Rencontre avec Amandine Gay, la réalisatrice politique de demain
À l’occasion de la sortie de son prochain documentaire Une histoire à soi, j’ai pu rencontrer Amandine Gay, réalisatrice documentariste française.
Pourriez-vous nous parler de vos débuts dans le monde du cinéma ? De l’actorat à la réalisation ?
Je suis arrivée à Paris à 23 ans pour faire un conservatoire en art dramatique. J’y ai passé deux ans, c’était libre, sans restriction. Un agent m’a repérée, l’année d’après j’ai commencé à passer des auditions. On me proposait sans cesse les mêmes rôles : prisonnière, travailleuse du sexe ou sans papiers, je me suis lassée très vite. Par exemple, quand j’envoyais une candidature spontanée en réponse à une annonce indiquant “recherche jeune fille entre 18 et 25 ans”, on me répondait que l’annonce demandait une étudiante pas une Noire. En 2014, j’ai décidé d’arrêter d’être comédienne, j’avais déjà écrit des programmes courts de fictions, mais le pouvoir et l’argent sont du côté de la production, pas des auteures. Lorsque j’ai proposé un personnage de femme noire lesbienne sommelière, on m’a répondu que ça n’existait pas en France, que c’était trop anglo-saxon. J’ai donc décidé de réaliser un documentaire, ce que j’avais les moyens de faire en autonomie. Le tournage a eu lieu en 2014 et le montage en 2016, quand j’étudiais à Montréal. Ouvrir La Voix, un documentaire sur les femmes noires en France et en Belgique a donc vu le jour afin de révéler la diversité au sein de la catégorie “femmes noires”, de les montrer dans leur individualité et non comme un groupe indéterminé.
Après Ouvrir La Voix, documentaire donnant la parole à 24 femmes noires francophones à propos de la mysoginoire vécue, votre prochaine réalisation, Une Histoire à Soi interroge cette fois les personnes adoptées. Cette ligne directrice s’inspire t-elle directement de vous ? Quel a été le processus de réflexion avant de réaliser ces films ?
Il s’agit de la conclusion d’une dizaine d’années de recherche. Mon sujet de mémoire en master était : “Les enjeux du traitement de la question coloniale dans la société contemporaine française”, j’ai été membre de OLF, un groupe féministe que j’ai quitté pour cause de désaccords sur des sujets tels que le port du voile, et l’exclusion des travailleuses du sexe dans le mouvement féministe. Plusieurs projets qui n’ont pas vu le jour ont précédé Ouvrir La Voix dont un projet de cabaret colonial dans lequel on se réappropriait des chansons racistes ou un programme court intitulé Vis ma vie de Noire. J’ai ensuite basé le questionnaire du film sur ma vie, mes recherches et mes projets artistiques. Je désirais créer une œuvre, avoir quelque chose à montrer pour pouvoir dire que je travaille dans le monde du cinéma, Ouvrir La Voix était une synthèse de mes engagements. Il se trouve également que l’on ne parle pas des adoptés une fois qu’ils sont adultes. Mes films partent donc du privé pour aller vers le politique, Une Histoire à Soi traite de l’adoption internationale, des rapports Nord-Sud, des rapports de classes, du point de vue des personnes adoptées. On aborde les enjeux liés à la recherche des origines, comme le fait d’avoir accès à ses antécédents médicaux. La forme du film, celle du film d’archives est choisie pour souligner le fond des questions abordées et permettre la réappropriation de la narration par les adoptés. Les protagonistes se racontent au travers de leurs archives personnelles : photos, dessins, Super 8, VHS, dossiers d’adoption, etc…
D’après vous, l’adoption est-elle un sujet tabou aujourd’hui en France ?
Ce qui est tabou, c’est de parler des enjeux politiques de l’adoption. On en parle encore sous l’enjeu moral et humaniste. Il faut politiser les dimensions de l’adoption qui posent encore problème aujourd’hui. Par exemple, l’enjeu de la migration forcée pour les enfants adoptés à l’international. En effet, dans le monde du travail, si un poste intéressant se trouve dans un autre pays l’employé bougera pour obtenir le job, bon nombre de personnes font ça, on les appelle les expatriés, les adultes sont donc capables de se déplacer pour un travail mais pas pour un enfant. Cet exemple permet de réaliser que le déplacement des enfants a été naturalisé, présenté comme une évidence alors que ça ne va pas de soi. L’adoption transnational révèle un différentiel de pouvoir, l’agentivité est du coté des adoptants, on ne demande pas son avis ou son consentement à l’enfant, il y a asymétrie dans la prise de décision, on déracine les enfants. Grandir noir en Haïti c’est appartenir à la norme, grandir noir en France, c’est devenir une minorité, faire l’expérience du racisme, de différentes discriminations à l’emploi, pour trouver un logement, dans les relations privées… On a énormément de mal à aborder la question raciale en France, la gestion du cheveu crépu par exemple. C’est pourquoi, pendant “Le Mois des Adopté.e.s “ qui a lieu en novembre chaque année depuis 2018, un atelier a été mis en place en partenariat avec le salon Hoji pour les parents ne sachant pas s’occuper des cheveux crépus. Il est important que les parents se forment en amont à recevoir un enfant noir dans leurs familles, qu’ils sachent que les peaux noires ont besoin de beaucoup d’hydratation, qu’elles cicatrisent différemment, que les cheveux se manipulent avec précaution. Il faut savoir ce que l’on va répondre aux enfants s’ils vivent du racisme. La réflexion est non développée, le tabou est là. Lorsque l’on fait des recherches sur l’adoption, lorsque l’on voit des débats à la télévision, les adoptés n’ont pas ou peu la parole. L’on interroge les parents adoptants, les candidats, les professionnels de l’adoption, tout le monde sauf les adoptés, et les mères séparées de leurs enfants. C’est pourquoi il est important de développer la connaissance du concept de justice reproductive. Par exemple, aux États-Unis, le lien a été fait entre le fait de grandir en foyer et le fait de se retrouver en prison ; nous nous devons de nous demander quel est le destin des enfants placés, mais aussi réfléchir à qui a accès à la contraception et qui n’y a pas accès, pourquoi, il faut changer notre façon de considérer l’adoption et regarder tous les paramètres. La question du retour au pays d’origine peut aussi être abordée en lien avec le panafricanisme au travers de l’enjeu du retour à la terre mère. Par exemple, un groupe s’est constitué, Ethiopia wud Bete, pour accompagner grâce à des posts sur Instagram et FB, les adopté.e.s souhaitant retourner vivre en Éthiopie.
