Eugène Onéguine – Opéra Bastille
Qui est Ludovic Tézier ? Baryton français réputé et acclamé à travers le monde, il est le fruit de l’Ecole d’Art Lyrique de l’Opéra de Paris. Regard profond et stature imposante, le public parisien a pu l’applaudir récemment dans les rôles de Marcello dans La Bohème, Renato du Bal Masqué et sans oublier Albert dans le Werther mis en scène l’année dernière par Benoît Jacquot. Pour cette production d’Eugène Onéguine, il interprète le rôle principal avec assurance, déployant toute ses facettes lors du sixième et septième tableau mais dont le côté psychologique et tourmenté passe malheureusement à la trappe. La faute due à une absence de mise en scène ?
Wagner VS Tchaikovsky
En y regardant de plus près, commencer la saison de l’Opéra de Paris par Le Vaisseau Fantôme et Eugène Onéguine n’est pas si anodin que cela tant les deux œuvres peuvent se confondre. Si Wagner entre dans la cour des grands en composant son premier grand drame musical continu, Tchaïkovski s’illustre par sa fluidité rythmique en s’inspirant de l’ouvrage de Pouchkine, si cher à sa patrie russe. Trente ans séparent la création de ces deux opéras. Ils se font pourtant écho dans leur romantisme et la description de leurs personnages féminins. Senta et Tatiana sont deux êtres esseulés par leur famille, vivant chacune dans une atmosphère oppressante et renfermée, attendant désespérément l’homme qui les sauvera de leur désarroi. Ce sera le Hollandais pour la première et Onéguine pour la seconde. Si ces deux hommes semblent tous droits sortis de leurs songes et de leurs littératures, alors plus dure sera la chute : la mort chez Wagner et le mépris chez Tchaïkovski.
Une suite de « scènes lyriques »
A ce titre, il est intéressant de remettre à l’affiche ces deux productions mises en scène par Willy Decker. Toujours aussi minimaliste, le metteur en scène allemand rappelle dans sa note d’attention : « Tchaïkovski tenait à ce qu’Eugène Onéguine fût représenté avec de modestes moyens (…) L’idée selon laquelle Onéguine serait un opéra à grand spectacle, nécessitant un réalisme minutieux, n’est qu’un gigantesque malentendu que l’on doit à une fâcheuse tradition scénique». Admettons. Mais est-ce suffisant pour proposer à nouveau un décor unique déconnecté de toute Russie et si intemporel ? Au premier plan se trouve un cadre bancal et penché faisant écho à l’enfermement de Tatiana tandis que l’on découvre un « extérieur » au relief en forme de petites collines. Le tout pourrait faire penser à un tableau de Van Gogh. C’est ici qu’évolueront nos trois personnages : Tatiana, Lenski et Onéguine et que leur destin se jouera.
Tcherniakov VS Decker
En 2008, Dmitri Tcherniakov présenta à l’Opéra Garnier une mise en scène originale et avant tout psychologique d’Eugène Onéguine à l’occasion de la venue du Bolchoï à Paris. C’est cette production que l’on aurait aimé revoir sur la scène (certes trop grande) de l’Opéra Bastille. A défaut, c’est celle de Willy Decker qui a été choisie, organisée cette fois dans le cadre de l’année France-Russie 2010. Le problème de cette dernière production est justement l’absence de psychologie. Laissés à l’abandon dans une atmosphère à la fois opaque et rudimentaire, les chanteurs ne savent comment évoluer, la plupart du temps courant se morfondre face à un mur ou s’allongeant sur le sol. Cependant, la magie intervient lors de la deuxième partie, à partir de la scène du duel et particulièrement lors de la fameuse Polonaise. Le décor a changé de couleur et renvoie aux écorchures de crayons des lettres écrites par Tatiana et Eugène. Ici, l’évolution des deux « faux-amoureux » est palpable, soulignée en exemple par deux simples chaises renversées se faisant face lors du lever de rideau.
La qualité lyrique
Heureusement, la qualité artistique des chanteurs l’emporte. C’est le cas de Joseph Kaiser qui propose un Lenski passionné et désespéré, magnifique lors de son air Kuda, Kuda. Ceux qui avaient eu la chance de le découvrir en Fortunio l’année dernière à l’Opéra-Comique seront à nouveau conquis. Il en est de même avec l’une des meilleures basses actuelles, Gleb Nikolski, qui a lui aussi ému Bastille lors de l’air du Prince Gremin. Jean-Paul Fouchécourt, habitué du rôle de Monsieur Triquet, apporte sa dose de bonne humeur avec le talent qu’on lui connaît pour un rôle qui lui va comme un gant. Quant à la présence féminine, Olga Guryakova, sans en faire trop, connaît son rôle de Tatiana pour l’avoir plus d’une fois interprété et bouleverse dans la scène de la lettre, malheureusement trop éclairée et uniformisée. On restera plus septique face aux rôles d’Olga et de Filipevna chantés par Alisa Kolosova et Nona Javakhidze manquant toutes deux d’aplomb. A signaler la qualité artistique du chœur à qui l’on a malheureusement imposé une chorégraphie ringarde et à dépoussiérer. La direction de Vasily Petrenko porte en elle l’esprit russe de son chef d’orchestre qui a pourtant tendance à trop s’énerver, au détriment des voix.
Le temps des reprises est maintenant terminé et l’on attend avec impatience la nouvelle production prévue du Triptyque de Puccini mise en scène par Luca Ronconi. Evénement qui annonce aussi la rentrée du directeur musical de l’Opéra de Paris et chef d’orchestre Philippe Jordan.
Edouard Brane
Lire aussi sur Artistik Rezo Onéguine, une mise en scène efficace, par Marie Torrès.
Eugène Onéguine (1879)
Scènes lyriques en trois actes et sept tableaux de Piotr Ilyitch Tchaikovski (1840-1893)
En langue russe
Direction musicale : Vasily Petrenko
Mise en scène : Willy Decker
Décors et costumes : Wolfgang Gussmann
Lumières : Hans Toelstede
Chorégraphie : Athol Farmer
Chef du Chœur : Patrick Marie Aubert
Du 17 septembre au 11 octobre 2010
Informations et réservations : 08 92 89 90 90 (0,337€ la minute)ou sur le site de l’Opéra.
Tarifs : 140€ 115€ 90€ 75€ 55€ 35€ 20€ 15€ 5€
Opéra Bastille
Métro Bastille
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