Interview de Dominique Abel, Fiona Gordon et Bruno Romy
Comment vous êtes-vous rencontrés, tous les trois ?
Bruno Romy : Fiona et Dom se sont connus durant leurs études théâtrales. Nous nous sommes rencontrés alors que j’étais régisseur de théâtre à Caen, et qu’ils venaient jouer leur spectacle La Danse des poules, pour lequel j’étais leur régisseur d’accueil. Je préparais mon premier court-métrage, La Poupée ; et je les ai embauchés !
Comment se passe la répartition technique des rôles entre vous ? Bruno, n’est-ce pas difficile de travailler avec un couple, à la ville comme à l’écran ?
Dominique Abel : Il n’y a pas vraiment de répartition. Bruno a des rôles un peu moins conséquents que les nôtres, bien que cela soit en train de changer (sourires). Nous ne sommes pas que trois, nous sommes toute une équipe, dont notre chef op’ Claire Childéric, notre cadreur Jean-Christophe Le Forestier… Nous gardons nos chefs de poste de film en film, nous sommes donc très bien encadrés. Mais toute la préparation se fait à trois.
Fiona Gordon : Nous sommes tous les trois très têtus !! On ne veut pas laisser à l’autre les choix qui nous semblent importants. Les décors, les cadres font partie de ce que chacun a envie de raconter. Aucun de nous n’a envie de le déléguer à un autre !
B.R. : C’est vraiment (1+1+1), pas (2+1) qui ne fonctionnerait pas, ou qui donnerait autre chose ! Ça marche aussi parce que notre style est particulier, et qu’il s’agit d’une recherche physique. Tout ce qu’on écrit, on l’improvise sur un plateau, on le regarde, on le filme. C’est déjà une création collective devant un petit public. Ce n’est pas pas le travail d’un créateur solitaire, qui embauche ensuite des comédiens avec un directeur de casting. Pendant cette longue période de préparation qui peut durer un an et demi, on prévoit les lumières, les décors, et on en parle avec les techniciens. Ce n’est pas sectorisé, au contraire, nous abordons le cinéma de manière globale.
F.G. : Un peu comme une troupe de théâtre en fait. Peut-être en partie parce que c’était notre monde pendant de nombreuses années ; c’est une façon de créer qui nous convient bien. On a « bavé » sur le cinéma.
D.A. : On s’est rendu compte qu’on marchait sur les traces des pionniers, des artistes muets, lorsque les clowns étaient aussi auteurs, imaginaient leurs effets spéciaux et leurs cadrages. Notre patte se situe aussi bien dans l’éclairage, dans les couleur, dans les effets spéciaux que dans le jeu d’acteur.
Vos origines créent un sacré mélange… Votre humour peut-il être influencé par vos origines bruxelloises, Dominique ? Car on pourrait presque apparenter votre burlesque à du surréalisme …
D.A. : Je ne suis pas tout seul, il y a aussi Bruno, qui est de Caen, et Fiona, qui est canadienne, née en Australie ! Nous sommes plus proches de la poésie et du burlesque, que du surréalisme, qui est une sorte de systématisation de l’absurde, même si les surréalistes se réclamaient de Chaplin ou de Keaton. Je n’ai jamais été intéressé par les règles ou la grammaire, mais par les humains. Je préfère les clowns aux surréalistes.
F.G. : Pour moi ce qui est belge, c’est qu’on ait pu faire le film ! Les financeurs locaux sont très ouverts à toutes sortes de propositions différentes.
B.R. : En France le CNC va aider plutôt un certain type de cinéma, alors qu’en Belgique, ils sont ouverts à tous les styles, à des des personnes totalement différentes.
F.G. : Ce n’est pas le film à proprement parler qui est belge. L’humour belge relève plutôt pour moi du terroir, de Benoît Poolvoerde, de Bouli Lanners. Nous ne sommes pas trop du terroir, ou bien plutôt du terroir normand ! Le cinéma belge peut sembler surréaliste, peu porté sur le texte, mais en réalité, si vous prenez le cinéma de Joachim Lafosse, c’est très psychologique.
Vos deux précédents films, L’Iceberg et Rumba, se passaient dans un cadre champêtre ou maritime. Pourquoi avoir eu envie de planter votre décor dans le symbole même de l’urbanisme, Le Havre ?
B.R. : J’habitais à côté, à cent kilomètres, mais c’est une ville que je ne connaissais pas. Une fois que nous avons décidé, très vite dans l’étape d’écriture, que l’action se déroulerait au Havre, j’ai passé trois mois là-bas et découvert une ville incroyable, dont l’architecture même a inspiré notre écriture. C’était la première fois que ça nous arrivait. D’habitude on écrit, on improvise, puis on choisit où on va tourner. Alors que là, la ville est arrivé très tôt dans l’écriture, des repérages ont inspiré des scènes…, des comédiens amateurs trouvé sur place ont inspiré des séquences, comme l’interprète de « Yukali », originaire de là-bas.
