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Philippe Rouyer : “Être critique, c’est traduire avec des mots une expérience non verbale”

Tom Bélonie 23 avril 2021
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Rencontre avec le critique, historien du cinéma et président du Syndicat français de la critique de cinéma Philippe Rouyer, qui nous parle de son métier et de sa vision du 7e art.

Comment s’est forgée votre cinéphilie ?

Très tôt je me suis aperçu que, de toutes les activités familiales, c’était le cinéma que je préférais. À 12 ans, j’ai convaincu mes parents d’aller voir 2001 : l’Odyssée de l’espace. Tandis qu’eux passaient complètement à côté, moi j’étais totalement submergé. Mais en sortant, je n’arrivais pas à leur expliquer pourquoi j’avais tant aimé ce film. Le lendemain, je leur annonçais que je voulais être critique de cinéma afin de pouvoir travailler mon argumentation, tout en partageant mon enthousiasme pour le cinéma.

J’ai ensuite nourri ma passion. Je suis monté à Paris pour accéder à toutes les salles de patrimoine, à la Cinémathèque, et faire des études de cinéma. Puis j’ai commencé à publier dans Positif à 20 ans.

« 2001 : l’Odyssée de l’espace », de Stanley Kubrick (1968)

Le métier de critique est souvent perçu comme une personne disant si un film est bien ou pas, et non comme une personne qui cherche à mettre en relation un film et son public. Quel est donc le rôle du critique de cinéma ?

Truffaut disait « Tout le monde a deux métiers : le sien et critique de cinéma ». Être critique, c’est traduire avec des mots une expérience non verbale. Le discours du critique est affranchi de toute démarche commerciale. J’ai beau aimer passionnément tel film de Bergman, je ne vais pas essayer de convaincre une personne fatiguée que c’est un film qui se regarde facilement. En revanche, je peux trouver un autre film qui sera tout aussi bon et qui pourra s’apprécier dans ces conditions. Il faut susciter le désir sans tromper sur la marchandise.

Je suis plein de gratitude pour les films qui m’ont transporté et pour les gens qui les ont réalisés. En échange, j’essaye de transmettre un peu de mon enthousiasme aux spectateurs.

Vous vous exprimez sur plusieurs médias. Comment faites-vous pour vous adresser à des publics si différents ?

Quand j’écris dans Positif, une revue cinéphile, je m’adresse à des personnes qui ont déjà vu le film et qui veulent prolonger le plaisir qu’ils ont eu de le voir. Dans Psychologies magazine, pas du tout spécialisé en cinéma, c’est tout le contraire. Je suis là pour proposer des films à des lecteurs qui ne sont pas spécialement cinéphiles.

Au Cercle (Canal+), c’est plus compliqué : nous sommes plusieurs à nous exprimer sur un film. Mais comme on dispose d’extraits à commenter, je peux articuler mon discours autour de la mise en scène et du style. L’idée est de m’appuyer sur la manière dont l’histoire est racontée. Par exemple, je vais montrer et expliquer comment les acteurs et la caméra sont utilisés pour créer l’humour ou impressionner. À cela vient s’ajouter ma séquence de fin durant laquelle je décortique une scène d’un film ancien. Ici l’enjeu est double, puisque je m’adresse à la fois à ceux qui ont déjà vu le film, en soulignant des détails qu’ils peuvent ne pas avoir vu, et à ceux qui ne le connaissent pas, en essayant de leur donner envie de le découvrir.

FlabProd © Le Cercle, Canal+

Lors de la Cérémonie 2021 de remise des prix du Syndicat français de la critique de cinéma, vous faisiez parti du jury pour le meilleur DVD/Blu-Ray. En quoi le support physique reste t-il un incontournable ?

Avoir le film chez soi est très important. En ce qui me concerne, c’est un outil de travail. Lorsque j’écris, cela me permet de revoir des plans. C’est une nécessité. Notre imaginaire nous conduit souvent à déformer les films. Ainsi, des spectateurs ont affirmé avoir vu les yeux du bébé de Rosemary, alors que Polanski ne les a jamais filmés.

De plus, il arrive que des films disparaissent. Ça a failli être le cas, l’année dernière, pour Autant en emporte le vent. Évidemment que c’est un film terriblement raciste, mais je suis contre la cancel-culture ! Il faut se souvenir qu’en 1939 il y avait un tel racisme que Hattie McDaniel n’avait pas été autorisée, lors de la cérémonie des Oscars, à s’asseoir avec le reste de l’équipe du film, bien qu’elle ait remporté l’Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle.

Enfin, il y a les montages alternatifs qui viennent effacer la version originale. Par exemple, certaines restaurations sont atroces, comme celle de Major Dundee de Sam Peckinpah. Que ce soit dans la bande originale et le montage, le film a été modifié, sans même que cela soit notifié. Pire : aujourd’hui, cette version restaurée est la seule accessible ! On se permet de toucher à un film car pour beaucoup de gens le film est vu comme un produit, et non comme une œuvre…

Hattie McDaniel © Bettmann / Getty Images

Lors d’une émission du Cercle, vous aviez souligné que « Défendre le cinéma, c’est aussi défendre des métiers ». Comment voyez-vous l’avenir de la salle de cinéma ?

La salle va être préservée dans le cœur des spectateurs. Il est vrai que le retour au cinéma a été compliqué à la sortie du premier confinement. Mais l’arrivée de films comme Tenet ou Effacer l’historique a donné aux spectateurs l’envie de retourner devant le grand écran dès le 26 août. Quand les salles ont fermé, fin octobre, cela marchait à plein régime. J’aime à croire qu’à la réouverture, cet engouement sera de nouveau là.

La grande salle de l’UGC Normandie © Hundven-Clements

Certes, les gens ont pris l’habitude de regarder des films sur les plateformes. Mais si on regarde l’histoire du cinéma, ce discours alarmiste a toujours été présent ! Avec l’arrivée de la télévision : « Ils vont pouvoir regarder les films chez eux » ; avec l’arrivée des cassettes vidéos : « Ils vont pouvoir regarder tous les films qu’ils veulent » ; avec l’arrivée de Canal+ : « Ils vont pouvoir regarder des films récents toute la journée ». Aujourd’hui, c’est la même chose avec les plateformes et cela n’empêchera pas les gens d’aller au cinéma !

Toutefois, il ne faut pas croire que la pandémie ne va pas laisser de trace. Il faudra faire des aménagements que nous trouverons tous ensemble, mais le cinéma ne peut pas mourir. C’est comme si vous me demandiez « Pensez-vous que les gens retourneront au café et au restaurant au déconfinement ? » !

Propos recueillis par Tom Bélonie

Portrait chinois cinéma :

• Son film : 2001 : l’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick

• Sa salle de cinéma : La grande salle de l’UGC Normandie et l’Éperon à Angoulême

• Son affiche : Pulsion de Brian de Palma

• Sa BO : Bernard Herman pour Vertigo

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