Ombline – drame avec Mélanie Thierry
La musicalité du titre, la douceur bienveillante qui semble émaner de son jeune réalisateur, rien ne laissait présager un film aussi rude et mature que celui qu’est finalement Ombline. Premier film où frémit l’indignation, néanmoins jamais outrancièrement pamphlétaire de Stéphane Cazès vis-à-vis d’un système pénitentiaire désincarné, déshumanisé par l’application stricte de politiques et de règles qui ne prennent pas en compte les personnes, Ombline impressionne.
Car il s’agit d’un film dur et subtil, qui ne recherche pas le jugement ; qui ne se demande pas sur qui rejeter le blâme. Le manichéisme, Stéphane Cazès n’y croit pas. Il n’y a pas d’un côté les bonnes prisonnières injustement brimées et de l’autre, les méchantes surveillantes cruellement répressives, et vice-versa. Les détenues ont enfreint la loi ; parfois on connaît leur faute ; parfois non, l’important n’est pas là. Stéphane Cazès ne cherche pas à les excuser, il ne veut pas les idéaliser.
Ce qu’il dénonce, c’est le systématisme froid, mécanique et aliénant de la prison. Cette prison dont le spectateur ne sort jamais, pas plus que les personnages. Cette prison qui est l’un des acteurs principaux du film, son réel oppresseur, terrible, aveugle et silencieux. Et qui s’abat donc sur la frêle Ombline, une jeune femme un peu paumée, dans la peau de laquelle se glisse ici l’excellente Mélanie Thierry ; une Mélanie Thierry qui stupéfie ; qu’on n’avait jamais vraiment vu dans ce type de rôle et qui le fait exister corps et âme, avec une force bouleversante.
Un soir qu’elle rentrait chez elle, Ombline a donc vu son fiancé, un petit dealer, plaqué contre le mur par les forces de l’ordre. Il s’est débattu, a reçu un coup asséné par l’un des policiers, est tombé par-dessus la rambarde du quatrième étage. Voyant ainsi son unique amour et repère dans l’existence périr sous ses yeux, Ombline s’est ruée sur les policiers, a essayé d’en poignarder un. Et s’est retrouvée derrière les barreaux. L’horreur de la situation ; le contexte haineux de la prison, tout la porte vers la gradation de la violence. Jusqu’au jour où elle comprend qu’elle est enceinte. Pour protéger ce petit être, pour réussir à l’élever derrière les barreaux, il lui faudra trouver d’autres solutions ; sortir de cet engrenage de haine que facilite pourtant l’environnement de la prison, pardonner. A soi-même et à tous les autres.
La première prouesse accomplie avec ce film par le désarmant Stéphane Cazes est ainsi de mettre en image avec une aisance et une simplicité déconcertante ce que Michel Foucault mettait si judicieusement en mots dans son ouvrage capital, Surveiller et Punir. La prison, institution symbolique du pouvoir, sensée correspondre à un idéal de justice axé sur la réinsertion, est en fait un tyran, car elle refuse de comprendre ceux qu’elle enferme. Elle est systémique, implacable, et ne peut donc en aucun cas atteindre son objectif de réinsertion. Au contraire, la violence y croît, les potentialités de s’en sortir s’amenuisent, les prisonniers, et en l’occurrence les prisonnières s’y endurcissent, car c’est le seul moyen d’y survivre, ou du moins le plus aisé. La prison est le symbole d’un châtiment qui ne s’exerce plus sur les corps mais sur l’esprit et la liberté, notions qui semblent devenues les plus grands bien de l’Homme depuis l’âge de la Raison, mais ainsi que fait-elle de l’âme ? Toutes ces réflexions transparaissent à travers la mise en scène paradoxalement fluide et poétique de Stéphane Cazes, qui fait émerger de l’ombre carcérale la tendresse lumineuse d’Ombline, dès lors que la naissance de son fils lui donne l’envie de s’en sortir. Rompre les chaînes, ce sera alors pour elle, malgré toutes les difficultés que cela représente, rompre le mécanisme de violence, de haine, de blessure, de coups, ignorer l’appel du sang qui règne alentour.
Dès les premières images, alors qu’Ombline lit une histoire à son enfant – une histoire biblique, d’ailleurs, celle de l’Arche de Noé, référence qui interpelle forcément par son message de paix en faveur de la reconstruction, problématique qui sera évidemment celle d’Ombline tout le long du film – la jeune femme, son enfant sur les genoux, est filmée comme une Madone, par un Stéphane Cazes dont on ressent alors l’émotion et la fascination. Mêlant brutalité et délicatesse au profit d’un premier film fort et sensible, Stéphane Cazes s’avère un jeune talent plus que prometteur.
Raphaëlle Chargois
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Festival International du Film Francophone de Namur 2012 (du 28 septembre au 5 octobre)
- Compétition Émile Cantillon
Paris Cinéma 2012 (du 29 juin au 10 juillet)
- Avant-premières
Ombline
De Stéphane Cazes
Avec Mélanie Thierry (Ombline), Nathalie Becue (Tatiana, la surveillante), Corinne Masiero (Sonia et Catherine Salée (Isabelle)
Durée : 95 min.
A découvrir sur Artistik Rezo :
– les films à voir en 2012
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