Potiche – film de François Ozon
Aigu ne veut pas forcément dire de biais. François Ozon, cinéaste insatiable – un film par an depuis ses féroces débuts, en 1998 avec Sitcom – en témoigne aujourd’hui avec Potiche, son nouvel opus en forme de comédie. Diablement réussie ! L’un des plus fines, des plus enlevées et des plus modernes de cet auteur, alors qu’il part d’une pièce du tandem Barillet et Grédy, celui-là même qui fit les beaux jours du (grand) public télévisé des années 60 et 70.
De fait, toute la force ironique de cette chronique d’une émancipation féminine, c’est qu’elle est jouée au premier degré. Et ce, par trois des ténors du cinéma français (Deneuve, Depardieu, Luchini). Ils s’y amusent sans clins d’œil ni effets appuyés – aux antipodes du théâtre de boulevard dont se revendique, pourtant, la pièce originelle – embringués, emportés même, par le ton, le rythme et la verve du scénario. Singulièrement la grande et belle Catherine : en « potiche » bourgeoise du titre, qui, peu à peu, s’ouvre au monde, à elle-même et prend, en quelque sorte, sa revanche, elle est idéale de précision, de rapidité et… d’engagement littéral (ah, l’ouverture du film avec son jogging en survêtement rouge et bigoudis sur la tête…).
Drôle et tendre
Pas un seul instant de distanciation, non. Et c’est justement ça qui est bon ! Héroïne de tous les plans (ou quasiment) de cette histoire décalée (ah, les papiers peints, les lunettes en écailles, les oranges fluo des chemisiers et des robes, et la libération sexuelle des années 70…), elle a la sagesse – et la justesse – de rester concrète et quotidienne jusqu’au bout. Inutile d’en rajouter. C’est d’autant plus irrésistible que résonne à travers elle – son parcours exemplaire d’actrice et de femme – une petite musique évidemment bien plus libérée ! Son talent, au fond, c’est d’être totalement raccord avec cette fable, qui oscille en permanence entre réalisme – décors, costumes, chansons – et stylisation (c’est plus l’idée que l’on se fait des années 70, les souvenirs que l’on en a gardés).
D’ailleurs, la deuxième bonne idée d’Ozon, qui renforce l’acuité de son regard et de sa comédie, c’est d’avoir maintenu ce contexte très clivé des années 70 (le patron notable provincial, la dame patronnesse, le député communiste, les syndicalistes grévistes, etc.). Non pas pour faire joli et vintage – pas seulement – mais pour mieux tisser des liens, évidemment, avec notre époque de crise… Entendre deux, trois slogans sarkozistes au détour d’une séquestration de PDG (brutal, le PDG… Luchini en grande forme !), c’est à la fois hilarant. Et troublant… Il eut été tout à fait étonnant, aussi, que le corrosif Ozon ne chatouillât pas là où ça agace !
Cela étant, si Potiche, pour finir, fait la différence avec nombre de ses films précédents (ceux estampillés comme comédies, en tout cas), c’est que le cinéaste a su mâtiner de mélancolie et de tendresse, comme rarement, sa satire. Ainsi la relation entre la « potiche » et le député communiste (Depardieu, bien, lui aussi), qui est nimbée de regrets, exhalant un parfum fugace, mais nettement moins acide, sur les désillusions amoureuses ou le temps qui passe. Aigu, oui, en effet, en surface et en profondeur !
Ariane Allard
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Potiche
De François Ozon
Avec Catherine Deneuve, Fabrice Luchini, Gérard Depardieu, Jérémie Rénier, Karin Viard et Judith Godrèche
Sortie le 10 novembre 2010
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