Lovely Bones – film de Peter Jackson
Il y a plusieurs films dans ce Lovely Bones tant attendu, plusieurs intentions qui se contredisent jusqu’à absorber leurs sujets par trop d’informations. D’abord le matériau, roman lacrymal d’Alice Sebold publié en 2003 sous le titre révélateur de La nostalgie de l’ange, auquel se greffe l’univers ultra codé de Peter Jackson.
Passé l’heroic fantasy et l’hommage aux films de monstres, le réalisateur semblait amorcer un retour aux sources, en forme de reboot de l’esprit Créatures Célestes. On y distingue le même schéma narratif, cette même dualité entre la réalité mortifère et l’imaginaire adolescent. C’est encore une histoire de famille – figure symbiotique du cinéma de Jackson – consumée par une force supérieure (le virus dans Braindead, le désir dans Créatures Célestes, le pouvoir dans la trilogie Tolkien).
Ici, le bouleversement du quotidien est introduit dans le voisinage le plus proche et par extension dans la dramaturgie la plus réaliste. Par une brève exposition, on suit le quotidien de la jeune Susie Salmon, transcendé par la force édifiante et émotionnelle du cinéma de Jackson. On retrouve cette naïveté feinte, cette faculté de suggérer une menace sourde au milieu d’un environnement affable. La rupture est bientôt consommée, Susie meurt, assassinée par un proche de sa famille. Le reste appartient à la pure fantasmagorie : dans une sorte de purgatoire imaginaire, l’adolescente rejoue incessamment la scène du crime et tente de communiquer avec la terre pour faire évoluer l’enquête.
Les impératifs d’adaptation
Au-delà de l’argument classique de ghost story japonaise façon Hideo Nakata, le film procède par variations narratives, par glissements successifs. C’est en écho à l’enquête policière que se joue sa partition la plus intéressante, dans ce deuil impossible du père et cette absence qui finit par ronger la structure familiale. A l’image de Fantômes contre Fantômes, où il était déjà question de communication entre les deux mondes, Peter Jackson incline le récit fantastique vers le drame intimiste. Il dessine le même rapport d’impuissance, de la police, du père, et de la jeune Susie, qui observe à distance son foyer péricliter dans l’ombre du tueur toujours menaçant.
Le film aurait pu s’épanouir ainsi, quelque part entre le thriller domestique et le portrait familial à la Sam Mendes ; là où le cinéma de Jackson aurait pu trouver de l’ampleur. Mais il y a ces impératifs d’adaptation, cette nécessité revendiquée de dériver vers l’onirisme du roman d’Alice Sebold, principalement articulé autour des créations imaginaires de Susie. Un monde à inventer, érigé sur les réminiscences, les angoisses et les rêves de l’adolescente, sur le modèle des réalités parallèles du Labyrinthe de Pan ou du génial The Fall de Tarsem Singh. C’est dans ses choix esthétiques radicaux que Jackson surprend le plus. Radicaux puisque anachroniques : pariant sur la croyance aveugle du spectateur, il déploie une série de tableaux surréalistes évoquant une imagerie soap très eighties.
L’amplitude à ras
Dans ce monde synthétique, des maquettes de navire flottent sur un lac de roses, le visage d’un éphèbe se reflète sur l’eau gelée d’un lac, tandis que les anciennes victimes de l’assassin se réunissent pour fomenter une revanche depuis l’au-delà. Le film achoppe sur ces instants de poésie grimaçante, traversés de symboliques ineptes et de couleurs outrées. Ajouté à une morale paternaliste et à un score rococo de Brian Eno, et ce Lovely Bones menace à chaque instant de sombrer dans le pensum new age. Plus étonnant encore, la mise en scène échoue à nous persuader de la communication sensible entre le monde de Susie et la réalité terrestre, la faute à un montage parallèle trop abrupt et à des effets d’apparitions ridicules.
Pourtant, délesté des obligations formelles de la trilogie Tolkien – et de la littéralité qu’elle implique – Peter Jackson avait su retrouver avec King Kong sa maîtrise des espaces et des environnements (on se souviendra longtemps de la chorégraphie finale sur l’Empire State Building). Pour illustrer le dialogue entre les mondes et l’élévation de Susie, le réalisateur se complaît ici dans une sorte d’amplitude forcée ; et ses transitions répétées entre des plans aériens et des focales ultra courtes confinent à l’exercice de style vain. Comme la vision d’un univers monumental enfermée dans une caméra miniature.
Romain Blondeau
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Lovely Bones
De Peter Jackson
Avec Saoirse Ronan, Mark Wahlberg et Stanley Tucci
Sortie le 10 février 2010
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