Mes séances de lutte – drame de Jacques Doillon
Cinéaste de l’intime et des sentiments, Jacques Doillon, au fil d’un œuvre assez exemplaire, filme cru et fait parler ses protagonistes à coup de phrases qui pourraient figurer dans toute honnête anthologie de citations. Ce télescopage de l’hyperréalisme des situations et de la sublimation du mot et de la formule dérange souvent, fascine toujours. Son nouvel opus explore cette bipolarité avec plus de radicalisme encore.
Deux personnages. Un crédo chez le cinéaste (« Amoureuse », « Comédie ») qui resserre toujours ses dispositifs au strict minimum. Elle, vient d’enterrer son père. Lui, présent aux obsèques. Un charme indéniable auquel elle aurait volontiers succombé voici quelques mois. La dérobade d’alors va servir de prétexte à un jeu consistant à reconstituer la scène qui avait empêché l’histoire de commencer. Débats, ébats, empoignades, rapprochements, frottement, coups sans blessure. Un drôle de jeu de l’amour s’enclenche au cours de séances de lutte quotidienne qui leur deviennent à tous deux rapidement nécessaires.
Se revendiquant comme un homme des sentiments plus que de la réflexion, décrivant son cinéma comme « animal », Doillon botte immédiatement en touche dès qu’on évoque le caractère psychanalytique de son film. « Je ne suis pas passionné plus que ça par la psychanalyse, j’ai fait des études médiocres et j’ai jamais lu plus de trois lignes de Lacan, je suis un plouc ! J’ai grandi avec Gary Cooper, ça doit s’entendre » dit-il dans le dossier de presse du film. Et le mot « séances » dans le titre n’y fait rien. Force est de constater que nous sommes davantage dans une chorégraphie amoureuses où chaque partie de la maison sert de repaire à ses échanges que sur un divan où l’on couche ses névroses.
L’amour n’aura pas souvent été aussi physique qu’ici. Filmant la tension, la rage qui ne se contiennent plus, le cinéaste navigue entre deux pôles qui souvent ont habité ses films. Avec toutefois sur « Mes Séances de lutte » une stylisation inhabituelle des déplacements qui ne phagocytent pourtant jamais l’introspection psychologique des personnages et qui offre à l’ensemble une tonalité très dostoïevskienne (rappelons que Doillon avait adapté l’auteur russe avec son film « La Vengeance d’une femme » d’après « L’Eternel mari »).
En offrant à Sara Forestier le rôle principal, le cinéaste a touché au plus juste. La comédienne, dont le jeu toujours volontariste vu chez Kechiche notamment (« L’Esquive ») livre une performance éclatante, d’une concentration permanente. D’un corps qu’elle montre, use et abuse si nécessaire, elle investit son rôle, habite l’écran avec le même panache que lorsqu’elle se présente sur une scène de théâtre pour y jouer du Proust (« Confession d’une jeune fille » en 2009). Son partenaire James Thierrée lui donne joliment la réplique et tous deux nous emportent dans ce ballet parfois cruel au bord du basculement vers la folie.
Franck Bortelle
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Mes séances de lutte
De Jacques Doillon
Avec Sara Forestier et James Thierrée
Durée : 99 min.
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