Régis Roinsard et Déborah François – interview
Qu’est-ce qui vous a inspiré cette histoire de concours de sténodactylographie ? Je crois savoir que l’idée est venue d’un documentaire sur la machine à écrire…
Régis Roinsard : Oui tout à fait. Eh bien, c’était en 2004 ou 2005. J’ai vu à la télé un documentaire sur l’histoire de la machine à écrire. Il y avait une séquence d’environ 20 à 30 secondes sur les concours de vitesse dactylographique, et ça m’a fasciné.
J’ai trouvé que c’était très cinématographique. J’ai pensé qu’il y avait peut-être là matière à une dramaturgie, et j’ai foncé sur mon ordinateur pour écrire les premières lignes de ce qu’allait être Populaire, en inventant déjà le personnage de Rose. Il n’y avait pas encore Louis.
Durant des années je me suis renseigné sur ce qui avait trait aux concours de vitesse dactylographique, les championnats… J’ai rencontré des gens qui avaient enseigné la dactylographie et d’anciennes championnes. J’ai fait une enquête qui a duré pas mal d’années, parce que ces championnats ont disparu dans les années 60 et il n’en reste rien ; il n’y avait pas de matériel, les gens avaient jeté tout ce qui concernait ces concours.
A partir de ce matériau-là, j’ai cherché, j’ai retrouvé, et j’ai commencé à écrire une histoire.
Déborah François, qu’est-ce qui vous a séduit dans le personnage de Rose Pamphyle ?
Déborah François : Je ne sais pas… Tout ! Peut-être en premier sa maladresse. Le fait que c’est une fille extrêmement déterminée et en même temps… Elle a des dons pour certaines choses et puis pour tout le reste elle n’est vraiment pas très douée. J’ai l’impression que ça me rapproche aussi d’elle dans le sens où il y a des choses que je fais très bien, et puis pour tout le reste je suis vraiment maladroite. C’est assez touchant de voir la force de cette fille. On se dit qu’elle n’a que des failles au début, et en fait on se rend compte que c’est le contraire : que c’est Louis qui a les failles et qu’elle, en fait, elle est forte. Ça, ça me plaît.
D’habitude, c’est le contraire : on a l’impression que le personnage est sans failles et ensuite on en découvre les noirceurs, les faiblesses. Et là c’est le contraire, on va découvrir qu’elle est forte, que rien ne pourra la détruire et qu’elle va aller jusqu’au bout. Je trouve ça intéressant, cette force cachée.
Le concept des concours de vitesse dactylographique est l’un des aspects les plus étonnants et les plus originaux du film. Pouvez-vous nous en parler ?
Régis Roinsard : Eh bien, ça a commencé aux Etats-Unis. Au départ ce sont des marques de machines à écrire qui ont instauré ces championnats pour promouvoir les machines à écrire. A l’époque, c’était très prisé. On y gagnait une machine à écrire, ce qui valait très cher ; des vases de Sèvres dédicacés par le Président du Conseil, des montres en or…
Ce type de concours existe toujours aujourd’hui, mais sur clavier d’ordinateur. On est allés quelques mois avant le tournage voir le championnat du monde qui a eu lieu à Paris. Il y avait 280 concurrents de tous les pays du monde ! Et pour nous ça soulevait plein de questionnements.
Le premier, c’était : Mais quel genre de personnes fait ça ? Est-ce que ce sont des anciennes secrétaires, est-ce que ce sont des jeunes gens ? Et il y avait de tout ! Même des gamins qui ressemblaient à Justin Bieber ! C’était vraiment fou !
La chose qui a changé radicalement, maintenant, c’est que, comme elles se font sur clavier d’ordinateur, les épreuves se font à huis-clos. Parce qu’on ne fait pas de bruit en tapant sur un ordinateur alors qu’en tapant sur une machine on en fait plein. Donc avec un ordinateur il n’y a pas de gêne de concentration. C’est très cérémonial. Nous, on était des invités d’honneur, il n’y avait personne d’autre dans la pièce. Et Déborah s’est levée, mais de 10 cm…
Déborah François : Oui, c’est bon, je me suis levée de 15 cm !
Régis Roinsard : Et les gens l’ont regardée comme si toute l’épreuve pouvait être annulée ! C’était vraiment impressionnant…
C’est votre premier film. Comment fait-on lorsqu’on est un jeune réalisateur, pour convaincre un producteur de nous laisser réaliser un premier film qui parle de sténodactylographie ?
Régis Roinsard : C’est une longue histoire… Disons que j’ai un agent qui a fait lire le scénario à Alain Attal, qui a complètement flashé dessus. Et surtout j’avais écrit – enfin on avait écrit, avec ma coauteure – une version du scénario qui était la meilleure et la plus complète possible, car on voulait à tout prix éviter, si l’on trouvait un producteur qui l’accepte, qu’il puisse se dire au bout d’un mois : « Mais c’est n’importe quoi, pourquoi j’ai signé un film pareil ?! »
Finalement le scénario était bien là et l’a tout-de-suite emballé, même si on l’a bien sûr quand même réécrit un petit peu. Mais de toutes façons, Alain Attal est fou, parce qu’il a produit des films assez difficiles, comme Polisse ou même Le Concert. Je lui ai aussi montré mes courts-métrages, mes clips… Le scénario était très documenté en ce qui concerne les photos, donc il a pu voir à l’avance tous les décors que le film pouvait générer.
