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Leto : une ode au rock, à la liberté et à la jeunesse

Coralie Halgand 27 avril 2020
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© Bac Films

L’émergence d’une scène musicale n’est-elle pas l’une des plus belles manifestations de la créativité humaine et de la liberté ? Mike, Natacha et Viktor vous ouvrent les portes de leur monde : le rock underground russe du début des années 80. Si vous aviez raté la sortie de ce superbe biopic musical en 2018, c’est le moment de lui donner une chance ! 

Un film sur la liberté, tourné par quelqu’un qui en était cruellement privé

Le réalisateur, Kirill Serebrennikov, qui s’était déjà fait connaitre avec son film Le Disciple, nous livre un chef-d’œuvre, aux conditions de tournage pour les moins particulières. Accusé par le gouvernement russe de détournement de fonds publics pour son théâtre, le Centre Gogol, il est assigné à résidence et n’est ainsi pas présent lors du tournage. Parce qu’il se retrouve à diriger son film à distance, Kirill Serebrennikov dévoile un éclatant travail de post-production, inspiré de l’esthétique des comics et du clip, qui accompagne et décale la réalité. À travers cette constante passerelle entre réalité et fiction, on s’interroge sur ce qui existe et ce qui représente le plus fidèlement la vie des chanteurs rock du Leningrad des années 80 : l’histoire basée sur les faits réels ou celle parfois dépeinte de manière plus artistique et émotionnelle par le réalisateur ?

Le Leningrad underground du début des années 80

Il est rock, il est punk et il est attachant. Ses membres sont des musiciens aboutis ou en devenir et ceux sans qui ils ne seraient rien, leurs copines, leurs femmes, leurs groupies. Ils passent l’été à la plage et le reste du temps dans des appartements aux mille et une portes. Dans les deux cas, ils sont libres, libres de danser, de chanter, de boire, d’écouter du rock, de porter des jeans, en somme, de vivre. Les premières images du film nous plongent dans un hymne à la liberté et à la jeunesse, au cœur d’un pays qui s’ouvre à peine à la culture occidentale, la Russie du début des années 80. On y voit la jeunesse underground de Leningrad partagée entre son envie d’émancipation face au patriarcat et sa nécessité de parfois s’y plier.
Le film retrace l’histoire de deux chanteurs iconiques de l’époque : Mike Naoumenko (Roma Zver) du groupe Zoopark et Viktor Tsoï (Teo Lo) du groupe Garin et Hyperboloïdes, renommé plus tard Kino. Mike est déjà reconnu dans le milieu. Il donne des concerts au Leningrad’s Rock Club, s’inspire de ses idoles américaines et anglaises pour composer et s’impose rapidement comme le mentor de Viktor. Ce dernier est idéaliste et exigeant. Ses musiques abordent les thèmes de l’amour, de la vie quotidienne, de la révolte contre le monde des adultes… À travers des textes d’une grande simplicité, il chante les préoccupations d’une jeunesse soviétique qui aspire à plus de liberté et de reconnaissance.

Le rock comme vecteur de liberté

Le titre, traduit l’été en français, renvoie à des sentiments joyeux, ivres, innocents. Et c’est le cas. On découvre dans ce film, une bande de jeunes libres d’esprit et libres dans leurs mœurs. Mais cela accentue d’autant plus le jugement et la marginalisation qu’ils vivent au quotidien, au contact de la société. Ils sont libres à la seule condition qu’ils ne soient pas observés, comme lors d’une parenthèse à la plage au moment des beaux jours ou dans un appartement sombre. Heureusement, pour sauver leur existence, ils ont leur rock et celui de Lou Reed, T. Rex, David Bowie, Blondie… à écouter, et réécouter, à traduire et à jouer. Avec ça, ils n’entendent ni les insultes ni les critiques. Peut-être aimerions nous les voir réagir au lieu de s’accommoder sans trop contester mais le film ne se veut pas militant, et c’est tout aussi bien. On ne peut pas rendre engagés des personnages historiques qui ne l’étaient pas vraiment. À travers le travail de post-production et un personnage vivant uniquement à l’écran pour le spectateur, on s’interroge pourtant sur le pouvoir de l’imaginaire, sur tous ces moments qui n’ont pas existé mais que les personnages, comme nous-mêmes, auraient aimé voir se réaliser.

Meilleure bande-son du Festival de Cannes 2018

La musique apporte aussi sa part de liberté au film. C’est à travers celle-ci que les musiciens s’épanouissent et s’expriment. Mais une fois encore, la liberté fait discrètement faux bond. Au milieu des concerts, des soirées, de l’alcool et de l’excès, on retrouve un rock sur la retenue, un rock contrôlé, où le musicien soviétique se doit d’avoir une position sociale active pour être diffusé. Dans le Leningrad du début des années 80, la liberté semble se trouver partout sauf ici. Récompensé du prix de Meilleure bande-son au Festival de Cannes 2018, Leto donne l’occasion de découvrir un angle peu connu de l’histoire de la Russie, où même sa langue devient poétique lorsque mise en chanson.

© Bac Films

La chaleur d’un été à la plage, en noir et blanc

La liberté se retrouve finalement dans les mœurs, puisqu’au-delà de suivre l’évolution de deux groupes de rock, nous suivons aussi une histoire personnelle attachante. La liberté affective s’apparente ici à la liberté artistique du film, et c’est beau à voir. Même en noir en blanc, on peut facilement ressentir la chaleur d’un été à la plage, la douceur d’une histoire d’amour ou encore l’effervescence de cette bande d’amis qu’on aurait eu envie de rencontrer pendant notre vingtaine. Les amoureux de la mélancolie trouveront largement leur compte dans ce film, tout comme ceux qui apprécieront le témoignage historique de ce biopic. Que ce soit par la musique ou l’image, Leto nous donne envie de voyager en Russie et dans le temps, au début des années 80, ou du moins aux côtés de nos amis et d’une bonne stéréo. Ce qui est pour bientôt. En attendant, on a Leto.

Critique réalisée par Coralie Halgand

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