain familier des nouvelles technologies, ce qui a permis au réalisateur de s’attaquer au numérique (a contrario de Sofia Coppola, sa fille, qui souhaite s’inscrire dans un cinéma plus traditionnel). La caméra digitale lui a permis une plus grande liberté de mouvement. Cependant, du fait de son âge, le réalisateur n’a pas souhaité tourner toutes les nuits. Seuls les scènes de rêve, gothiques, furent donc tournées en nocturne.
Le temps, le temps, ce thème essentiel aux œuvres de Coppola (symbolisé dans le film par l’horloge aux huit cadrans et par les horaires aléatoires) lui manqua pour écrire le script. Aussi ce fut tout naturellement que la fin lui vint, inspirée sa propre culpabilité dû au décès de son fils. Certains souligneront cette obsession du réalisateur pour son histoire personnelle. Mais il est difficile de reprocher quoi que ce soit à cet homme qui matérialise sa douleur avec un tel talent, une telle réalité : aucun pathos, aucune lourdeur ; juste l’expression de la tragédie humaine transcendée dans l’entre-deux.
Mathilde de Beaune
A découvrir sur Artistik Rezo :
– les films à voir en 2012
– la critique de Twixt
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