Mères & Filles
Poupées russes
Au bord de la mer, dans un univers nostalgique empreint de réalisme et teinté d’onirisme où se bousculent séquences vécues et images mentales, épisodes traumatiques et visions fantasmatiques, la mise en lumière cinématographique particulièrement subtile et troublante de la complexité des relations filiales, éclaire brillamment la façon dont chacun se débat dans sa propre histoire, n’ayant pour vaste échappatoire que les lignes de fuite illusoires esquissées à l’horizon par les courants marins.
Un mirage tenace, que viennent renforcer les tableaux dominés par l’esthétique des années 50 et les extraits hors-temps qui envahissent à l’avant-scène le temps présent de l’action. Un artifice hypnotique maîtrisé d’un bout à l’autre par la réalisatrice qui alterne, croise et superpose avec talent les fragments temporels de ces trois générations de femmes étroitement liées par le précipité dramatique de leur histoire familiale. Un montage élégant permettant de figurer de façon tangible, sobre et intimiste l’étroite correspondance et le perpétuel dialogue qu’entretiennent ces trois femmes à travers le temps. Une trame romanesque qui n’explore pas seulement les ressorts de l’évolution de la condition des femmes dans la société contemporaine mais exploite avant tout le tissu affectif des relations mères-filles qui, dans le faisceau éclaté des existences individuelles, ressurgit toujours à la surface comme le rappel univoque d’une histoire commune qui les traverse toutes et qu’elles portent toutes en elles – qu’elles le veuillent ou non -, le seul moyen de gagner l’avenir étant de se libérer du passé.
Au bord de la mère
Traditionnelle mère au foyer oscillant entre soumission docile au devoir conjugal et appel pulsionnel à la subversion sociale, à la transgression morale, voire à la trahison filiale, Louise (Marie-Josée Croze) revêt au propre comme au figuré le déguisement de la parfaite ménagère des années 50. Un costume étriqué que son mari, tailleur de profession, a spécialement confectionné pour elle afin de mieux étouffer la féroce volonté d’émancipation qui brûle en elle. Un mari liberticide, sourd et aveugle aux revendications silencieuses de sa femme, à ses désirs, à sa détresse. Un homme de petite ambition, méprisant celles du sexe opposé, s’épanouissant dans l’inégalité des droits et se complaisant dans la rigidité des codes d’une société aux normes étroitement bornées.
Témoin et fille de la détresse, complice et victime du supplice de sa mère, dont elle sera à jamais prisonnière jusque dans sa chair, Martine (Catherine Deneuve) ne s’est jamais remise de sa disparition. Vivant à proximité de la maison familiale que sa mère a quitté 50 ans plus tôt, comme si elle en espérait encore le retour, Martine a cru se mettre à l’abri de l’histoire en s’en racontant beaucoup. Redoutant la blessure de la vérité, Martine ne veut rien savoir, renonçant même jusqu’à comprendre que cette ignorance est ce qui la fait tant souffrir.
À l’autre bout du monde et aux antipodes de l’existence sclérosée de sa mère, Audrey (Marina Hands) est une jeune femme éclairée, indépendante dans le cadre de sa vie professionnelle et atypique dans le choix de ses relations sentimentales. Sentant rejaillir en elle la nécessité d’exhumer les raisons du passé à l’heure où elle-même porte dans son ventre les germes de l’avenir, Audrey retourne sur les traces de l’échappée de sa grand-mère et de la fuite en avant de sa mère.
La violence du silence
Avant de mettre au monde cet enfant qu’elle n’est pas encore certaine de vouloir garder – à la manière d’un secret dont elle voudrait se délester, Audrey sait que le non-dit engendre des monstres – avant de devenir mère à son tour, d’entrer dans l’histoire comme telle et d’y faire entrer sa descendance, la jeune femme devra d’abord revenir sur les traces de ce passé trouble dont elle est issue mais dont l’accès lui a pourtant toujours été verrouillé. Pour cela, il lui faudra, avec le carnet intime de sa grand-mère Louise pour seul héritage et seul témoignage, sonder les profondeurs souterraines de cette histoire familiale rongée par le silence des vivants et tourmentée par la résurgence des morts.
Nulle promesse d’avenir pour celui qui chasse au loin la parole du passé : enfermée dans cet espace de résonance, l’existence s’expose toujours au retour du refoulé. L’irruption d’Audrey dans cette ronde familiale viendra briser le cercle de la complaisance, ne permettant plus alors à aucun de reculer ou de se dérober devant la nécessité de mettre fin à la fuite en avant et à l’errance dans le présent. Figure de la réparation, Audrey se mettra à l’ouvrage pour retendre ce tissu familial gâté par les trous d’une amnésie collective patente ayant condamné l’histoire à la répétition et au bégaiement, ayant enfermé la mémoire dans une impasse asphyxiant au-dedans comme au-dehors la possibilité d’un à venir.
Blessures assassines
Entre douleur étouffée et colère rentrée, Martine, mère d’Audrey et fille de Louise, centre nerveux du drame prêt à imploser, est une femme blessée dont le profil endurci n’est que l’envers apparent d’une extrême sensibilité à peine déguisée. Masque fragile dont les traits vont progressivement et de part en part se fissurer, Martine résiste de toutes ses forces à l’affleurement de la vérité. Marquée à jamais par la disparition brutale et incompréhensible de sa mère alors qu’elle n’était encore qu’une enfant, Martine est en guerre avec sa propre fille dont elle rejette violemment les élans et réprime sauvagement les sentiments. Il n’y a rien à faire, Martine est amère.
Éternelle petite fille dont l’absence maternelle est venue éclipser l’enfance, suspendre la croissance et court-circuiter l’existence – l’empêchant alors à jamais de devenir un jour authentiquement mère à son tour – Martine a toujours avalé la version pourtant indigeste sortie tout droit de la bouche du père, préférant sans doute par commodité s’arranger avec la vérité plus que de composer avec le passé. Un confort de surface recouvrant ce qui, au fond, dérange. Un confort mental confinant une mémoire meurtrie, un asile infernal dans lequel elle persistera et s’installera pourtant jusqu’à ce que sa fille Audrey l’en déloge de force en forçant la parole de ce que la mémoire, ivre de chagrin, avait condamné à se taire.
Aveuglante de face, cette clarté apparaîtra à Martine de façon solaire et salutaire quand sa fille Audrey, interprétée par la radieuse Marina Hands, l’aura pour elle mise en lumière en déjouant les ruses de la reconstruction narrative et la réécriture mentale qui ne faisaient alors jusque-là que sauver les apparences. Empruntant ainsi la trajectoire oblique de la logique familiale par laquelle l’histoire s’écoule et se digère.
Laissant l’imagination composer entre souvenirs vécus et images mentales qui surgissent de la mémoire des protagonistes comme autant d’apparitions spectrales, le scénario de la réalisatrice Julie Lopes-Curval – dont la subtile construction narrative rappelle la mise en abîme et en écho des trois générations au centre du chef-d’œuvre de Stephen Daldry « The Hours » – confère à la simplicité du drame ordinaire une tonalité onirique et une élévation tragique soutenues d’un bout à l’autre du long-métrage par la remarquable performance des trois actrices.
Nora Monnet
Mères & Filles / Julie Lopes-Curval
Catherine Deneuve / Martine
Marina Hands / Audrey
Marie-Josée Croze / Louise
Michel Duchaussoy / Michel
Jean-Philippe Ecoffey / Gérard
Eléonore Hirt / Suzanne
Gérard Watkins / Gilles
Sortie le 07 octobre 2009
Durée 1h45 / Dolby SR
Production / Bac Films
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