“Memento” de Christopher Nolan, un film à ne pas oublier
Alors que nombre de spectateurs attendent avec impatience la sortie du nouvel opus Tenet de Christopher Nolan, réalisateur aux films mémorables tels que Inception, revenons sur l’un de ses premiers films marquants, Memento qui vient de ressortir en salle.
Pour ceux qui l’ont vu lors de sa sortie il y a vingt ans et qui ne s’en rappellent plus ou peu – et pour les autres, voici quelques éléments afin de vous donner l’envie d’aller le (re)voir. Le film est toujours aussi percutant et pose des questions tant scénaristiques que philosophiques.
Le récit débute par la fin et se déroule selon une chronologie inversée sous la forme de flashs de plusieurs minutes qui se succèdent telles des saynètes toutes aussi énigmatiques les unes que les autres. Le film nous présente un personnage qui, à la suite d’un choc émotionnel, le viol et la mort de sa femme, voit sa mémoire se détériorer et souffre alors d’une amnésie antérograde. Autrement dit, tout ce qu’il aura vécu pendant un quart d’heure, il l’oubliera automatiquement au bout de ce même quart d’heure et devra tout réapprendre sans cesse. Il ne reconnaîtra pas par exemple une personne avec laquelle il aura conversé quelques minutes auparavant. Ce qui crée une tension terrible : il ne peut se fier à personne. Le film est ainsi très nerveux sur le fond comme sur la forme. Et c’est par cette forme, à savoir sa construction inversée que le spectateur partage l’espace mental du personnage principal, Lenny : le spectateur vit les mêmes scènes sans comprendre ce qui s’est passé auparavant tout en suivant les pensées de Lenny via sa voix off. Le spectateur vit au même rythme que son personnage principal, se pose les mêmes questions et se retrouve otage de la même confusion. Ce montage inversé constituait la seule solution afin que le spectateur ressente au même titre que Lenny cette perte de mémoire perpétuelle et se retrouve tout autant impliqué. L’excellent jeu des acteurs ne fait que renforcer cette confusion. Dans ce film à l’esthétique brute, les plans se concentrent sur un seul personnage dont la mémoire est tout aussi pauvre que ce qui l’entoure, autrement dit un motel miteux sous la lumière crue du soleil californien et quelques personnages à la morale douteuse. L’histoire est par ailleurs quasiment réduite à une unité d’action, de lieu et de temps et heureusement car autrement, ce découpage à la chronologie inversée deviendrait beaucoup trop complexe à suivre pour le spectateur. Cette triple unité participe à l’efficacité du film.
Un autre élément central sert tout le long du film l’amnésie constante du personnage principal, à savoir le polaroid. Lenny décide de se venger du violeur et tueur de sa femme : pour cela, il décide de se tatouer des indices et de prendre des polaroids des éléments importants afin d’enquêter. Le film débute d’ailleurs par un plan serré sur un polaroid sur lequel on distingue clairement une image. Le spectateur réalise qu’au fur et à mesure que le personnage principal secoue le polaroid, l’image disparaît progressivement : le metteur en scène annonce dès le début au spectateur qu’il va avancer à reculons dans ce film et pose d’entrée de jeu la métaphore de la mémoire qui s’efface. Paradoxe. Puisque le cadre d’une photo fixe au contraire un moment et permet de s’en rappeler. Les polaroids que Lenny sème sont autant de vérités qui se révèlent aussi malléables que sa propre mémoire défaillante. Il y écrit sur les bordures blanches ce qu’il croit ou veut croire.
Enfin, le film pose une question philosophique qui est celle du lien de la mémoire, de l’identité et du sens de ses actes. Le philosophe anglais John Locke du XVIIème siècle pose la mémoire comme le critère de l’identité. Si le personnage n’a pas de souvenirs de ses actes, il ne peut se créer d’identité. Au contraire, le philosophe écossais David Hume au XVIIIème siècle considère que nous ne sommes qu’une collection d’impressions fugitives (telles des polaroids ou des séquences de plusieurs minutes), que nous vivons ainsi dans un présent perpétuel, à l’instar de Lenny. Le personnage principal ne cesse de se persuader qu’il sait qui il est et de la permanence de son identité comme le défend Locke. Parce qu’il est doté de mémoire et qu’il le suit durant tout le film, le spectateur détermine et maintient l’identité du héros principal. En ce sens, le film rejoint la conception du philosophe Jean-Paul Sartre d’une identité créée par autrui, ici par le spectateur. Ce dernier est ainsi amené à mener sa propre enquête sur Lenny. Si le film se fonde sur une unité d’action, de lieu et de temps, on peut se demander s’il se fonde aussi sur une unité d’identité du personnage. Enfin, ce qui donne un sens aux actes du héros qui le dit lui-même en voix off : c’est bien son objectif de retrouver le violeur et l’assassin de sa femme et de se venger. C’est donc cette émotion vengeresse qui donne un sens à ses actes. Nous pouvons supposer que ce n’est pas tant le souvenir qui lui restera indéfiniment inaccessible mais l’émotion qui construit son identité.
Et quelles émotions nous fait ressentir ce film ! Outre son côté angoissant, la condition de notre héros tire parfois vers l’absurdité et permet au metteur en scène de glisser quelques notes d’humour. Ce film accidenté est magnifiquement maîtrisé par Christopher Nolan. Courez le voir : si vous êtes souvent déçu par la fin des films, vous ne pourrez l’être cette fois-ci car vous la connaîtrez dès le début.
Annabelle Reichenbach
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