Monsieur – Un film de Rohena Gera
Rohena Gera nous fait vivre, avec une remarquable sobriété, les amours contrariées d’un maître et de sa domestique dans l’Inde d’aujourd’hui. Contemporain et universel.
Entre tradition et modernité
Le sari de Ratna. Le jean de Ashwin. A priori, tout oppose ces deux personnages : lui est riche, citadin, résolument ancré dans la modernité. Elle est pauvre et vient d’un tout petit village, de ceux où l’on se marie tôt et où les veuves sont réputées porter malheur. Ça tombe mal : elle a perdu son époux à l’âge de 19 ans et est, depuis, condamnée à l’opprobre et à la marginalité. Pour fuir cette fatalité, elle se rend à Bombay pour travailler comme domestique. De là, naît la rencontre entre les deux personnages.
Rien n’est gagné pour autant : pendant que Ratna se tue à la tâche pour payer les études de sa petite sœur et dans l’espoir de devenir créatrice de mode, Ashwin se débat avec l’ombre d’un mariage arrangé par sa famille. Preuve, si besoin en était, que le poids des conventions ne règne pas que dans les classes pauvres de la campagne.
Foin de manichéisme
Dans son immense bureau qui surplombe Bombay, Ashwin semble en effet prisonnier : la baie vitrée donne sur des colonnes ressemblant étrangement à des barreaux, le silence contraste avec le bruit joyeux de la foule. Son appartement, lui-même, oscille entre havre et cellule de prison : tel un maton, le gardien épie les faits et gestes des maîtres et serviteurs ; il règne en maître sur les trousseaux de clés. Seule, Ratna « le comprend ».
Pour autant, Rohana Gera parvient à éviter d’en faire une héroïne : son désir de devenir « fashion designer » la tourne vers une modernité à laquelle elle semblait pouvoir moins prétendre que son si séduisant patron. Mais quand il lui avoue enfin son amour, c’est elle qui craint le qu’en-dira-t-on, la peur d’être moquée, humiliée. Trop lord à porter, cet amour la contraint à retourner dans son village. Quant à lui, si, avant même d’en tomber amoureux, il la traite mieux que ne le font les autres patrons, il la laisse manger accroupie et dormir à même le sol sans se poser de questions. Bref, des personnages troubles, écartelés entre habitudes et sentiments, qui ne parviennent pas à choisir.
Un film tout en nuances et subtilités
C’est l’une des vertus de ce film que de refuser toute grandiloquence dans sa représentation de l’amour. Nous suivons celui de Ratna et Ashwin de sa naissance à sa mort, tout en douceur, par petites touches, sans être vraiment conscients du drame qui se joue. Une simple pression sur la main suffit à la déclaration, des yeux embués à son rejet. Car, vous l’aurez compris, cet amour ne sera jamais consommé.
La portée politique du film – indéniable – se présente donc comme une interrogation, bien plus que comme une assertion : quel avenir pour cette Inde où les veuves sont encore mises à l’écart et les domestiques réduites à dormir par terre ? Peut-on garder le meilleur des traditions pour entrer dans la modernité, comme dans cette fête de Ganesh où Ratna danse avec bonheur et oublie un instant le regard des autres et des siens ?
Julia Wahl
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