Pascal Laugier : le scandale en étendard – interview
Rétrospectivement, êtes-vous satisfait de la carrière de Martyrs en salle ?
En fin d’exploitation, Martyrs cumulait environ 100 000 entrées, avec une bonne moyenne de spectateurs par écran. S’il ne s’agit pas d’un échec, je ne peux néanmoins pas me satisfaire pleinement de ces résultats. Lorsque vous vous investissez pendant plus de deux ans sur un film, de l’écriture du scénario à la réalisation jusque dans la distribution, vous espérez évidemment un meilleur accueil public. Notre véritable victoire réside dans l’exploitation à l’étranger, nous avons vendu le film dans plus de quarante pays, et je pars la semaine prochaine le présenter au Japon.
La frilosité des directeurs de salles en France est-elle responsable de ces résultats ?
C’est trop simple pour un réalisateur de chercher systématiquement un responsable à l’ « échec » de son film. Néanmoins nous avons souffert d’un parc de salles très limité et d’une représentation médiatique restreinte. Les exploitants comme l’UGC doivent se réinterroger sur la nature de leur métier, qui est avant tout de servir le cinéma, tous genres confondus. Par nécessité commerciale, ils ne diffusent quasiment plus que des films classiques et uniformisés. Or je considère qu’une des vertus du cinéma est aussi d’interroger et de scandaliser, ce que j’ai essayé de faire avec Martyrs. Le mode de financement des films français, par le biais des chaînes de télévision, est aussi un des facteurs de ce nivellement généralisé par le bas. Il semblerait impensable aujourd’hui que les films de Pasolini ou de Fassbinder puissent être produits et diffusés sur grand écran.
Puis il y a eu aussi une récente diabolisation des films de genre.
La rhétorique films d’horreur/racaille est une nouvelle idée puante de la France actuelle. En utilisant le prétexte d’incidents survenus lors d’une projection de Saw 3 à Paris, les exploitants refusent de diffuser des films de genre. C’est une réaction très symptomatique de la crispation intellectuelle et du climat d’autocensure qui règne en France. La création artistique est la première victime de cette absence de liberté. Le cinéma de genre a toujours été un catalyseur des angoisses sociétales, c’est en ça qu’il dérange aujourd’hui. Suite à une diffusion presse, Alain Spira de Paris-Match a qualifié Martyrs de « films fachisant » et « crypto religieux ». Pourtant, c’est un film profane sur une société secrète que ne croit pas aux martyrs chrétiens, et à aucun moment je n’ai sacralisé la violence que subissent mes personnages.
Il y a eu une évolution notable de votre premier long métrage Saint Ange à Martyrs. D’un film aux ressorts fantastiques traditionnels, et à l’esthétique gialliesque, vous êtes passé à une œuvre brute et réaliste. Comment s’explique cette nouvelle orientation ?
Saint Ange était le film d’un jeune metteur en scène, j’ai essayé d’y inscrire l’ensemble de mes influences, au dépend parfois de la narration. Avec Martyrs, j’ai voulu réaliser un vrai film d’épouvante, plus personnel aussi. L’écriture du scénario correspondait à une période très particulière de ma vie, j’ai ressenti le film comme l’exutoire de certaines angoisses intimes. Par ailleurs, Martyrs est un remake extraverti de Saint Ange, avec en toile de fond la notion de solitude et l’incapacité de mes personnages à s’adapter à la réalité. Du point de vue de la mise en scène, cette deuxième expérience m’a totalement désinhibé, j’ai réalisé que l’on pouvait faire un film sans storyboard, dans les conditions du réel.
Comprenez-vous que Martyrs ait pu choquer, jusqu’à envisager une interdiction aux moins de 18 ans ?
Plus qu’un film d’horreur, Martyrs est avant tout un mélodrame qui aborde des sujets sensibles liés à la séquestration, à la souffrance et à la folie humaine. Le thème du martyrisme est une analogie utilisée pour illustrer des blessures psychologiques. Alors forcément le film dérange, choque, c’était d’ailleurs mon intention, je n’ai pris aucune distance sur les souffrances de mes personnages. Je souhaitais aussi diviser les spectateurs, en offrant plusieurs pistes d’interprétation.
Pourquoi avoir décidé de partir aux Etats-Unis poursuivre votre carrière, à l’instar d’Alexandre Aja et de nombreux cinéastes français ?
Après la sortie de Martyrs, j’ai obtenu une proposition en France contre cent aux Etats-Unis. Ce n’est pas réellement un choix mais plutôt le résultat d’une impasse industrielle. Il n’y a presque aucun soutien au cinéma alternatif ici, alors qu’on parle déjà à l’étranger d’une « nouvelle vague française », impulsée par des réalisateurs comme Alexandre Aja, ou le duo Maury/Bustillo, responsables d’A l’intérieur. Je reste néanmoins conscient des limites du système américain, j’ai déjà refusé bon nombre de slashers et de série B impersonnels.
Vous êtes pressenti pour réaliser le remake d’Hellraiser produit par les frères Wenstein. Comment envisagez-vous cette relecture du mythe de Clive Barker ?
Un remake n’est légitime que s’il respecte le matériau original, tout en essayant d’y ajouter une part de subjectivité. Sur Hellraiser, nous envisageons un reboot de la franchise, pour lequel je ne veux faire aucune concession. L’œuvre de Barker est transgressive, en faire un film de studio aseptisé est impossible. Je souhaiterais conserver l’ensemble des thématiques de l’écrivain, son obsession de la chair, sa sexualité dégradante et un contexte très violent. Je suis actuellement en pleine discussion avec les producteurs, j’espère pouvoir trouver un compromis entre ma version du scénario et leurs vision du projet. Néanmoins, je préférerais abandonner le film plutôt que de trahir l’œuvre de Barker. Je travaille aussi sur l’adaptation d’une nouvelle de Dark Fantasy, Détails, que je conçois comme un thriller horrifique ambitieux dans la lignée de Shyamalan, avant de mettre en route Dogs, une sorte de survival canin.
Propos recueillis par Romain Blondeau
Martyrs de Pascal Laugier
En dvd et blu ray chez Wild Side
Remerciements à Pascal Laugier et Benjamin Gaessler.
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