Maria De Medeiros – interview
Maria de Medeiros, d’origine portugaise, a construit une solide carrière artistique, et un sens militant plus solide encore. Comédienne, actrice, réalisatrice, le monde entier la découvre en 1994 dans Pulp fiction, Palme d’or à Cannes. Elle y interprète Fabienne, la naïve petite amie de Bruce Willis. Alors que sa première fiction, Capitaines d’avril (2001) évoquait la Révolution des Oeillets, voilà qu’elle nous revient en 2013, avec Les yeux de Bacuri. Ce documentaire douloureux sur la dictature militaire brésilienne retrace plus particulièrement le travail de mémoire de la veuve et de la fille posthume d’Eduardo Leite « Bacuri » résistant torturé et exécuté pour son engagement.
Film de famille et de réparation, il évoque « les ponts » entre les gens, thème qui fascine la réalisatrice depuis longtemps. Tourné et monté dans une quasi-clandestinité, l’œuvre se concentre sur les lieux de vie et traduit les tâtonnements, l’intimité progressive avec des témoignages douloureux qu’on ne peut servir en pâture.
Pourquoi dire que Les yeux de Bacuri est une suite directe de Capitaines d’avril ?
Capitaines d’avril raconte l’avènement d’une démocratie, et Les yeux de Bacuri raconte le renforcement d’une démocratie. C’est un acte démocratique très important que de donner à connaître la vérité sur le passé récent, de renforcer la légitimité de ces personnes et de leur lutte. Beaucoup d’entre eux y ont laissé leur peau.
Avez-vous besoin d’une implication politique dans la plupart de vos réalisations et interprétations ?
Je pense que nous sommes des animaux politiques. Mes premières études concernaient la philosophie ; je suis un peu méfiante concernant l’art-entertainement, uniquement là pour vous distraire. Pendant que nous sommes distraits, nous oublions que nous sommes des animaux politiques, que nous vivons ensemble, qu’il y a un plaisir à vivre ensemble. Il est vain de vouloir être heureux tout seul ! L’art est là pour nous réveiller. C’est pour cette raison que j’aime faire des films où l’histoire personnelle se mélange à l’histoire politique. Notre destin personnel n’est pas coupé du destin politique.
Étiez-vous familiarisée avec l’histoire de la dictature brésilienne ?
Depuis un moment, je m’y intéressais. Je suis très admirative de la résistance aux dictatures sud-américaines, j’avais adoré le film de Carmen Castillo, Calle Santa Fe, où elle raconte sa résistance au Chili, le meurtre de son compagnon et le fait que la police militaire ait tiré sur elle alors qu’elle était enceinte. Laissée pour morte, elle a été sauvée in extremis par un voisin. Elle évoque dans ce film la relation aux enfants de révolutionnaires, et à quel point ceux-ci refusent toute évocation de la lutte de leurs parents. Ici, dans mon film, Eduarda tente de réparer avec le peu de souvenirs qu’elle possède. Mais le film retrace surtout l’histoire de trois générations de femmes, à partir de la grand-mère, combattante incroyable, fascinante. Cette femme qui n’a jamais eu de véritable métier plus qualifié qu’ouvrière textile, est un talent littéraire incroyable. Je vais tâcher de faire éditer ses mémoires, ou bien un écrit à leur sujet.
Pouvez-vous expliquer le choix de la citation qui démarre le film ?
C’est une citation de José Saramago, prix Nobel de littérature portugais. Sa veuve m’a cédé cette phrase, mais malheureusement, le jeu de mots ne fonctionne pas en français: « Si tu peux regarder, vois, si tu peux voir, remarque. » Mais le mot remarque, en portugais, « repara », signifie aussi « réparer », ce qui fait sens avec le film.
Le film traite de la lutte universelle contre le fascisme, notamment par le biais d’une scène très cruelle entre la mère, Denise, et sa fille Eduarda, lors de l’adolescence de celle-ci…
Il y a bien sûr une cruauté, mais elle a eu raison. Mes propres parents ont pris une décision culottée quand j’étais petite. À l’âge de 7 ans, j’ai vu le film Rome ville ouverte, une oeuvre extrêmement violente dont je garde un souvenir plus que traumatique. En même temps c’est formidable : j’ai été vaccinée contre le fascisme, grâce à ce film. D’une certaine façon, c’est ce qui m’a conduit à faire des films anti-fascistes. Aujourd’hui, il y a de plus en plus d’ambiguïté, que notre monde actuel entretient en jouant sur le langage. Parfois les gens les plus à droite parlent de « liberté ». Montrer aux enfants le sens des mots, noir sur blanc, peut leur être d’une grande aide.
Comment avez-vous rencontré Quentin Tarantino ?
J’ai rencontré Quentin dans un petit festival de films indépendants à Avignon. C’est vraiment un auteur qui dit des choses importantes, avec une forme très audacieuse, même dans l’entertainement. Il a fondé des codes qui ne ressemblent à aucun autres, à l’époque où Hollywood empilait les schémas narratifs hautement reconnaissables. Il a fait fi de toutes ces règles scénaristiques. Et malgré tout il arrive à concevoir d’excellents films d’entertainement, tout comme Chaplin qui par le biais de son humanisme, séduit des publics de tous les âges. Quentin a son propre humanisme, que l’on décèle dans Django, c’est un auteur très complexe qu’il ne faut pas simplifier.
Quels sont vos projets ?
En ce moment je fais du théâtre au Brésil, J’ai tourné un film à Montréal avec Rudy Barichello, Meetings with a young poet à propos de Samuel Beckett, un auteur que j’admire beaucoup. J’ai d’ailleurs mis en scène « Fragment II » en 1988. Et je prépare également un film avec Alain Riou. Donc beaucoup de projets en perspective !
Propos recueillis par Mathilde de Beaune
www.mariademedeiros.net
www.festivaldecinemabresilienparis.com
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