“Les vies privées de Pippa Lee” de Rebecca Miller
Un personnage psychologique
Pippa naît au beau milieu d’une famille un tantinet désaxée. Elle est la fille chérie d’une femme hystérique que les névroses assomment, et qui, choquée par l’apparence peu reluisante de son enfant à la naissance, aime à travestir la petite en pin-up, en star de cinéma pour se rassurer de sa beauté. Pippa, c’est l’histoire d’une enfant qui a entretenu un amour destructeur avec sa mère dépressive, et qui s’en est échappée pour devenir une jeune femme perturbée, étourdie par une vie débridée sur fond de “sex, drugs and rock’n’roll”. À la fleur de l’âge, alors en pleine chute libre, elle tombe dans les filets d’un éditeur à succès plus âgé, tant séduit par sa douceur que par sa douleur. Elle construira avec lui une vie rangée, une famille exemplaire et lui donnera deux enfants. Elle s’évertue à fabriquer l’illusion d’un bonheur, un équilibre instable mais reproduit un schéma qui la hante. Derrière cette réussite, elle s’asphyxie.
C’est l’heure pour Herb Lee, son mari, de se reculer dans une banlieue tranquille pour vivre sa retraite, malgré sa peur de l’inactivité, de l’abandon de son empire, et de la mort. C’est l’heure pour Pippa de se retourner sur sa vie, malgré elle. Et de voir un parcours sinueux. L’histoire se répète : elle n’a pas su se faire aimer de sa fille. Commencent alors des cauchemars d’enfance, un somnambulisme soudain. Pippa perd pied. La bourgeoise new-yorkaise qu’elle est devenue cherche à tout prix à se raccrocher à tous ses acquis, à sauver les apparences, avec flegme et torpeur. L’avènement d’une vie nouvelle, l’installation dans cet univers prosaïque, font éclore les symptômes d’une dépression : troubles du sommeil, mal de vivre difficile à dissimuler, résurgence du passé, accès d’humeur. L’engrenage se met en route pour Pippa Lee qui se bat contre ses vieux démons, à commencer par son conflit avec sa mère qu’elle n’a jamais réglé, le laissant derrière elle pour tenter d’avancer. Une mère dont elle craint d’être le reflet pernicieux.
À certains égards, cette protagoniste ressemble à une héroïne bovarienne, une femme respectable que plus rien ne comble et dont le couple s’endort, troublée par un homme énigmatique, fils déphasé d’un voisine. Cette rencontre arrive à point nommé comme un souffle. Pippa Lee cherche à accoucher d’elle-même, de ses souffrances pour regagner son amour propre et une certaine plénitude.
Une histoire de casting
Au gré des allers-retours dans les souvenirs de Pippa, la narration creuse dans l’intimité de cette femme au seuil d’une renaissance. Des vies privées alimentées par des seconds rôles prépondérants et un entourage constitué de fortes personnalités teintent le récit taciturne d’un moment de vie charnière. Rebecca Miller propose un film très romancé dont les interprétations justes et rigoureuses favorisent la crédibilité cinématographique. Robin Wright Penn dans le rôle de Pippa rend avec grâce et vigueur l’instabilité et l’angoisse de son personnage. Saisie par des regards lointains, des sourires forcés et des malaises persistants, l’actrice parvient à un jeu habilement jaugé et transcende l’agitation intérieure exprimée par une sorte de paralysie.
Dans une chronologie entrelacée, les flash-back sont tenus avec maturité et relief par la jeune fille populaire de la jeunesse dorée de Manhattan du soap Gossip Girl, Blake Lively, en une Pippa jeune et égarée. Le très hollywoodien Keanu Reeves rompt avec son image de star du box office, dans un rôle d’intriguant voisin, capable de révéler cette femme mariée à elle-même, comme un vecteur discret. Herb Lee, ou le théâtreux Alan Arkin, ne feint pas son habituel charisme et endosse un homme de caractère vieillissant, qui se raccroche à la vie maladroitement, un patriarche dans toute sa splendeur. Sans compter sur les apparitions remarquées et hautes en couleur de Maria Bello en mère dépressive, Julianne Moore en lesbienne effrontée, Monica Bellucci en vampe perfide, Winona Ryder en meilleure amie déloyale et geignarde. La distribution miroitante se met à l’évidence au service d’un film avéré indépendant, par son traitement psychologique et introspectif.
Malgré son florilège de stars du cinéma américain, dont il faut reconnaître le talent d’interprétation, Les vies privées de Pippa Lee présente quelques lacunes face à une thématique qui mériterait d’être exploitée plus en profondeur. Le scénario est trahi par trop de prévisibilité, et semble peiner à s’émanciper du roman dont il est tiré. Malgré un léger manque d’épaisseur, le film est ravivé par des dialogues convaincants dans leur intégralité et un réalisme dominant et réjouissant.
Hélène Martinez
Un film écrit et réalisé par Rebecca MILLER
Avec Robin WRIGHT PENN, Keanu REEVES, Alan ARKIN, Maria BELLO,
Monica BELLUCCI, Blake LIVELY, Julianne MOORE et Winona RYDER
produit par Lemore Syvan et Brad Pitt
SORTIE NATIONALE LE 11 NOVEMBRE 2009
Durée : 1h35
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