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“Monsieur” : l’incarnation du plaisir de vivre

© Mars FILMS

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Laurent Delahousse réalise son premier film documentaire en 2018, intitulé Monsieur : celui-ci rend hommage à Jean d’Ormesson, écrivain, philosophe et académicien, qui s’est éteint à l’âge de 92 ans alors qu’il écrivait Un Hosanna sans fin.

Ce documentaire immortalise les dernières années de cet esprit éclairé à travers les témoignages de son entourage, qui s’accordent sur la simplicité de l’homme, sur son intérêt pour les gens. On découvre notamment des entretiens avec son maître d’hôtel Olivier et sa dactylographe Dominique, tous deux à ses côtés depuis plus de vingt ans, ainsi qu’un témoignage de sa petite fille Marie-Sarah.

Un film solaire loin du crépuscule

Dans ce film, nous assistons à la naissance et non à la fin d’un grand écrivain. Les premières images s’ouvrent sur l’été, un jardin en Provence, un jeune garçon qui s’avance vers un ponton, regardant une nature sauvage. Son saut en mer, symbole de l’eau, est profondément attaché à l’origine de l’existence, au cours de la vie : toute vie sort de l’eau et à sa naissance, l’enfant baigne dans le liquide amniotique.

Le journaliste a suivi l’écrivain dans sa maison à Neuilly, lors d’un petit-déjeuner en Corse à Fornali, en Suisse à Vogelhaus dans les jardins de sa demeure, à l’Académie Française lors du départ du philosophe Alain Finkielkraut dont il est le parrain, chez son éditeur à Gallimard pour fêter son entrée à la pléiade, à Bercy avec Emmanuel Macron…

Le documentaire nous amène dans l’intimité profonde et parfois silencieuse de l’écrivain. Le parti pris des silences lors des entretiens nous laisse face au regard d’un jeune homme, dessinant les contours sages des années passées sur son visage, et convoque en nous des émotions profondes : la raison, la conscience, une véritable réflexion sur nos vies.




Un univers hors du temps 

Le fil conducteur du film, c’est le temps. Un temps qui échappe à l’écrivain qui n’a pas de montre, de téléphone portable, ni d’agenda, mais qui lui est pourtant compté : une vraie réflexion sur notre propre empressement. Ni début, ni milieu, ni fin, une construction faite de souvenirs espacés et sans régularités, mais qui démontre une réelle justesse des mots, une authenticité des émotions.

Derrière le personnage 

Laurent Delahousse laisse transparaître la fascination et l’admiration que lui portent ses lecteurs, comme lors d’une séance de dédicaces au grand théâtre de Bordeaux. Lorsqu’une de ses lectrices lui demande : “Un rêve que vous auriez aimé accomplir pour vous et pas pour votre père ?”, l’homme plus que l’écrivain répond : “Passer six mois sur un bateau, faire le tour du monde en bateau. J’aurais beaucoup aimé faire ça.”

Représentant d’une époque, Jean d’Ormesson divise sa vie entre devoir et plaisir. Le spectateur a un sentiment de regret, d’une autre vie souhaitée. Les personnes qui entourent sa vie depuis plus de vingt ans le décrivent comme agréable, plein de coquetteries, un désir de séduire qui ne cesse de transparaitre par ses manières avec les jeunes femmes, par son esprit exalté.

Le rapport de l’écrivain à l’écriture et à la vie

On pourrait lui reprocher son confort personnel et affectif, mais un vrai questionnement habite l’écrivain : celui d’avoir écrit ou non un grand livre. « Entrer à l’Académie ne vous donne en rien la certitude d’être un grand écrivain » confie Jean d’Ormesson. Il avait conscience d’être moqué par certains pour son sacrifice au plaisir, contestant l’idée que l’on puisse être grand écrivain sans accéder à la souffrance.

Plus profondément, Jean d’Ormesson se livre avec des histoires de famille qu’il qualifiera “d’absurdes et magnifiques”. Son rapport à la vie ne se résume pas à une enfance heureuse, mais à d’autres épanchements, à d’autres souvenirs :  “Les souvenirs d’amour que je garde précieusement, ce sont des années malheureuses.”

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Son désir d’éternité à travers l’écriture 

C’est une ambition certaine, avoue-t-il face caméra, que d’être lu trente à quarante ans après sa mort, évoquant la disparition de ses amis écrivains dont François Nourissier et Félicien Marceau, dont on ne connait plus les noms.

Bourgeoisie, Calme et légèreté 

On retiendra du premier film documentaire de Laurent Delahousse un hommage vivifiant à Jean d’Ormesson, éclatant et sincère. Un sourire éternel, un regard pétillant et magnétique, des rires et coquetteries. Sans oublier ses goûts pour le bonheur et l’amusement, qui lui confèrent des réactions de jeune enfant. Les images ne mentent pas, elles saisissent la sensibilité de l’homme, son  plaisir de vivre, son habitude à habiller les moments sérieux de légèreté.

Le jeune garçon sur le ponton laisse place à un homme sage assis sur son rocher, et par ses dernières paroles : “C’est une chose étrange à la fin que le monde. Un jour, je m’en irai sans en avoir tout dit. Je dirai malgré tout que cette vie fut belle.”
Derrière lui, l’ombre de sa jeunesse s’éteint et s’adresse directement à nous.


Isabelle Capalbo

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