Lukas Dhont : “Être réalisateur est un privilège”
Le réalisateur belge Lukas Dhont nous parle de ses projets, notamment son premier long métrage Girl, et de son projet passionnant pour l’Académie des Arts et Techniques du Cinéma.
Pourrais-tu te présenter en quelques mots ?
Je suis scénariste réalisateur âgé de 28 ans. Suite à mes études cinématographiques qui combinaient le documentaire et la fiction, j’ai réalisé quelques courts métrages, dont L’Infini et Corps perdu, qui se sont bien démarqués dans des festivals. Avant de vouloir devenir réalisateur, je voulais être danseur. C’est pourquoi, aujourd’hui, j’essaye d’intégrer cet art dans mon travail. J’ai beaucoup travaillé avec le chorégraphe contemporain Jan Martens, en parallèle de mon premier long métrage Girl, présenté au Festival de Cannes il y a deux ans. Et maintenant je travaille sur mon deuxième long métrage, avec la même équipe.
D’où vient cette envie de faire des films, de raconter des histoires ?
De mon enfance. Mes parents ont divorcé quand j’avais 6 ans et ma mère allait beaucoup au cinéma. Dès qu’elle rentrait, elle me racontait le film, des scènes précises, les émotions ressenties. Avec le recul, j’ai réalisé l’importance du cinéma, sa capacité de permettre à certains d’échapper à la réalité, sa force. Ma passion vient de là. À 12 ans, j’ai eu ma première caméra et j’ai commencé à diriger mon frère, à inventer des histoires. Je n’ai jamais eu de doutes sur ce que je voulais faire par la suite.
Peux-tu nous parler de Girl ?
L’idée est née d’un article de presse à propos d’une jeune fille trans (Nora Monsecour) qui ne pouvait pas changer de classe de danse car son école refusait son admission dans la promotion féminine. Le monde de la danse classique est effectivement un monde où les normes et les idéaux sont encore très présents. C’était donc pour moi le cadre idéal pour parler de ce sujet, avec un personnage authentique déterminé à aller “against the wind”. Les conflits qui en découlent m’intéressaient aussi. J’ai donc commencé l’écriture en opposant antagoniste/protagoniste, mais j’avais aussi envie de faire un film qui parle de l’intérieur, des idéaux que nous nous portons. Nous suivons alors son parcours, la relation avec son corps, sa destruction, sa persévérance.
Cela t’a valu la reconnaissance du grand public car tu as été récompensé par la Queer Palm et la Caméra d’Or au Festival de Cannes en 2018. Quelles réactions suite à ce succès ?
Quand tu comprends que ce n’est pas juste en salle, que tu intéresses aussi la profession, ça te remplit de bonheur. Mais quand tu fais des films, tu as surtout envie que des spectateurs disent qu’il les a touchés ! Une grand-mère de 80 ans, une jeune fille de 15 ans et aussi un adolescent m’ont dit qu’ils avaient trouvé quelque chose d’eux-mêmes dans Girl. C’était très important pour moi de faire un film avec un personnage singulier qui touche pourtant un maximum de gens, d’une manière universelle. Être réalisateur, c’est un privilège car j’ai la chance de rencontrer beaucoup de gens, de raconter leurs histoires. C’est tellement intéressant. Je recommande à tout le monde de faire ce métier.
Plus récemment, tu as travaillé sur le projet Révélations des Césars 2020. Pourquoi avoir accepté de réaliser ce film ?
J’ai accepté parce que j’adore le cinéma et les comédiens français, votre culture. Je me sens donc très connecté avec votre pays. En plus, le public français est engagé. J’ai aussi voulu rencontrer ces 36 comédiens et comédiennes dont j’avais vu beaucoup de films. Je voulais travailler avec eux, car c’était aussi un partenariat (avec Chanel qui a suivi mon parcours et qui a été très bienveillant avec moi). C’était donc une combinaison idéale.
Tu as choisi de présenter les 36 Révélations à travers un Marathon Dance. Pourquoi ce thème ?
Au début, je me demandais ce que je pourrais bien faire avec ces 36 comédiens. Ils sont jeunes, pour la plupart débutants, ils débordent d’énergie et ont une passion sauvage. Comme ils ont quelque chose de raw, je voulais les faire danser parce que Girl était un film sur la danse. En plus, il n’y avait pas de danse dans les anciens films Révélations. Et je me suis souvenu d’un film, On achève bien les chevaux, qui parle des compétitions dans les années 20-30 aux États-Unis pendant la Grande Dépression. Je trouvais très beau que ces compétitions soient vues comme les débuts des séries télé voyeuristes, parce que les gens pouvaient payer pour assister aux compétitions et regarder les danseurs. Les situations absurdes et drôles étaient aussi idéales pour travailler avec eux.
Tu t’es aussi occupé des portraits Révélations qui ont donné lieu à une exposition au Petit Palais lors de la Soirée Révélations. En quoi l’exercice de photographe se distingue-t-il de celui de réalisateur ?
J’ai eu une équipe technique qui m’a beaucoup aidé, mais le fait de prendre moi-même les photos m’a permis de mieux connaître les comédiens. C’était aussi un exercice intéressant, car très différent de ce que je fais habituellement. Ces images ne bougent pas, tu dois donc capter quelqu’un en un instant. Je me suis un peu basé sur les portraits des années 20-30 pour retranscrire l’atmosphère. Un très bon styliste m’a aussi aidé en dénichant des vêtements Chanel vintage.
Ton prochain long métrage se rapprochera un peu de Girl ou ce sera quelque chose de très différent ?
Girl a commencé suite à la lecture, en 2009, d’un article dans un journal qui présentait un artiste trans, le monde dans lequel il évoluait et ses préoccupations : la relation avec le corps et l’image idéale que nous projetons sur nous-même et sur les autres. Pour le deuxième film, l’idée est aussi née d’un article, mais sur un sujet totalement différent, mais encore sur les thèmes de l’identité, de la transformation. Je suis actuellement en train de le traduire sous forme de scénario.
Quels sont tes autres projets ? Que te souhaiter pour la suite ?
J’ai fait un an et demi de promotion pour Girl, je suis allé partout et c’est depuis peu que je peux vraiment me dédier à l’écriture de mon deuxième film. Actuellement, je réfléchis aussi sur mon parcours. Qu’est-ce que je veux vraiment faire ? Quels personnages je veux montrer à l’écran ? Et comment le faire de façon juste et profonde ?
Propos recueillis par Léa Bouchier Di-Benedetto
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