Quel serait, selon vous, le moyen de “préparer les enfants adoptés au racisme” ?
Il s’agirait plutôt de les accompagner, d’être vigilant, de les aider à valoriser leurs héritages. Moi, par exemple, j’avais des poupons noirs, ma maîtresse en avait acheté pour que l’arrivée d’un enfant noir dans l’école ne soit pas trop étrangère aux autres enfants. Il faut s’assurer que l’on fréquente des gens de la communauté de l’enfant, ma mère est allée en Guadeloupe dans sa jeunesse et s’y est fait un ami diacre. Lorsque son ami venait en France métropolitaine (dans les 70’s), dans la rue on voulait voir l’intérieur de ses mains, toucher ses cheveux… ma mère y assistait, ainsi, elle a pu développer une sensibilité au racisme. Mes parents écoutaient Johnny Clegg un artiste abordant beaucoup le sujet de l’apartheid. Quand j’étais petite je fréquentais des messes caribéennes, je faisais du basket et un basketteur professionnel afro-américain s’est installé dans le village où j’allais à l’école, j’ai donc eu plusieurs occasions de ne pas être coupée de ma communauté dans l’enfance. Au Québec quand on fait une demande d’adoption, une des conditions est de pouvoir prouver que l’enfant pourra s’entourer de semblables, il faut donc autour de soi trouver un référent, donner ses coordonnées… Ce genre de démarche pousse l’adoptant à se poser la question en amont, à se familiariser avec les origines de son enfant, à aller dans le pays d’origine. Il faut aussi et surtout autoriser l’enfant à se défendre, à répondre si on l’insulte. Le genre de phrase “mais non t’es pas comme nous” est un problème, puisqu’elle signifie qu’être Noir ce n’est pas bien, “comme nous” c’est une fois de plus ethnocentré. Il faut dire à son enfant qu’être noir c’est normal, lorsque les enfants font face au racisme ne pas leur dire d’oublier, ne pas leur dire que les autres sont bêtes et ignorants, il faut leur expliquer pourquoi il y a du racisme en France, leur expliquer l’esclavage, la colonisation, le racisme systémique. Se demander et surveiller si les enfants sont stimulés par les professeurs, punis pour les bonnes raisons ou s’ils sont discriminés d’entrée de jeu.
“Adopter un enfant, c’est altruiste” ? Ou ne serait-ce qu’une résultante du phénomène de white savior ?
Avoir un enfant est toujours une démarche égoïste, il s’agit d’une matérialisation d’une histoire d’amour, d’accomplir quelque chose dans un parcours donné, d’une envie de transmettre ses gènes, faire des enfants ce n’est pas altruiste quand ça passe par une filiation biologique, adopter des enfants répond à la même logique. L’enquête de l’INED “L’adoption en France : qui sont les adoptant ? Qui sont les adoptés ?” nous montre d’ailleurs que 3/4 des candidats à l’adoption choisissent ce mode de parentalité en raison d’une d’infertilité. L’adoption vient donc d’abord répondre à un problème pour des couples souhaitant initialement fonder une famille biologiquement. L’adoption est le premier choix pour fonder une famille uniquement pour 1/4 des candidats, soit pour des raisons politiques ou en lien avec leur travail (pour ceux qui travaillent dans l’humanitaire par exemple). L’altruisme est une narration construite, sans rapport avec la réalité. L’adoption ce ne sont pas que des non-blancs, donc il n’est pas forcement toujours question de white saviorism, mais ça en fait partie. Quand les personnes blanches adoptent des non blancs pour leur épargner une vie de misère en Afrique, ça en fait partie. Le mode de vie occidental peut apporter un confort matériel supérieur à d’autres zones, mais beaucoup peuvent parfaitement vivre sans tout ça. Cette idée comme quoi ce serait forcément mieux en Occident, désigne un très grand ethnocentrisme. J’ai en tête cet exemple, un homme du documentaire était originaire du Brésil et en retournant là-bas chez ses parents biologiques, il a pu constater qu’il y faisait bon vivre, il ne voyait aucun problème à vivre dans les favelas.
Propos recueillis par Soraya Assae Evezo’o
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