Les yeux de sa mère – Entretien avec l’équipe du film
Morceaux choisis de confidences lâchées entre la poire et le fromage.
Premier arrivé à notre table, Thierry Klifa est volubile, passionné, humain. Il évoque son amitié avec Catherine Deneuve et Géraldine Pailhas et nous quitte à regret non sans avoir pioché goulûment dans une assiette de salade de magrets de canard au pamplemousse.
À propos de Catherine Deneuve : « Deneuve est comme une partenaire pour moi. Au quotidien, on va au cinéma ensemble, on se prête des séries télévisées américaines. »
« Elle est très impressionnante et humaine à la fois. Dans son travail, elle s’implique beaucoup et a une vision globale du film. Elle ne se cantonne pas uniquement à son rôle et insiste pour voir les rushs au fur et à mesure. »
« Comme je suis conscient de l’effet qu’elle peut faire à l’écran, je n’ai pas choisi des demi- portions pour jouer avec elle. »
À propos de son travail sur le film : « J’ai beaucoup de mal à imaginer comment un acteur va jouer la scène avant de la tourner. C’est pourquoi, malgré le travail en amont sur le découpage, je peux très bien tout changer selon le jeu des acteurs. »
« Pour l’ambiance visuelle du film, on s’est beaucoup inspiré du travail de James Gray (Two lovers, La nuit nous appartient). Je ne voulais pas d’une photographie réaliste. Avec la participation du compositeur Gustavo Santaolalla, j’ai vraiment travaillé avec des techniciens qui me tenaient à cœur. »
C’est au tour de Marisa Paredes et de sa traductrice d’entrer en scène. Autour d’un osso bucco, purée et petits pois (qu’elle semble ne pas beaucoup apprécier) l’égérie de Pedro Almodóvar et grande dame du cinéma espagnol s’étend sur l’avenir de celui-ci, son niveau de français et son expérience sur le film.
À propos de la révolution cinématographique espagnole : « Pedro Almodovar a été un déclencheur dans le changement du cinéma espagnol, auparavant trop politique, engagé et lourd. Et s’il existe aujourd’hui 3 ou 4 cinéastes prometteurs, ils se font vite mettre le grappin dessus par Hollywood et ne tournent plus en espagnol mais en anglais. »
À propos de Catherine Deneuve : « Nous nous connaissions déjà avant de tourner ce film. Par des amis d’amis à Paris ou au festival de San Sebastian. C’est une comédienne vraiment généreuse dans son travail, une qualité rare. Être généreux ça signifie être au service de l’autre pendant le tournage, être ouvert à l’échange et ne pas s’enfermer dans son rôle et son travail. Car le cinéma est avant tout un travail d’équipe et il ne faut pas l’oublier. »
À propos de Pedro Almodovar : « Il y a une grande complicité entre nous. Ça facilite le travail mais ça augmente aussi l’exigence du réalisateur. Il m’a même fait pleurer, il y a peu, sur le tournage de son futur film. »
Pour le fromage, Marina Foïs et Jean-Baptiste Lafarge s’attablent avec nous. Le jeune comédien est nerveux et un peu délaissé à cause d’une Marina Foïs qui, bien évidemment, accapare nos questions.
Jean-Baptiste Lafarge, à propos de son expérience : « C’est mon premier film et je suis arrivé sur le tournage avec un mélange d’angoisse et d’envie. Mais je suis finalement entré dans l’expérience grâce à la boxe. Ça non plus je n’en avait jamais fait de ma vie. »
Marina Foïs, à propos de son rôle de mère adoptive : « Ça a été dur d’être naturelle en jouant la mère d’un jeune de 20 ans. Moi, dans ma tête, je crois que j’en ai encore 22. Mais c’est une belle histoire et on a l’impression qu’ils se choisiraient aujourd’hui comme mère et comme fils. Ce n’était pas évident, car dans la mesure où la mère et l’enfant sont deux personnes à part, on peut très bien envisager que la rencontre ne se fasse pas. »
À propos de sa carrière : « J’ai très envie de faire de nouveau une comédie. Mais la femme y est souvent maltraitée et je rêve d’autre chose. Dans les gens avec qui j’aimerais tourner, il y a Sacha Baron Cohen (Borat). Avec lui je me sens prête à tout puisqu’il n’y a rien qu’il ne s’inflige pas lui-même. Et puis aussi Claude Duty (Filles perdues, cheveux gras), Noemie Lvosky et Nicolas et Bruno. »
« Dans le futur, je suis censée tourner un film en Italie ave Vincent Gallo, mais celui-ci risque de ne pas se faire pour cause de moyens. »
Géraldine Pailhas et Nicolas Duvauchelle nous rejoignent pour le dessert. Elle, les yeux qui brillent d’excitation et de passion pour son travail, lui, plus réservé laisse planer une aura de mystère… ou de désintérêt.
Géraldine Pailhas, à propos de son retour à la danse classique : « Après 20 ans d’arrêt, le corps se souvient quand même. Et même si je savais que j’étais le garant de la crédibilité de cette partie du film, je savais aussi que le film ne montrerait pas tout le travail pour arriver à ce résultat. Pourtant je l’ai fait. »
À propos de son travail de comédienne : « Le vertige est délicieux et quand je me lance dans un projet fort, il y a toujours une conséquence sur ma vie privée. Quand on me demande de repousser mes limites c’est une joie pour moi. »
« Les personnes sombres, empreints de noirceur, j’aime ça. Ce que je ne supporte pas c’est l’aigreur. »
Nicolas Duvauchelle, à propos du film : « On se sent en confiance avec Thierry Klifa. J’ai donné tout ce que j’avais. »
À propos de ses autres expériences de tournage : « Je déteste les gens tyranniques, ceux qui maltraitent les techniciens par exemple. Avec eux, je me ferme et ça peut finir par mal se passer. »
Catherine Deneuve nous rejoint enfin pour le café. Impressionnante, elle coupe un instant la chique de toute la tablée. Puis, son attitude simple mais classe, fines Phillip Morris en bouche, elle croque des palets bretons miniatures, permet aux langues de se délier.
À propos de son rôle dans le film : « Le moment où je dois présenter le journal télévisé, ce n’est pas ce qui m’attirait le plus. »
« Pour l’incarner, je me suis inspirée du rôle de Joan Crawford dans Johnny Guitare. »
À propos de l’autodérision : « Je pense que c’est important d’en avoir mais qu’il n’y a pas besoin de le proclamer. »
À propos de ses séries télévisées américaines préférées : « En ce moment, j’aime beaucoup Mad Men. Mais je regarde aussi Dexter et Sur écoute. J’ai souvent beaucoup de travail, avec les tournages et la promotion des films mais je trouve toujours le temps de lire la presse quotidienne, de lire et de voir des films et des séries télévisées. Principalement la nuit. »
Malgré l’intensité des échanges et les questions qui se bousculent, les acteurs sont très vite obligés de repartir vers d’autres obligations, pièce de théâtre pour les uns, promotions d’autres films pour les autres. Nous voilà de nouveau seuls, avec notre vision du film et, pour une fois, la sensation d’avoir touché de près les raisons, connections, et interactions entre l’équipe d’un film et qui en fait sa singularité. Des personnalités bien différentes mais toutes talentueuses et une passion commune pour les projets différents. Il ne vous reste plus qu’à tenter de voir derrière Les yeux de sa mère cette richesse qui transpire à l’écran.
Lucie Bellan
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