De plus on a eu l’accord de Romain Duris très tôt, ce qui a permis de déclencher tout le financement. Et puis les gens sont tombés amoureux du scénario et du personnage de Rose. Quand Déborah est arrivée sur le projet, ça a continué, parce que les gens, et les cinéphiles en particulier, aiment beaucoup Déborah. Tout ça a permis au projet de grandir. Enfin, ça représentait un défi pour tout le monde. De ce fait, je n’ai pas ressenti une pression gigantesque.
Dans le scénario il y a quelque chose qui dans le fond m’a fait penser un peu au fil conducteur d’une pièce de théâtre de Molière, c’est-à-dire que c’est l’histoire d’une jeune fille que son père veut marier, pour qu’elle trouve un bon parti, et puis finalement elle s’émancipe, ce qui est très frappant, grâce à la lecture des livres qu’elle lit pour les dactylographier, et à l’écriture…
Régis Roinsard : Oui c’est franchement génial que vous disiez ça, car j’ai lu récemment une critique de Moonrise Kingdom de Wes Anderson qui disait combien c’était important, la lecture, dans et pour la vie. Et là, c’est effectivement pareil ; c’est à travers les livres, pas vraiment qu’elle s’émancipe, mais plutôt qu’elle trouve son chemin, des pistes pour la guider dans sa propre vie. Bon, les livres ne sont pas non plus utilisés comme des grosses citations, mais comme des repères. Et ce en faisant référence à des livres finalement assez différents ; entre Le Rouge et le Noir, La Princesse de Clèves, Madame Bovary… Oui absolument. Je trouve que la voie de l’écriture est importante. C’est chouette que vous ayez remarqué ça, vraiment.
La période des années 1950 / 1960 revient beaucoup à la mode en ce moment…
Régis Roinsard : Je crois que ça ne peut pas cesser de revenir parce que je pense – mais ça, c’est mon point de vue – qu’il y a là comme le maître-étalon de beaucoup, beaucoup de choses, et en particulier du design, de la mode… C’est-à-dire que ce sont des choses qui sont presque imparables.
Déborah François : Imparables, oui, c’est le mot.
Régis Roinsard : Par exemple les lunettes Wayfarers de Ray-Ban ne cessent de revenir tout le temps parce que la forme est parfaite, et moi, ça me fascine. C’est une période qui me touche vraiment. Les couleurs, les peintres de l’époque, en particulier les peintres américains. Tout me plaît. Elle me fascine aussi parce que c’était une période de fantasmes autour de plein de choses. C’est une période que j’adore par-dessus tout, et à part les années 1970, je ne peux pas m’imaginer une période qui ait été aussi riche de bouleversements. C’est très sexy. En outre, dans les années 50, les gens vont créer beaucoup de choses qui nous sont désormais très familières voire essentielles, notamment dans les domaines de l’Entertainment et du spectacle, le rock…
Je me suis même demandé quelle place accorder à la grande histoire, comme la Guerre d’Algérie, par exemple, mais ça aurait peut-être été un peu hors-sujet.
Déborah François : Moi j’ai remarqué que les derniers défilés de mode sont très inspirés par le style de la fin des années 50. Ça me paraît révélateur, parce que ça répond en général beaucoup à ce qu’on voit à la télé ou au cinéma.
Régis Roinsard : Par contre on nous parle beaucoup de la série télé Mad Men, mais en vérité, on n’a pas cherché du tout à s’inspirer de Mad Men, puisque j’ai commencé à écrire le film bien avant !
Le film décrit également une forme d’émancipation de l’emprise paternelle. Le seul moyen pour les jeunes filles de s’affranchir de la tutelle de leur père était à l’époque encore le mariage, mais Rose, elle, trouve une autre voie en décrochant ce job « moderne » de secrétaire…
Déborah François : Oui, bien sûr.
Régis Roinsard : L’émancipation de la femme, c’est encore un sujet très « touchy », donc il fallait trouver l’équilibre entre le comportement macho de Louis et le comportement de Rose…
Déborah François : Je trouve ça personnellement super fort ces femmes qui font avancer la cause des autres femmes en n’étant pas dans la revendication, mais simplement en étant juste. Et Rose EST juste. Elle fait les choses, c’est comme ça, elle ne pose pas de questions, elle ne revendique pas, n’est pas porte-drapeau de quoi que ce soit. Elle le fait et je pense que c’est les femmes comme ça qui donnent l’exemple, sans même vouloir le montrer, juste en étant ce qu’elles sont. Je pense que c’est comme ça que les femmes ont pu beaucoup avancer depuis les années 50 ; il y a toujours des femmes pour montrer la voie sans trop se poser de questions.
Régis Roinsard : vous savez, Minelli a réalisé toute une série de films avec Spencer Tracy et Katharine Hepburn, sur cette idée de Madame porte la culotte. Il y en a eu trois, je crois… Alors on s’est dit que dans le fond, pourquoi ne pas imaginer la suite dans les années 1960 ? Ça pourrait peut-être marcher !
Propos recueillis par Raphaëlle Chargois
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