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Pascal Thomas – interview

11 septembre 2012
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Pascal Thomas

On sent un amusement commun, des acteurs, de votre part ?

C’est-à-dire que quand on reprend pour la troisième fois les personnages d’une histoire, qu’est-ce qu’il ne faut pas faire ? Comment ne pas ennuyer ? On a réussi, une fois, deux fois, comment réussir une troisième fois ? Quand on fait un premier film, par exemple quand j’avais fait Les Zozos, on se demande comment faire le deuxième. J’ai fait le deuxième et j’étais persuadé que j’allais rater le troisième. A l’époque, je voulais même couper la scène qui a le plus amusé, mais le distributeur m’a dit « si vous coupez cette scène, je ne vous parle plus jamais » et c’est finalement une scène avec Menez qui a fait rire toute la France, sept minutes de fou-rire. Mais voyez on est tellement préoccupé de ne pas ennuyer qu’on ne sait plus du tout où on en est. Et là, c’était la même chose. On ne voulait pas ennuyer alors il ne s’agissait pas de refaire une énième enquête – bon, il y a un cadavre, des meurtres, des gens qu’on soupçonne et la fameuse scène finale où on élimine tous les gens qu’on soupçonne – mais d’inventer autrement. Et dans l’œuvre d’Agatha Christie, il n’y a pas que des histoires policières ; il y a d’autres nouvelles où elle parodie d’autres auteurs comme Conan Doyle, Raymond Chandler, Dorothy Sayers, etc. Et là, on a fait un peu à sa manière ; on a puisé dans une part de l’œuvre qui se nourrit de fantastique, presque un peu gothique, et on a pris d’autres éléments qui sont présents chez Agatha Christie mais qui n’ont pas forcément fait sa gloire. Sans compter tous les éléments qu’on a inventés nous-mêmes.

Dans le dossier de presse, vous parlez de votre plaisir du dialogue. « Un dialogue qui se veut soutenu, châtié, ne reculant pas devant l’aphorisme mais se refusant au bon mot ». Pourquoi ce refus du bon mot ?

Eh bien je crois que l’aphorisme est bon, mais qu’avec le bon mot on sort de l’histoire, parce que sinon des bons mots, on pourrait en faire des paquets… Mais on sort de la construction du personnage. Je ne suis d’ailleurs pas le seul auteur de comédie qui dit ça, hein. Je crois que chez Labiche, il n’y a aucun bon mot, mais que des aphorismes, des choses extrêmement amusantes. « C’est pas pour me vanter, mais il fait joliment chaud ! »1, ça caractérise le personnage. Le bon mot ne caractérise pas le personnage. La blague, l’astuce. Je dis « le bon mot », mais en fait c’est plutôt « l’astuce ».

Pourtant vous ne rechignez pas non plus sur les digressions au cours de l’histoire…

Ah, les digressions, c’est autre chose. On ne sort pas des personnages ! Vous parlez de l’allusion à Courbet, là ?

Par exemple…

Ah oui, l’histoire de Courbet, dramatiquement, ça n’apporte rien. Mais c’est un plaisir ! Oui, il y a un mec qui ressemble à Courbet, il y a une leçon de peinture, à ce moment-là – la scène existait déjà dans le scénario mais il n’y avait pas de professeur, on a inventé le professeur de cette façon – il est arrivé en un geste à recomposer le visage du célèbre autoportrait de Courbet. On a même fait le gros plan de L’Origine du Monde, mais on ne l’a pas monté…

Toujours dans le dossier de presse, j’ai lu que vous disiez que vos films étaient « destinés à fuir la grisaille du quotidien et l’horreur absolue de notre époque »…

Voilà.

J’ai donc trouvé ça assez marquant, parce que vos films sont plutôt optimistes, et pourtant vous parlez d’ « horreur absolue de notre époque » ?

