Lise Thibeault : “La lumière est ma quête absolue”
Rencontre avec une photographe du corps et des maux. Lise Thibeault, alias Idole Bôchaton, aussi réalisatrice et professeure de lettres modernes, nous confie ses mots les plus sincères.
Parallèlement à vos activités d’enseignement, vous avez fondé votre compagnie théâtrale. Comment cette passion du jeu vous est-elle venue ?
Je suis toujours professeure de lettres. Concernant le théâtre, je possède cette passion pour le jeu mais tout autant le goût pour la mise en scène, la réflexion sur le corps, son exposition, son inscription dans l’espace, la dimension actionnelle du langage, sa puissance poétique, son souffle.
Le théâtre m’a permis de mener mes explorations sur le costume comme peau et comme mues successives. Comme le cinéma, le théâtre est un maillage fécond qui permet la réunion de tous les arts. Ils me réconfortent tous deux car j’y dépeins mes paysages intérieurs tourmentés. Ce sont mes grammaires favorites où la liberté est reine absolue. Des antidotes au réel souvent inconstant et restreint.
Sur Instagram, vous apparaissez sous le nom d’Idole Bôchaton. Pouvez-vous nous expliquer ce choix d’identité ?
Idole est la délicieuse fusion entre les prénoms de mes deux grands-mères « Ida » et « Odile » : c’est une façon de les porter en collier, comme de précieux fétiches. Et « Bôchaton » est un sobriquet si imagé qu’il en devient romanesque. J’aime la rondeur tendre des sonorités de la bouche pour l’articuler. « Idole Bôchaton » aussi parce que je suis un chat : les griffes en couronnes, puis la douceur.
Dans votre biographie Instagram, vous vous définissez comme photographe, réalisatrice, poète et « galacticologue ». C’est-à-dire ?
« Galacticologue » est une petite fantaisie lexicale pour caractériser chez moi, un aspect plus spirituel, comme mes curiosités pour l’invisible, les lectures des ciels, des cartes, des mains, l’immense sémiologie du quotidien, les lectures des autres. Ma passion absolue est de réaliser des alliances entre les gens, comme de bavardes constellations terrestres. Déchiffrer leur lumière, leurs couleurs (je suis synesthète), d’où ils viennent, ce qu’ils portent en eux.
Votre portfolio photographique est très complet. On y retrouve des personnalités de la scène, telles qu’Aloïse Sauvage, Félix Maritaud, Coralie Russier, Clémence Boisnard et pleins d’autres. Par quel adjectif définiriez-vous ces collaborations ?
Électriques.
Fin 2020, votre premier film, sélectionné au Festival international de création documentaire de La Rochelle, est projeté au cinéma Saint-André des Arts de Paris. Vous y racontez l’histoire de Bastian Pauty, par l’assemblage de moments de vie uniques. Pourquoi avoir choisi le titre « Les Petites Fièvres » ?
C’est une histoire de chaleur. D’abord, c’est une formule tendre et mélodique pour caractériser des symptômes, ceux des fluctuations de la maladie, mais aussi la sismographie de la force à résister à la gravité dense des épreuves. Les Petites Fièvressont surtout une métaphore chimique pour décrire l’exaltation à éprouver les désirs perlés de l’existence, l’ardeur qui traverse et embrase les corps, à vivre chaque morceau avec intensité.
Les paillettes font partie intégrante de votre esthétique. Quel rapport entretenez-vous avec la lumière ?
La lumière est ma quête absolue. Je la recherche partout et à chaque instant, dans chaque angle de visage, dans la beauté d’un esprit, dans chaque fenêtre qui éclot, pour laisser respirer l’ailleurs, l’après, les métamorphoses et les renaissances. Je la bois. C’est mon fleuve préféré. La lumière est ce petit feu maîtrisé, cette voluptueuse lave de saphirs charmants qui coule, en révélant les aspérités candides de chaque chose, les fruits et les dentelles du monde. Tout ce qui est couché sous la pupille de la lumière me paraît plus puissant, poétique et sublime.
Quid du noir et blanc ?
C’est un univers visuel de contrastes, qui correspond parfaitement au caractère manichéen des évènements éprouvés. Il gomme l’ancrage temporel et rend impossible de dater ou d’exposer une temporalité claire. Le noir et blanc de Cocteau, le manteau des contes de fée mettent à distance, déréalisent, en inscrivant le mouvement et le verbe dans l’Éternel.
Vous aimez reproduire des « old masters ». Si vous deviez choisir une seule peinture à recréer de vos mains, laquelle choisiriez-vous et pourquoi ?
Une seule ? Impossible ! Je la délaverais chaque nuit comme une Pénélope pour en choisir une nouvelle. Je choisirais une œuvre de Botticelli pour ses voluptés de peaux de lait, un Caravage pour la folie des rouges rubis, un Delacroix pour les excès, des scènes mythologiques, des figures féminines avec des chevelures tentaculaires qui semblent prendre feu. Si je ferme les yeux, celui qui cristallisa mon premier émoi pour la peinture fut La Naissance de Venus. Mais je crois quand même que je referais mille versions de l’Ophéliede Millais qui me fascinera toujours.
Propos recueillis par Célia Buhlmann
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