“L’ingéniosité est et sera africaine” : discussion avec Serge Noukoue, co-fondateur du NollywoodWeek Film Festival
Le continent Africain est une terre imprégnée de richesses naturelles et culturelles. Son histoire ancienne, marquée par des civilisations florissantes et des empires prospères, témoigne de son héritage culturel riche et varié. Aujourd’hui, le cinéma nigérian, appellé Nollywood, s’affirme de manière importante dans le monde. D’un potentiel économique, artistique, technologique, et surtout humain, l’Afrique façonne de plus en plus le monde et la culture de demain.
Serge-Armand Kouami Noukoue, co-fondateur du NollyWoodWeek Film Festival, est avant tout un être humain avec une vision tournée vers l’avenir et une matrice morale inspirante. Il défend l’identité Africaine avec force et fierté, aujourd’hui transportée en dehors du territoire via le secteur audiovisuel. Le festival étant un véritable point de référence pour ce qu’est l’Afrique et ce qu’elle deviendra dans le prolongement de sa voie successive, nous discutons de l’écosystème actuel du cinéma Nigérian, de la position de ce festival sur le territoire français, et de sa programmation avant-gardiste.
Comment peut-on expliquer la structure et le fonctionnement du secteur audiovisuel au Nigeria, y compris le modèle parfois qualifié d’informel de financement, distribution et production ?
La production de films au Nigéria a effectivement pendant longtemps fonctionné de manière informelle. C’est de moins en moins le cas aujourd’hui avec un certain nombre d’institutions qui ont été crées pour réguler, développer et promouvoir le secteur mais il y a encore une marge importante de progression afin que l’écosystème général soit complètement fonctionnel.
Je pense qu’il est clair que les films nigérians voyagent mieux aujourd’hui que par le passé. À titre d’exemple, nous avons pu voir à plusieurs reprises ces dernières années un film nigérian ou une série sud-africaine se faire une place dans le Top 10 français des contenus les plus regardés sur certaines plateformes de streaming. Il s’agit là d’une nouvelle donnée particulièrement encourageante. La circulation des films africains en dehors d’Afrique est notre combat depuis plus décennie. Nous sommes particulièrement fiers et heureux de cette évolution, mais cela vient aussi avec de nouveaux défis qu’il faut maintenant appréhender pour les producteurs et distributeurs nigérians et africains.
“Nous sommes à l’opposé des narratifs misérabilistes trop souvent associés à ce continent. L’approche positive, sans toutefois être naïve, que nous avons est à dessein et nous mesurons son impact à chaque édition.”
S’inscrire sur le territoire français constitue un “come-back” pour cette industrie audiovisuelle ainsi que le Nigeria dans sa globalité. Considères-tu que c’est avant tout un acte de résistance ?
C’est surtout le NollywoodWeek qui est un acte de résistance compte tenu de la difficulté d’organiser un tel événement chaque année. Nous avons besoin de davantage de soutiens à tous les niveaux, et très souvent notre festival n’entre pas dans les cases préétablies, ce qui ne nous rend pas éligible à toutes sortes de financements donc c’est très difficile. Mais nous sommes persuadés de l’utilité de notre festival et cette résistance fait écho à la résilience de l’industrie de Nollywood, qui elle-même brave toutes sortes d’obstacles au quotidien pour continuer d’exister.
Koïchiro Matsuura, ancien Directeur général de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), explique que “la production vidéo et cinématographique montre comment les industries culturelles, porteuses d’identité, de valeurs et de sens, peuvent mener au dialogue et à l’entente entre les peuples et également à la croissance et au développement économiques”. Comment te sens-tu par rapport à cette citation ? Se rapproche-t-elle à la réalité du Nollywood actuel ?
Je dirais que ce qui est dit dans cette citation constitue notre raison d’être ! Notre festival existe pour apporter une vraie diversité sur les écrans français ; pour créer des opportunités économiques pour les créateurs de contenus africains en leur ouvrant un nouveau marché notamment, et enfin pour valoriser des cultures trop souvent considérées comme marginales en France et ailleurs en Europe.
La majorité de notre public est afro-descendant et ce public s’identifie à ce qu’il voit sur les écrans pendant la Nollywood Week. Il ressort des séances plus fier de son héritage culturel car la programmation de notre festival va dans ce sens. Nous sommes à l’opposé des narratifs misérabilistes trop souvent associés à ce continent. L’approche positive, sans toutefois être naïve, que nous avons est à dessein et nous mesurons son impact à chaque édition. C’est un vecteur de fierté et d’une certaine manière c’est ce qui nous donne la force de continuer.
J’ai l’impression que les histoires explorées dans les films nigérians montrent souvent une diversité de modes de vies, de langues locales parlées, et de traditions culturelles.