Les films sont faits pour amuser. On rentre dans la salle et on espère que le spectateur au bout de quelques instants – les dix / quinze premières minutes sont dédiées à l’exposition – va oublier son quotidien, sa vie, pour aller se balader dans les montagnes avec les Beresford, s’amuser à tout… Mes films ne sont pas du tout le reflet de la vie d’aujourd’hui ! Mon premier film, je l’ai tourné en 1972 et c’était une histoire qui se passait au moment des accords d’Evian, en 1958. Tous mes films sont tournés vers le passé. D’ailleurs c’est le cas même si vous regardez les formes des voitures, j’aime beaucoup les voitures anciennes… En fait je ne pense pas que c’était mieux avant, mais que c’était beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup mieux avant !

Qu’est-ce qui vous paraît si horrible dans notre époque ?

Tout. La langue, les idées toutes faites, les formes, l’architecture, les préoccupations des gens, leur façon de prendre des vacances, tout ! L’acceptation des choses qu’on leur refourgue, le peu d’esprit critique, la littérature et ce qu’elle est devenue… Je ne vous parle pas du numérique, c’est une faute, on a tué le cinéma ! Mais il paraît que c’est plus facile pour les exploitants, alors les exploitants sont contents.

Les réalisateurs aussi tournent maintenant en numérique…

Ah non, pas moi ! Je continue à tourner en 35 mm, à monter en 35. 
Et la formation compte beaucoup pour moi alors j’ai une équipe de monteuses et de stagiaires…

Où placeriez-vous votre âge d’or, alors ?

Mon âge d’or ? Il y en a plusieurs, le XVIIe siècle, par exemple. Ca dépend pour quoi !

Disons pour le cinéma alors…

Pour le cinéma, eh bien on le sait, il est du début aux années 70… 1967 on va dire…

Le cinéma est l’art d’un siècle. Malheureusement on ne le savait pas, il s’est trouvé tout seul.

Les cinéastes sans le savoir ont fait des films géniaux, inventifs, et aujourd’hui ils cherchent à être géniaux et inventifs, mais ils n’y arrivent pas.

Dès les débuts, les frères Lumière ont su placer leurs caméras, filmer ce qu’ils voulaient voir. Et puis après il y a eu les grands Viennois qui sont allés à Hollywood et tout ça s’est fait tout seul. C’est ça qui est extraordinaire. C’est un art très, très, neuf. Ils ont voulu le représenter à Cannes avec Piccoli portant une barbe blanche pour les 100 ans du Cinéma. 100 ans de cinéma ! C’est une connerie, parce que c’est le plus jeune des arts ; moi, j’aurais mis un bébé… – Vous pouvez me dire que je suis obsédé par les bébés mais tout de même ! –

Le grand âge d’or du cinéma, sur la durée, je dirais que ça a commencé en Russie où avant la 1ere Guerre Mondiale vous aviez de très grands cinéastes, comme Evgueny Bauer.
Pour les Américains, on peut placer ça à partir du parlant – même s’il y a eu des chefs d’œuvre avant, des films de Stroheim, par exemple, dont beaucoup ont été perdus – de 1938 aux années 50. Toutes les générations y travaillaient, avec le système de films A, B, etc. Les films A, c’étaient les films chers, avec les réalisateurs les plus doués et les plus connus, idem pour les acteurs, et même les scénaristes. Et puis après il y avait des gens qui se formaient, avec des cinéastes comme Tourneur, Mankiewicz qui arrivait… Si vous prenez par exemple les films de Bette Davis ou de Joan Crawford, il y a toujours quelque chose à l’intérieur ; tous sont beaux ; il n’y a pas un film nul.