D.A. : Nous aimions beaucoup l’auteur de cette chanson, Kurt Weill, et connaissions cette chanson interprétée par différentes chanteuses. Mais Anaïs Lemarchand a vraiment une voix magnifique ; nous l’avons découverte grâce à un membre de notre équipe…
Comment fonctionne l’écriture de vos numéros burlesques ?
D.A. : Il n’y a pratiquement pas d’improvisation durant le tournage. Par contre, ça ressemble à de l’impro, car c’est une matière visuelle et comique qui ne peut pas être écrite en détail, ce qui fait que nous nous concentrons sur les grandes lignes de l’histoire durant quatre ou cinq mois…. dès qu’on a ces grandes lignes, on va s’entraîner en salle de répétition, où on essaye de trouver l’humour, voir si des idées fleurissent ou si ça va disparaître. On invente beaucoup en fonction des impros. À la fin, la mécanique du rire est assez fixe, et l’improvisation limitée.
F.G. : La scène de la poursuite en voiture, à la fin, était pas mal improvisée, car on ne pouvait pas réunir tous les éléments nécessaires en répétition.
D.A. : On savait qu’on allait s’amuser, qu’il y aurait de la matière pour quelque chose de rigolo. Mais il fallait un très grand écran, un rétroprojecteur, des gens pour pousser le scooter, pour tirer le nylon utilisé dans la glissade du bébé, pour tenir le ventilateur, pour donner l’impression du mouvement, pour tenir la caméra d’une manière flottante, comme sur le tour de France. On ne pouvait avoir tout ça qu’en réunissant l’équipe entière.
Vos « numéros » sont extrêmement travaillés en amont, et pourtant vous travaillez avec des éléments perturbateurs, ici, un chien, un bébé…
F.G. : Ça a été très facile, du fait de l’origine du bébé ! Quand on a écrit le scénario, on l’a montré à Philippe Martz qui joue avec nous depuis L’Iceberg et qui interprète ici le client anglais, John. On se demandait quels parents serait assez fou pour nous prêter leur enfant, avec ce qu’on avait prévu de faire !!! Et Philippe nous a dit : « Ça tombe bien, ma femme est enceinte. » Donc on a pu tout répéter avec le bébé et sa maman, Sarah, en trouvant des astuces, sur le tournage. C’est un bébé très gai et très « réglé » très prévisible.
B.R. : Oui, tous les bébés ne sont pas comme ça, mais celui-là mangeait dormait, mangeait, dormait. Pour le faire pleurer, il suffisait de ne pas lui donner le biberon, et pour le faire dormir, de lui donner son biberon. (rires)
D.A. : Ce qui nous intéressait c’est que le bébé, c’est l’être fragile par excellence. C’est la chose à ne pas mettre entre les mains d’un clown ! Il ne faut pas le laisser tomber, l’oublier… ça permet de faire des bêtises en connivence avec le public, car le public sait que le bébé ne sera pas maltraité, et que évidemment on a un bébé en plastique pour les scènes plus spectaculaires. Les parents sont clowns, on les connaît bien, il n’y avait donc aucune tension. Quant au chien, c’est la seule star du film, car c’est le fils d’Idéfix qui joue dans les Astérix !!
F.G. : Enfin, on en avait quatre, de chiens.
D.A. : Oui, choisis en fonction de leur spécificité. Mais nous, on ne voyait pas la différence !
Pour terminer, pourriez vous chacun me raconter une anecdote, ou un moment qui vous a particulièrement plu pendant le tournage ?
B.R. : Il y a l’épisode où deux touristes sont venus sonner à la fausse façade que nous avions montés pour simuler un hôtel ! La déco était contente !!!
D.A. : Moi j’en ai trop… Quand on fait la danse sous marine, on avait un peu de retard dans la préparation de la chorégraphie et des costumes. Normalement, ce devait être des filets de pêche avec des coquillages et des étoiles de mer glissés dedans ; évidemment, au bout de deux portés et frottements l’un sur l’autre, on était en sang. Donc nous avons enlevé les coquillages, et les avons remplacés par des algues… La costumière faisait une drôle de tête…
F.G. : Oui c’est sûr, on a tous l’image de Michel Blanc du coup…
D.A. : Et aussi, une anecdote très éprouvante sur le coup, mais maintenant on en rigole, c’est la scène de la baignade nocturne, nus… On s’était mis à l’écart pour que peu de gens nous voient, mais on ne savait pas qu’il y avait des moules et des rochers sous les vagues ! Donc on courait joyeusement, et tout d’un coup, crouik !
FG : C’est dur de se rappeler une anecdote… On est tellement concentrés… Je crois que j’ai particulièrement aimé le passage où le bébé s’endort : nous étions trente personnes rassemblées autour de ce bébé, très très beau, très très très tranquille, tout le monde marchant sur la pointe des pieds… C’était un moment de calme un peu magique…
Propos recueillis par Mathilde de Beaune
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La Fée
Un film réalisé par et avec Dominique Abel, Fiona Gordon et Bruno Romy
Sortie le 14 septembre 2011
[Crédits photo : en haut, Dominique Abel, crédit Bonne chance mon amour. Au milieu : Fiona Gordon. En bas : Dominiqe Abel, crédit Aliosha Alvarez]
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