Les films de Nollywood sont un miroir de la vie quotidienne. Ça fait partie de ce qui rend ces films si précieux. Je pense sincèrement que ces films jouent un rôle très important pour la compréhension de la société nigériane. Les reportages journalistiques des chaines de télévision françaises qui ont parfois cet objectif de permettre aux téléspectateurs de découvrir d’autres cultures ne parviennent pas à apporter ne serait-ce qu’un dixième de la compréhension qu’on peut obtenir en regardant un bon film de Nollywood. C’est ce qui est fascinant avec cette industrie qui est à la fois divertissante sans oublier d’être anthropologique d’une certaine manière. Ce qui change tout aussi c’est que le regard sur la société vient de l’intérieur et pas de l’extérieur.
Selon toi, quelle est l’importance et l’impact du secteur sur l’économie créative du pays, ainsi que les mouvements socio-culturels ou socio-politiques de la jeunesse ?
En termes purement économique, des outils de mesures existent. Ils sont imparfaits, mais ils ont le mérite d’exister. On évoque un chiffre aux alentours de 2% du P.I.B nigérian par exemple. Ce qui n’est pas négligeable sachant que l’on parle du P.I.B le plus important du continent. La vérité est que le potentiel est bien plus important que ça et que l’impact de cette industrie ne se mesure qu’en données quantifiables.
Comme évoqué dans une question précédente, l’impact sur les gens et sur leur fierté est indéniable et la confiance en soi qui en découle est un prérequis pour prendre sa place dans le monde et même le conquérir. On est à l’opposé de l’idée quelque peu lugubre évoquée par un ancien président de la République française que « l’Homme Africain n’était pas assez rentré dans l’Histoire ». Ce que nous montrons sur les écrans de la Nollywood Week c’est tout le contraire.
Je trouve une certaine ingéniosité sur les thématiques des films programmés, surtout sur un film comme “Halima’s Choice“. Les faits sociaux qui s’entremêlent à des nouvelles tendances comme la nouvelle technologie me semble d’une imagination sans équivalente. Parles-nous en plus de la place que prend la nouvelle technologie dans le secteur.
En termes de population, le continent africain est lac continent le plus jeune au monde. Cette jeunesse est un atout considérable dans le rapport au monde, dans l’adoption des nouvelles technologies, dans l’imagination de notre futur en tant que société en tant qu’humanité. L’ingéniosité est et sera africaine pour les décennies à venir car la démographie et l’histoire vont dans ce sens et les films programmés se font effectivement écho de cette réalité-là.
“C’est ce qui est fascinant avec cette industrie qui est à la fois divertissante sans oublier d’être anthropologique d’une certaine manière. Ce qui change tout aussi c’est que le regard sur la société vient de l’intérieur et pas de l’extérieur.”
Toute une section pour les films VR ! Parles-nous en plus. Le début, le pourquoi, le comment. Les médias parlent du cinéma nigérian comme un cinéma où les méthodes de tournage et de production restent assez non-formelle. Là, c’est tout à fait l’inverse.
L’ingéniosité est indispensable quand on est dans l’informel car les contraintes sont tellement importantes qu’il faut trouver des solutions. Mais le cinéma nigérian a grandi et aujourd’hui cette ingéniosité n’est plus confinée à la survie. Elle est utilisée pour explorer, pour conquérir de nouveaux formats, de nouveaux genres, et c’est ce que nous pourrons voir avec les films de cette section.
Cela étant dit, sur cette édition du festival, on représente 10 nationalités différentes. Dans la section VR c’est 4 régions du continent qui sont représentées, le crédit de ces avancées ne revient donc pas au seul Nigéria même si il joue un rôle de locomotive. En tout cas je t’invite à découvrir ces films qui sont, en plus, en accès gratuit contrairement aux films que nous montrons en salle.
Il en est indispensable de parler de la parité homme/femmes dans le secteur. Sur 20 films, on ne trouve que 5 réalisatrices. Quelles sont les raisons socio-culturelles qui mènent à cette disparité et est-ce un critère de potentiel changement ?
Cette parité ou non-parité est très très évolutive. Certaines années, nous avons même eu plus de femmes que d’hommes pour les films en sélection officielle. Je dois dire que de manière générale les films africains, et c’est notamment le cas à Nollywood, ont une bien meilleure représentation féminine que les films occidentaux.
Par ailleurs, il y a un film féministe que je souhaiterais évoquer ici. Il s’appelle “Super Wouman”, c’est un court-métrage qui est à voir le vendredi soir dans l’Afterwork court-métrages. Ce film est féministe mais réalisé par un homme en l’occurrence. Et parfois, le point de vue exprimé peut être plus important que le genre de la personne derrière la caméra.
Que diras-tu aux lecteur.ice.s ?
Soyez curieux ! La curiosité est une qualité qui nous semble essentielle et dans un monde dominé par les algorithmes. Elle a tendance à se perdre. Laissez-vous tenter par des films dont vous n’avez jamais entendu parlé. Venez voir, venez écouter et échanger. La Nollywood Week vise aussi à remettre au centre l’intelligence humaine dans un monde où on ne parle que d’intelligence artificielle !
Interview réalisée par Farida Mostafa
Découvrez la totalité de la programmation de cette édition sur Artistik Rezo
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