La comédie italienne, c’est un peu plus tard, parce que les Italiens se sont retrouvés dans une situation assez intéressante. Il y a eu des films italiens / napolitains du temps du muet absolument sublimes, notamment avec les films d’une réalisatrice qui tournait pour les Napolitains de New York. Il fallait qu’on voit le plus de choses de Naples et de gens de Naples ; c’est-à-dire que quand ils voyaient les films, ils reconnaissaient les gens, les endroits, les cafés. Et les histoires étaient extraordinaires ; il y avait des femmes qui rentraient dans des bistrots et les mecs étaient tous prêts à s’entre-égorger pour séduire ; d’ailleurs des femmes finissaient toujours poignardées au milieu de foules incroyables dans des calèches découvertes. Après, vous avez eu le cinéma mussolinien, le cinéma des téléphones blancs, etc et des grandes fresques, qui n’étaient pas vraiment l’Italie. Et puis vous avez le néo-réalisme qui n’était pas vraiment l’Italie non plus, mais plutôt une sorte de réaction à ce qui venait de se passer ; et le caractère italien qui était comme maintenu depuis la création du cinéma sous une cocotte-minute éclate et il y a tous ces talents qui arrivent en même temps : Les producteurs De Laurentis, Ponti, le type de la Lux2 ; des réalisateurs, Rossellini, Fellini, Germi, Boniceli, Scola, Comencini, Risi. Les scénaristes, les actrices, Gina Lollobrigida, Sophia Loren ; les acteurs, Marcello Mastroianni, Gassman qui représentent vraiment l’Italie. Donc on a pendant les années 50 jusqu’à La Terrasse3 quelque chose qui s’exprime plus que jamais. Il y a des Américains qui ont tourné des péplums là-bas ; le Cinecittà ; mais aussi Riccardo Freda et Cottafavi4 qui font des films absolument extraordinaires sous la forme de genres très populaires qui donnent des choses extrêmement intelligentes.
Le cinéma français on peut dire que c’est le cinéma de l’entre-deux guerres, où se retrouvent tous les gens de théâtre, écrivains, cinéastes, Guitry, Mirande, Poirier, Renoir ; plus les acteurs, notamment Jules Berry jusque dans les années 50. Il y a ces très grandes périodes où tout le monde se trouve, se rencontre, invente, réalise des choses extraordinaires. Et ce n’est hélas plus le cas aujourd’hui ! Mais c’est la même chose partout… Je vous conseille par exemple de relire une biographie d’Henri Michaux, l’auteur belge.
C’est incroyable le nombre de personnes intelligentes qu’il y a entre les années 1918 et 1955/1960. Même pour les revues et les journaux !

Le Figaro Littéraire vient de publier des annonces pour dire « Le Figaro Littéraire revient ». Et après les vacances ils sortent effectivement un numéro : il y a UNE page, consacrée à qui ? A Jean-Marie Rouart qui a écrit un livre sur Napoléon. Une page, Le Figaro Littéraire ! Vous imaginez ce que la vie littéraire a été en France ? Et la vie cinématographique, la vie de tout ?! Voilà pourquoi nous n’aimons pas notre époque.

Propos recueillis par Raphaëlle Chargois

Notes : 

1 Fameuse réplique extraite de la fameuse comédie en un acte, 29 Degrés à L’Ombre, d’Eugène Labiche (1873).

2 Riccardo Gualino, fondateur de la société de production italienne Lux Films, en 1934, basée d’abord à Turin, puis à Rome à partir de 1940.

3 Film d’Ettore Scola, 1980, avec Vittorio Gassman, Ugo Tognazzi et Jean-Louis Trintignant.

4 Vittori Cottafavi (1914-1998), réalisateur et scénariste italien spécialisé dans le genre du péplum.   

A découvrir sur Artistik Rezo : 
Associés contre le Crime – film policier de Pascal Thomas

[Visuel : Pascal Thomas à l’avant-première du film Ensemble nous allons vivre une très très grande histoire d’amour. Date 2010. Source : Travail personnel. Auteur Georges Biard. Licence Creative Commons paternité – partage à l’identique 3.0 (non transposée)]

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