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La fin de la pauvreté ? de Philippe Diaz

29 octobre 2009
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Des effets…


« Avec tant de richesses dans le monde, pourquoi y a-t-il encore tant de pauvreté ? » La question s’impose, pressante et provocante. Pour y répondre, l’Histoire. Non pas la petite, des Il était une fois. Ni tout à fait la grande, dont il est question dans les manuels consacrés. Non, l’Histoire que l’on nous raconte ici est plus incisive, directe et dirigée.

 

« Au commencement était le crime », semble-t-on nous dire. Entendons par là, la conquête des terres, leur totale expropriation et leur pleine exploitation. Trois concepts qui, tel Adam, Eve et la pomme, porteraient en eux-mêmes et à eux seuls l’entièreté du vice. Et pour cause. Si la colonisation appartient au passé, elle n’a pas fini de diffuser son regrettable héritage, s’exerçant encore et toujours sur les pays pauvres, sous une autre forme et par d’autres moyens. C’est ce qu’il y a à démontrer.

…à leurs causes.


Et Philippe Diaz s’y attèle. Il questionne, point par point. En tête, l’imposition d’un système de croyance qui, s’il était jadis religieux et politique, se cache de nos jours sous les traits pervers de la Domination Economique. Le réalisateur voyage à travers ce Tiers-Monde, qui des favelas d’Amérique Latine aux bidonvilles d’Afrique, subit aujourd’hui encore les lois édictées par les anciennes colonies européennes, joyeusement soutenues par les nouveaux maîtres financiers que sont les Etats-Unis et le Japon.

 

Il dénonce. Tout d’abord l’esclavage qui perdure en se nourrissant de la perte du savoir-vivre et du savoir-penser de millions de personnes, contraintes de travailler la terre de leurs ancêtres toujours aux mains de riches exploitants. Puis, tapis dans l’ombre, le pillage des richesses qui sévit inlassablement via la destruction des industries locales, des savoir-faire et des techniques. Une privation qui, il le rappelle, condamne les peuples à importer des produits manufacturés et allonge dangereusement la dette déjà insurmontable que les ex-puissances coloniales ont illégalement abandonnée aux pays nouvellement libres, au moment de la décolonisation.

 

De retour, neuf ans après le succès de son documentaire « Nouvel ordre mondial (quelque part en Afrique) », le cinéaste humaniste n’a pas fini de dire et de faire parler.

L’art et la manière


Images d’archives, analyses, interviews d’experts du monde entier et témoignages de victimes : le travail d’investigation et de restitution de Philippe Diaz est réglé comme du papier à musique.

Inflexible tout d’abord, sa thèse. Déjà défendue par l’économiste américain Jeffrey D. Sachs, elle se réimpose ici, dans toute sa pertinence. Les assertions s’enchaînent, provocantes mais justifiées.

Implacables ensuite, les chiffres. Qui ponctuent l’ensemble, soulignant le déséquilibre des échanges, l’inégale répartition des impôts ou encore le monopole de 85% des ressources de la planète par 25% de la population mondiale.
Enfin inoubliables, les images, d’hier et d’aujourd’hui. En rythme, focus et plans d’ensemble nous saisissent. Les travailleurs dans les plantations, les indigènes par terre dans les églises, la petite fille des rues câlinant sa poupée ou les regards-caméra des jeunes enfants : une réalité capturée dans son intense nudité et qui, encore mieux que les mots, dénonce la perte de sens et de repères. Le tout, avec la rigueur qu’impliquent le respect et la fidélité.


« Et ça continuera ainsi, si Dieu et les gens importants le veulent ».


Emotion et réflexion s’entremêlent chez un spectateur qui en prend plein les yeux et la tête. Exploitation, spoliation, destruction, perpétuation d’un système : dans toutes les langues, de toutes les bouches et par tous les moyens, Diaz énonce et dénonce. Soucieux de rester à bonne distance du monde qu’il filme et des individualités qu’il sonde, son but est d’en restituer le lancinant refrain. Sans doute à l’excès mais qu’importe. Indifférent aux redites et aux longueurs, l’enquêteur n’essaie même pas d’y échapper, pareil en cela à ces enseignants dévoués qui savent mieux que personne à quel point la rengaine est indispensable à l’assimilation des savoirs.

 

Mais le tout n’est pas de dévoiler le monde, encore faut-il le marquer de son empreinte en proposant des solutions permettant de rompre le cercle infernal. Là encore, le cinéaste martèle : l’arrêt de la privatisation des ressources naturelles, la révision de l’économie de marché, l’effacement de la dette internationale et plus que tout la préservation des richesses de la planète sont LES solutions menant au paradis perdu : un Eden non plus aveugle et naïf, mais instruit des erreurs du passé et bien décidé à les enrayer. Pour se faire, un concept salvateur mis en avant par les spécialistes : « l’Accroissance ». Chargé de sonner le glas de la religion économique, il restaurerait à lui seul l’équilibre menacé de la planète et de ses habitants.

 

Au terme de son remarquable compte-rendu, Philippe Diaz prend soin de ne pas nous abandonner à l’éveil de nos consciences, rappelant à chacun la possibilité qui lui est offerte d’apporter sa pierre à l’édifice, par un respect assidu de l’écologie. Ce qu’il y avait sans doute à démontrer.

Reprenant et complétant la thèse controversée de Jeffrey D. Sachs dans l’ouvrage du même nom, La fin de la pauvreté ? lui confère une légitimité nouvelle. Politique, humaniste et écologique, le documentaire capture son sujet afin de l’offrir sans ambages à un spectateur saisi, touché et ébranlé. Et si comme tout réveil énergique, il n’est pas à l’abri du rejet ou de l’agacement, il mérite sans nul doute de capter davantage l’attention et la réflexion. Reste à espérer que son mordant, quelle qu’en soit la nature, parvienne à dépasser le confortable cadre et la douce torpeur des salles de cinéma.


Laetitia Ratane

 

 

La fin de la pauvreté ?

Documentaire écrit et réalisé par Philippe Diaz

 

Avec la voix de:
Charles Berling (version française)
Martin Sheen (version internationale)

 

Participants : SUSAN GEORGE Présidente d’Honneur de ATTAC France ; Présidente du Conseil du Transnational Institute
JOHN PERKINS Auteur du best-seller « Confessions d’un tueur à gages économique »
AMARTYA SEN Prix Nobel d’Économie (1998)
JOSEPH STIGLITZ Prix Nobel d’Économie (2001) et ancien économiste en chef de la Banque Mondiale
ERIC TOUSSAINT Président du Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde….

 

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Distribution : Cargo Films.
www. theendofpoverty.com
Semaine officielle, Semaine de la critique, Cannes 2008.
USA-2008/ Durée :1h44

 

En salles le 16 décembre 2009

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